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Or Jon se découvrait précisément une soif d’homme que les « Cul-sec ! » rauques de son entourage émerveillé ne laissaient pas que d’aviver. Et il se délectait d’autant mieux des exploits martiaux, cynégétiques et amoureux que s’assenaient ses compagnons. De joyeux drilles, assurément plus amusants que les princes du sang… La curiosité que lui inspiraient ces derniers, il l’avait rassasiée lors de l’entrée du cortège en les lorgnant tour à tour quasiment sous le nez.

En tête marchait la reine, aussi belle qu’on la réputait, sous la tiare de pierreries qui rehaussait son opulente chevelure d’or, et parée d’émeraudes aussi vertes que ses prunelles. Mais tandis que Père la menait vers l’estrade et l’y installait, elle affectait superbement de l’ignorer, souriant d’un sourire auquel Jon, tout gamin qu’il était, ne se méprit pas.

Lady Stark à son bras venait là-dessus le roi. Pis que décevant. Comment reconnaître jamais, dans ce poussah suant, barbu, cramoisi qui s’entravait dans ses brocarts comme un rustre éméché, l’incomparable Robert Baratheon, le héros du Trident, le prince des guerriers, le géant des princes ressassé par Père ?

Derrière avançait la marmaille. Avec autant de dignité que le comportaient ses trois ans, petit Rickon ouvrait le ban, houspillé par Bran qui devait sans cesse le dissuader de s’arrêter pour des risettes. Sur leurs talons, Robb, aux couleurs des Stark, laine grise émaillée de blanc, conduisait la princesse Myrcella : un brin de fille allant sur ses huit ans, dont les boucles d’or cascadaient sous une résille sertie de joyaux. Surprenant au passage les regards furtifs et les sourires timorés qu’elle dédiait à son frère, Jon la décréta insipide, et l’air béat de celui-ci le convainquit qu’il était trop niais pour la juger stupide.

A ses demi-sœurs étaient échus les princes. A demi perdu sous sa toison platine, le grassouillet Tommen équipait Arya, et Sansa l’héritier du trône. Malgré ses douze ans, Joffrey dominait déjà d’un pouce, au grand dam de Jon, ses aînés du nord. Aussi blond que sa sœur, il avait les yeux vert sombre de sa mère, et sa nuque, ainsi que son écharpe d’or et son grand collet de velours, disparaissait sous ses boucles tumultueuses. Agacé de voir Sansa radieuse en telle compagnie, le bâtard n’apprécia guère non plus la moue d’ennui dédaigneux que le jeune Baratheon promenait sur les aîtres de Winterfell.

Davantage l’intéressa le couple que formaient ensuite les fameux Lannister de Castral Roc. Il était impossible de les confondre. Jumeau de la reine Cersei, ser Jaime – le Lion – se distinguait tant par sa stature, sa chevelure d’or et la fulgurance de ses yeux verts que par un sourire aussi acéré qu’une dague. Des cuissardes noires et un manteau de satin noir contrastaient avec sa tunique de soie écarlate. Brodé sur sa poitrine en fils d’or rugissait d’un air de défi l’emblème de sa maison. De là venait le surnom qu’on lui décernait de face, quitte à l’affubler, dans son dos, du sobriquet moins noble de Régicide.

Jon, quant à lui, fut hypnotisé. Voilà à quoi devrait, se dit-il, ressembler un roi.

C’est sur ce seulement qu’à demi dissimulé par le premier lui apparut le dandinement du second, Tyrion. Le Lutin. Hideux benjamin de cette brillante couvée. Autant les dieux s’étaient montrés prodigues envers ses aînés, autant ils l’avaient, lui, mis à la portion congrue. Nabot, il n’arrivait pas à la ceinture de ser Jaime et, pour conserver l’allure, devait désespérément tricoter de ses jambes torses. Outre un crâne démesuré, il avait un faciès écrabouillé de brute qu’empirait la saillie monstrueuse du front. En dégoulinait une tignasse raide, filasse au point de paraître blanche, et entre les mèches de laquelle vous scrutaient si méchamment des yeux dépareillés, l’un vert et l’autre noir, que Jon demeura médusé.

Le défilé du haut parage s’acheva sur Benjen Stark, de la Garde de Nuit, qu’escortait le pupille de Père, Theon Greyjoy. En frôlant Jon, le premier lui décerna un chaleureux sourire, le second l’ignora délibérément, comme à l’accoutumée, d’ailleurs. Et, après que chacun eut gagné sa place, qu’on eut porté les toasts, échangé les compliments de rigueur, débuta le festin.

Depuis lors, Jon n’avait cessé de boire.

Soudain, quelque chose se frotta contre sa jambe, sous la table, et des yeux rouges lui adressèrent une prière muette. « Encore faim ? » demanda-t-il. Un demi-poulet au miel traînait sur la table. Il tendit la main pour y prélever un pilon puis, se ravisant, ficha son couteau dans la carcasse et la laissa choir entière entre ses pieds. A cet égard encore, il était plus chanceux que ses frères et sœurs. Eux n’avaient pas eu la permission d’amener leurs loups. Le roquet pullulant, en revanche, au bas bout de la salle, Fantôme n’offusquait personne.

Tout en maudissant la fumée qui lui piquait affreusement les yeux, Jon s’offrit une nouvelle lampée de vin puis s’amusa de la voracité de son protégé.

Dans le sillage du service, entre les tables, erraient des chiens. Flairant le poulet, une femelle noire de race indécise s’immobilisa tout à coup, patte en l’air, avant de se faufiler sous le banc pour réclamer sa part. Que donnerait la confrontation ? Jon se garda d’esquisser geste. Avec un sourd grondement de gorge, la chienne approchait. Fantôme releva la tête et, en silence, darda sur elle ses prunelles incandescentes. Trois fois plus grosse que lui, l’intruse le défia d’un jappement rageur mais lui, sans bouger d’une ligne, se contenta de défendre son bien en découvrant ses crocs. Elle retroussa ses babines et se hérissa comme pour bondir, mais elle dut juger la partie risquée car, non sans un dernier grognement de pure dignité, elle finit par s’esquiver, tandis que, nullement ému, Fantôme se remettait à manger.

Avec un large sourire, Jon se pencha pour ébouriffer la fourrure blanche de l’animal qui, un instant, s’interrompit pour lui mordiller doucement la main.

« Est-ce là l’un des loups-garous dont tout le monde me bassine ? » dit alors une voix familière.

A la grande joie de Jon, c’était Oncle Ben qui, tout en parlant, l’ébouriffait à son tour. « Oui, répondit-il, et Fantôme est son nom. »

Comme un écuyer suspendait ses contes orduriers pour lui faire place, Benjen Stark déploya ses longues jambes et, sitôt à califourchon sur le banc, saisit la coupe de son neveu : « Hm ! s’extasia-t-il sur une gorgée, du vin d’été…, rien de meilleur. Et tu en as déjà ingurgité beaucoup ? »

L’air malicieux de Jon le fit s’esclaffer : « Je vois…, autant que je craignais. Bravo. Sauf erreur, vois-tu, je n’avais même pas ton âge quand je me suis saoulé pour la première fois – mais, là, saoulé raide, loyalement ! » Là-dessus, il attrapa un oignon grillé tout dégoulinant de graisse juteuse dans lequel ses dents mordirent en crissant.

Par un singulier contraste avec ses traits émaciés, ravinés comme un éboulement rocheux, les yeux gris-bleu d’Oncle abritaient en permanence l’ombre d’une hilarité. Il avait troqué pour la fête l’austère tenue de la Garde de Nuit contre une riche tunique de velours noir, une large ceinture à boucle d’argent et de hautes bottes de cuir. Une lourde chaîne d’argent pendait à son cou. Tout en croquant dans son oignon, il examinait Fantôme d’un air amusé. « Terriblement paisible…, lâcha-t-il enfin.

— Il ne ressemble nullement aux autres, expliqua Jon. On ne l’entend jamais. C’est pour ça que je l’ai baptisé Fantôme. Et aussi parce qu’il est blanc. Alors que les autres ont un pelage sombre, du gris au noir.