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Comme la pluie continuait, nous sommes restés à la ferme tout l’après-midi. Léandre s’est mis à racler dès manches d’outils, Marie et moi nous égrenions des haricots secs. Les cinq chiens dormaient autour de la cuisinière. De temps en temps, l’un d’eux se levait, allait vers Léandre ou venait poser son museau sur ma cuisse. Rien qu’à sa façon de s’approcher et au poids de sa tête je le reconnaissais. Il n’y avait que Diane et le vieux Dik qui ne venaient pas. Elle, parce qu’elle ne s’est pas encore très bien habituée à moi, et lui parce qu’il est trop vieux et qu’il peut rester un jour complet à dormir sans faire un seul mouvement.

Pourtant, ils étaient tous là. À côté de moi. J’y pensais constamment et je me disais qu’ils étaient là pour me défendre. Que je n’avais à me soucier de rien.

Le soir, nous avons veillé bien plus tard que les autres jours. Personne ne l’a fait remarquer, mais j’ai bien compris que Marie et Léandre voulaient reculer le plus possible le moment de me laisser seule.

Quand nous sommes montés nous coucher, il y avait longtemps que les chiens avaient gratté à la porte pour sortir. Et lorsque Léandre est rentré après être allé les enfermer dans la grange, il nous a dit que le ciel s’éclaircissait, que la pluie ne tombait plus guère et qu’il ferait certainement très beau le lendemain.

8

Une fois seule dans ma chambre je me suis mise à réfléchir et je me suis endormie très tard. C’est sans doute pour ça que, le lendemain matin, Marie a été obligée de venir me réveiller. Elle a ouvert les volets de ma chambre et le soleil est entré jusqu’à mon lit. Marie m’a demandé si je n’étais pas malade. J’ai répondu que non et, qu’au contraire, je me sentais très bien.

C’était vrai. J’étais heureuse simplement de constater que Léandre ne s’était pas trompé en nous annonçant le beau temps. Il me semblait que Léandre ne pouvait pas se tromper. Et je me disais aussi que toute cette lumière d’automne était là pour moi, rien que pour moi.

Avant de quitter ma chambre Marie m’a dit de ne pas trop tarder car « ce Monsieur » pouvait venir d’une minute à l’autre. Elle disait « ce Monsieur » et ça me donnait envie de rire. Je crois qu’elle ne se fait pas une idée très exacte de ce qu’est Marcel pour moi. Elle doit se représenter une espèce de fiancé dont je ne veux plus parce qu’il n’est pas très convenable.

Je me suis levée très vite parce que je commençais à goûter la tiédeur du soleil sur mon lit et que je me méfie de ma paresse.

À la cuisine, mon déjeuner était prêt. J’ai mangé, puis je suis allée dans la cour, où Léandre travaillait. Il avait sorti une masse et quatre coins de fer et il commençait d’aligner par terre les troncs empilés sous l’auvent de la grange. Comme je m’étonnais de ne pas voir les chiens, il m’a expliqué que si l’on voulait s’entretenir convenablement avec Marcel, il valait mieux que rien ne puisse l’impressionner. Et il a ajouté :

— De toute façon, s’il n’est pas seul et qu’ils fassent les méchants, Marie se tiendra prête à ouvrir la grange.

Ensuite, il s’est mis à rire très fort en empoignant le manche de sa masse.

Tout cela, le chantier de fendage, le rire un peu forcé, les chiens que Marie serait prête à lâcher, sentait un peu trop la mise en scène. J’avais pourtant confiance en Brassac. Et puis, tout bien pensé, je n’avais pas à me soucier du procédé ; le principal c’était que Marcel comprenne.

Brassac s’était mis au travail. Il avait une façon de faire tournoyer sa masse qui me rappelait les monteurs des cirques. Pourtant, d’habitude, quand il fendait du bois, il ne devait pas avoir d’autres spectateurs que ses chiens. Après tout, c’était peut-être simplement pour se faire plaisir à lui qu’il étudiait ainsi chacun de ses gestes. Je l’ai observé un bon moment et j’ai été bien obligée de reconnaître qu’il était beau à voir.

Ensuite je suis rentrée dans la cuisine. Marie épluchait les légumes pour la soupe de midi. Je me suis assise en face d’elle, et je me suis mise à éplucher aussi.

De temps en temps nous nous regardions. Marie souriait. Son sourire se voyait à peine, mais je savais ce qu’il voulait dire. Il voulait dire que Marie m’aimait bien. Moi, je souriais aussi pour lui dire que je n’avais pas peur.

Il était près de onze heures quand les chiens se sont mis à aboyer. Aussitôt Léandre a posé sa masse et s’est approché de la grange pour leur dire de se taire.

Une auto montait.

Maintenant qu’il n’y avait plus le bruit de la masse, on l’entendait bien.

Marie s’était arrêtée d’éplucher et j’ai vu que son couteau tremblait dans sa main. J’ai souri de nouveau en m’efforçant d’être calme.

L’auto est arrivée très vite sur le replat et nous l’avons entendu s’arrêter à l’entrée du chemin de terre. Je suis allée à la porte mais, de la maison, on ne voyait pas la route à cause des châtaigniers. Brassac m’a dit de rentrer vers Marie. Lui est resté debout au milieu de la cour, appuyé d’une main sur le manche de sa masse. Il était un peu essoufflé et sa poitrine poilue se soulevait plus vite que de coutume, ouvrant à chaque fois sa chemise dégrafée. Pourtant il souriait et il avait l’air très calme.

Je suis revenue vers Marie. Elle avait posé son couteau. Ses deux mains étaient sur la table. Elles tremblaient. Moi, j’avais bien un peu le sang qui me battait aux tempes, mais je n’avais pas peur. Quelques minutes se sont écoulées sans un seul bruit. Les chiens n’aboyaient plus mais l’un d’eux a grogné et Brassac lui a encore dit de se taire. Puis j’ai entendu un pas sur le sentier et, presque aussitôt, Brassac qui lançait de sa plus belle voix de théâtre :

— Adieu, Marcel (il disait Marcèèlle). Tu as pas eu trop de mal à me trouver ?

— Non, j’ai demandé en bas.

La voix de Marcel était calme. Je l’attendais. Et pourtant, ça m’a fait quelque chose de l’entendre. Tout de suite il a ajouté :

— Salut, Brassac, ça va ?

— Ça va pas mal, oui… Dis donc, c’est gentil de venir me voir !

Alors la voix de Marcel a changé. Elle s’est durcie quand il a répondu qu’il ne venait pas en visite, mais chercher sa femme.

Brassac s’est mis à rire.

— Ta femme ? Tu veux parler de Simone, je pense.

Marcel a dit que oui et il a demandé si j’étais là. J’ai compris qu’il était très nerveux et qu’il avait du mal à se contenir.

Léandre a répondu que j’étais ici et invité Marcel à entrer pour prendre un verre. Ils ont traversé la cour et Marcel est entré le premier, suivi de Léandre qui le dépassait de plus d’une tête.

Je me suis levée et j’ai dit bonjour à Marcel en lui tendant la main. Il a eu un ricanement pour me demander si je m’étais bien reposée et si les vacances me faisaient du bien. J’ai répondu « oui » simplement. Alors d’une voix qui grinçait il m’a lancé :

— C’est bon, tant mieux, mais c’est fini les vacances, va falloir rentrer.

J’allais répondre quand Léandre a demandé à Marcel ce qu’il voulait boire. J’ai vu que Marcel avait beaucoup de mal pour se retenir. Il a dit :

— Un canon sur le pouce. Je suis pressé.

Tandis que Marie apportait deux verres qu’elle emplissait de vin rouge (c’est effrayant ce qu’elle tremblait) Brassac invitait Marcel à s’asseoir. Il s’étonnait de le voir si pressé et lui demandait s’il avait tant de travail. Mais Marcel n’a pas bronché. C’est tout juste s’il a ouvert la bouche pour me dire d’aller me chausser et mettre mon manteau. Je me suis assise et j’ai dit :

— C’est pas la peine puisque je reste ici.

Je n’ai vraiment eu aucun mal à prononcer ces mots. Ils sont venus tout seuls, sans que je les aie préparés. Mais aussitôt Marcel a explosé. Il est devenu presque vert et s’est mis à crier que la plaisanterie avait assez duré et qu’on allait voir lequel commandait de lui ou de moi. Léandre, qui avait pris son verre, l’a reposé sur la table et s’est approché lentement de Marcel. Il a posé sa grosse main sur son épaule et il a dit :