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— … et qu’il a dû se hâter de convertir en or pour racheter des soldats, des armes…

— Non ! coupa le Professeur, soudain sérieux. Cela comportait certains objets de sa chapelle, quelques bijoux et surtout le fameux diamant pyramidal sans lequel le fermail aux « Trois Frères » perdait son pouvoir de porte-chance. Tout cela, le duc Charles ne l’a pas emporté !

— Vous m’étonnez énormément !

— Pourquoi ? Sans les rubis, le joyau perdait également son efficacité, mais la pierre était si belle qu’il a voulu la préserver pour sa fille Marie. Le Téméraire ne gardait guère d’espoir en son étoile. Il avait l’intuition qu’il était perdu et sentait que les combats à venir seraient livrés pour l’honneur. Il ne lui restait en ce monde qu’un seul être à aimer : sa fille…

— Il n’aimait vraiment pas sa femme ? demanda Aldo repris par la magie de l’histoire, bien qu’il la connût déjà, mais sans doute pas aussi bien que cet homme.

— L’Anglaise ? Il l’aurait aimée peut-être si elle lui avait donné un fils. Il n’en fut rien, toutefois elle avait su gagner sa confiance pour veiller sur son héritière.

— Et, à Salins, la cachette n’a jamais été découverte ?

— Sans doute parce qu’elle n’y était pas ! Un seul avec le duc savait.

— Qui ?

— Olivier de La Marche qui fut aussi son mémorialiste…

— J’ai lu ses Mémoires mais je n’ai rien relevé…

— Parce qu’il ne l’a jamais écrit, mais je donnerais ma tête à couper que c’est à lui que le dernier trésor a été confié…

— Ce serait peut-être l’aventurer. Fait prisonnier à Nancy, puis racheté, il est entré au service de la duchesse Marie. Rien ne l’empêchait alors de lui remettre le précieux dépôt ? S’il ne l’a fait, c’est que quelqu’un l’a trouvé… et gardé pour lui !

— Je suis persuadé, moi, qu’il est toujours caché quelque part chez nous et qu’Olivier l’y a laissé sciemment. Marie était devenue princesse autrichienne et a eu tout juste le temps de donner le jour à un enfant avant qu’une chute de cheval ne la tue à vingt-cinq ans. La Marche n’a voulu servir ni Louis XI, ni les Habsbourg. Étant donné son caractère, il a laissé le secret disparaître avec lui, mais à nous deux, nous sommes capables de le retrouver.

— Je ne mets pas votre parole en doute en ce qui vous concerne, mais moi ?

— Ne faites pas le modeste. N’avez-vous pas récupéré les pierres du Grand Prêtre de Jérusalem et autres babioles ? Vous possédez un don des plus rares : ce que l’on appelle le flair.

— Certes, mais je n’étais pas seul et…

— Votre ami Adalbert ? La belle affaire ! Nous serons trois ! Et vous verrez comme elle est superbe, notre Comté !

Difficile de refuser sans être grossier ! Mis au courant, Adalbert embraya aussitôt :

— Écoute ! Même si l’histoire paraît tirée par les cheveux, une huitaine de jours au bon air nous fera le plus grand bien. Surtout après notre virée inutile à Venise puisque ton notaire était parti pour Capri et que tu as réglé les quelques affaires importantes qui t’attendaient. Alors, vive les vacances ! La pêche, la chasse…

— La première m’ennuie, la seconde ne me plaît pas ! Je déteste tuer !

— Tu admireras mes exploits ! (Et, soudain changeant de ton :) Plaisanterie mise à part, il se passe trop de choses bizarres dans le coin pour laisser notre marquise et Plan-Crépin sans protection ? Et elles veulent y aller !

— Tu crois que je n’y ai pas pensé ? Indépendamment de cela – et du plaisir que je me promets à fouiller la bibliothèque du cher Lothaire –, il y a dans ce pays accroché entre ciel et terre aux frontières de la Suisse un je-ne-sais-quoi qui m’attire. Ne fût-ce que cette haine recuite entre un père et son fils…

— … surtout quand le père en question a toutes les chances d’avoir déjà deux femmes et peut-être un homme – Sauvageol ! – a son tableau de chasse. Et à ce propos, même s’il a toute confiance dans l’inspecteur Lecoq, je serais fort étonné que Langlois ne vienne pas faire au moins un tour.

Les solennelles festivités du Collège de France s’étant achevées le lendemain, Lothaire Vaudrey-Chaumard reprit son train pour Pontarlier après un ultime festin où Eulalie le fit pleurer de bonheur – les autres aussi d’ailleurs ! –, composé d’une nage de langouste aux aromates, un foie gras entier garni de navets confits, une poule faisane aux endives, et seulement deux desserts : une feuillantine au chocolat accompagnée d’une glace à la cannelle et une tarte fine aux pommes…

— Si je n’aimais pas tant mon pays, j’achèterais un appartement près d’ici et je prendrais pension chez vous, marquise ! conclut l’historien.

— Et vous seriez déçu ! Eulalie n’est inspirée que dans les grandes occasions. Le quotidien est plus… ordinaire !

— Je vous crois volontiers, mais chez nous…

— Allons, ne faites pas le modeste ! La réputation de la cuisine comtoise n’est plus à démontrer… et j’ai des souvenirs !

On se sépara sur cet échange de politesses, mais, en allant avec Aldo fumer un dernier cigare dans le jardin communiquant avec le parc Monceau, Adalbert émit, après de longues minutes de silence :

— Tu as eu tort de dire que tu n’aimais pas la chasse.

— Pourquoi ?

— Parce que, quand on est chasseur, on emporte son fusil !

— Tu ne chasses pas non plus, que je sache ?

— Non, mais je possède tout de même une paire de Purdey que m’a offert ce cher vieux Henri Lasalle il y a quelques années. Je vais les emporter et on partagera. Et puis naturellement, on emporte l’arsenal habituel !

Aldo regarda son ami avec une curiosité amusée :

— Tu veux aller chez un honorable professeur au Collège de France armé comme un escorteur d’escadre ?

— Je n’aurais même rien contre une ou deux mitraillettes ! Réfléchis un peu, mon vieux ! Nous allons essayer de tirer au clair une affaire plus que vaseuse commencée par le meurtre sauvage d’une vieille dame et l’enlèvement de Plan-Crépin à qui sa curiosité aurait pu coûter la vie. Le jeune Sauvageol y a laissé la sienne. En même temps un illustre inconnu te fait venir en Suisse pour t’octroyer, avant de décéder, un superbe rubis dont il était persuadé qu’il était l’un des « Trois Frères », les pierres qui, avec un diamant extraordinaire, composaient le Talisman du Téméraire. Or, les « Trois Frères », c’est ton beau-père qui les possède, mais la vue du tien a réveillé sa passion collectionneuse et le voilà parti sur la piste des autres. De plus, ceux-ci appartenaient hier encore, l’un, à Dame Timmermans, reine du chocolat belge, l’autre à la belle-fille de la vieille Mme de Granlieu assassinée… qui n’a pas tardé à la rejoindre par un chemin inhabituel : elle meurt d’une émotion violente qui semble être la terreur tandis que, sous nos yeux et ceux de Kledermann, Dame Timmermans se fait dérober son rubis dans sa maison… par sa propre fille Agathe…

— Tu vas continuer encore longtemps ? Je le sais !

— Il n’est pas mauvais dans ce genre de… mélasse de faire le point de temps en temps.

— Juste ! Et ça ne s’arrange pas quand on sait qu’Isoline de Granlieu était fiancée à un certain Karl-August von Hagenthal, lequel est aussi l’amant et le futur époux d’Agathe Timmermans… vraisemblablement promise à la tombe afin que son grand amour puisse épouser la seule femme qui l’intéresse : une jeune fille que lui dispute son fils… Et que peut-on ajouter de plus à cette cuisine du diable ? La haine réciproque d’un père pour son fils ? Les derniers secrets du Téméraire ? Allons plutôt dormir, tiens ! Je t’accompagne un bout de chemin ! C’est suffisant pour ce soir !