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— N’y comptez pas ! Je resterai ici aussi longtemps que Tante Amélie. Nous ne nous séparons jamais ! Et elle a l’intention de passer quelques jours dans ce magnifique pays. Pourquoi pas moi puisqu’elle y reste ?

— Mais parce que vous êtes en danger ! Sang du Christ ! Avez-vous oublié celui qui vous avait enlevée ? Vous avez déjà eu la chance qu’il vous laisse la vie !

— Je conviens que ma situation n’était pas très brillante, fit-elle avec un demi-sourire, or vous savez pertinemment que ce n’est plus le cas ? Les miens sont de ceux qui n’acceptent pas les menaces et encore moins les ordres ! Vous devriez le savoir. Mais, au fond, vous ne les connaissez pas !

— Il faudrait pour cela que je sois sourd et aveugle ! Sourd au renom du célèbre prince Morosini et du fameux égyptologue Vidal-Pellicorne. Aveugle à ce que relatent les journaux ?

Dans son coin, Adalbert nota, non sans une certaine satisfaction, l’amertume dont se teintaient les propos de cet homme qui semblait vouloir réincarner l’un des plus flamboyants personnages de l’Histoire, ne fût-ce que par les traits de son visage et une incontestable propension à l’autoritarisme. Il apprécia moins la voix soudain douce de Marie-Angéline qui implorait :

— Pourquoi me traiter comme si j’étais une ennemie ? Je ne vous veux aucun mal, au contraire  ! Aldo et Adlalbert pourraient vous dire qu’à plusieurs reprises je les ai aidés et aussi que je suis une amie fidèle…

— J’en suis persuadé…

— ... mais ? Car c’est ce que vous alliez ajouter ?

— Vous êtes perspicace. Il y en a un en effet ! Ce qui se joue ou va se jouer ici n’a rien à voir avec le romantisme : c’est une bataille au couteau, un combat sans merci dont un seul peut sortir vivant. Alors, par pitié ne vous en mêlez pas !…

— En direz-vous autant à celle qui prétend que vous voulez l’épouser ?

— On raconte n’importe quoi ! Mais ce sont nos affaires où vous vous êtes trouvée impliquée par hasard. Alors faites-vous oublier au plus vite !

— Vous le voulez vraiment ?

— Plus que cela : je l’exige !

Elle l’enveloppa d’un regard dilaté par la colère et l’orgueil blessé :

— Qui êtes-vous pour me donner des ordres ? Voici des siècles, c’était le langage normal de celui dont vous restituez les traits, et je l’aurais accepté en saluant et vous disant « Monseigneur ». Mais c’était il y a très, très longtemps !

Elle partit en courant, ce qui permit à Adalbert de s’extraire à pas feutrés de son rideau. Il s’avança vers celui qui, l’œil fixé sur la porte, ne lui prêtait aucune attention :

— Que voulez-vous, commença-t-il sur le ton de la conversation de salon. Ils sont tous comme ça dans la famille ! Il faut seulement s’y habituer ! Apprenez que ses ancêtres ont fait les Croisades ! À l’époque, s’entend ! Ce qui vous trempait le caractère !

— Pas elle, quand même ?

— Marie-Angéline ? Elle aurait été capable de prendre Jérusalem à elle seule et je la soupçonne de cacher une épée dans le manche de son parapluie !

— Vous vous moquez ?

— Nullement ! Je serais plutôt en dessous de la vérité. Alors je vous en prie, prenez des gants avec elle !

— Je ne demande pas mieux… mais faites en sorte qu’elle s’éloigne.

— Difficile avant deux ou trois jours ! N’oubliez pas que l’on nous a invités à une fête ! Un sauve-qui-peut quelques heures avant serait du plus mauvais goût, et d’ailleurs pour quelle raison ?

— À vous de voir ! Mais je vous en conjure, éloignez Marie-Angéline !

S’il releva au passage l’usage du prénom, Adalbert n’en montra rien. Il avait envie d’aller jusqu’à l’autel dire un bout de prière, mais son adversaire – comment l’appeler autrement ? – se dirigeait justement de ce côté-là. Il lui laissa la place et regagna le château où divers corps de métiers s’activaient à la réussite de la fête. Sauf dans les chambres, les apartés allaient être difficiles… C’est alors qu’il aperçut Aldo.

Le col de son « Burberry » relevé et les mains au fond de ses poches – celle du moins qui ne réglait pas le débit de sa cigarette fumée nerveusement –, il marchait à pas lents sur le chemin longeant le lac, si visiblement avide de solitude qu’Adalbert hésita un instant à le rejoindre mais, jugeant leur situation actuelle plutôt déroutante, il décida de lui parler en le voyant jeter son mégot dans l’eau d’un geste brutal. Il y avait là aussi quelque chose qui coinçait et Adalbert pensa que l’on pouvait avoir besoin de lui. Au lieu de rentrer, il piqua un galop, sur l’herbe, puis reprit son allure habituelle quand il fut proche :

— Qu’est-ce qu’il t’a fait, ce beau lac, pour que tu lui balances des cigarettes à moitié consumées ?

Aldo tourna vers lui un regard noir :

— En dehors d’assurer la figuration mondaine à ce foutu tricentenaire, je me demande ce que nous fabriquons dans ce patelin ?

— Je partagerais volontiers ton point de vue en ce qui concerne la figuration, mais entre Vaudrey-Chaumard et toi, je te rappelle qu’il est question de certain trésor enfoui – du moins je le suppose ? – dans un endroit quelconque de ce pays et que vous espériez ramener au jour en additionnant vos vastes connaissances.

— Exact ! Au départ c’était le cas, mais j’ai l’impression – déplaisante encore que de plus en plus nette – d’avoir été invité uniquement pour me faire tirer les vers du nez par un personnage qui en sait beaucoup plus long que moi sur le sujet et qui sait surtout interroger sans rien livrer de ses connaissances.

— Rien ?

— Ou si peu ! J’ai deviné qu’il possède une partie des archives d’abbayes disparues comme celle de Mont-Sainte-Marie, près de Jougne… et de la frontière, et aussi de quelques papiers venus Dieu sait comment des châteaux de Nozeroy et de La Rivière eux aussi disparus…

— Et alors ? En quoi peux-tu lui être utile ?

— Pour apprendre ce que je sais du parcours des principales parures après Grandson et Morat, sans oublier ce qui se cache dans la collection de mon beau-père. Nos entretiens tournent de plus en plus au dialogue de sourds. Parles-en à Hubert quand tu en auras l’occasion ! Il trouve son collègue un peu sujet à caution et, s’il n’y avait pas Tante Amélie et les festivités de demain – sur lesquelles il est difficile de claquer la porte ! –, je crois qu’il serait déjà reparti pour Chinon. Ses chers druides auraient une célébration annuelle ! Je ne me souviens plus de laquelle mais tu demanderas à Plan-Crépin !

— Elle a d’autres chats à fouetter, Plan-Crépin, et je suis content que tu en parles le premier.

— Elle a un problème ?

— C’est nous qui l’avons, le problème ! Elle est en train de vivre la passion de sa vie !…

Et de raconter les inquiétudes de Tante Amélie ainsi que sa propre expérience du matin même. Ce qui n’arrangea pas l’humeur d’Aldo :

— Pourquoi ne m’avoir rien dit ? Surtout Tante Amélie ? Elle… elle n’a plus confiance en moi ?

Adalbert haussa les épaules :

— Du roman maintenant ! Manquait plus que ça ! Bien sûr que si, imbécile, elle a confiance en toi, mais comme moi elle te croyait trop enfoui dans ta chasse au trésor pour t’encombrer des battements désordonnés du cœur de Plan-Crépin.

Douché, Aldo garda le silence, puis posa sur son ami des yeux effarés :

— Elle l’aime à ce point-là ?

— Hélas, oui ! Et comment le lui reprocher ? Il a tout pour lui, l’animal ! Le chevalier sans peur et sans reproches qui l’a sauvée du péril. En plus, à une séduction naturelle, il joint sa ressemblance avec le Téméraire. Le double nimbé du malheur et de la légende ! Elle n’est pas de taille !