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— Assis, Fantôme, commanda Jon. Bien. Calme, maintenant, calme… Vous pouvez le toucher, à présent, il ne bronchera pas. Je l’ai dressé à m’obéir au doigt et à l’œil.

— Je vois, dit le nain, qui se mit à flatter la bête entre les oreilles. Gentil petit loup.

— En mon absence, il vous sauterait à la gorge, affirma Jon, quoique l’assertion fut pour le moins prématurée.

— Dans ce cas, tu fais bien de te trouver là, rétorqua le nain en inclinant son énorme tête pour lui décocher un regard louche de ses yeux vairons. Je suis Tyrion Lannister.

— Je sais », dit Jon en se relevant. Une fois debout, il dépassait le nain, et ce constat lui fit un effet bizarre.

« Quant à toi, tu es le bâtard de Ned, n’est-ce pas ? »

Brusquement glacé jusqu’aux moelles, Jon semordit les lèvres sans répondre.

« Navré si je t’ai fâché, mais les nains sont dispensés de tact. Des générations de bouffons qui cabriolent en livrée bigarrée m’ont valu le droit de m’accoutrer à la diable et de proférer toutes les horreurs qui me traversent la cervelle. » Un large sourire l’illumina. « Tu n’en es pas moins le bâtard.

— Lord Eddard Stark est en effet mon père », admit-il sèchement.

Avec effronterie, l’autre le dévisagea. « Oui, dit-il, et ça se voit. Tu tiens du nord plus que tes frères.

— Demi-frères, rectifia Jon qui, secrètement ravi de l’observation, préférait n’en rien montrer.

— Laisse-moi te donner un conseil, reprit Tyrion. N’oublie jamais ce que tu es, car le monde ne l’oubliera pas. Puise là ta force, ou tu t’en repentiras comme d’une faiblesse. Fais-t’en une armure, et nul ne pourra l’utiliser pour te blesser. »

Mais Jon n’était pas d’humeur à supporter les conseilleurs. Il maugréa : « Comme si vous saviez ce qu’est la bâtardise !

— Aux yeux de leur père, les nains sont toujours bâtards.

— Mais vous êtes par votre mère un Lannister légitime…

— Ça…, riposta Tyrion d’un air sardonique, va en persuader le seigneur mon père. Comme ma mère est morte en me donnant le jour, il n’a jamais pu obtenir de confirmation.

— Moi, j’ignore même qui fut ma mère.

— Une femme, je présume. Il n’y a guère d’exceptions. » Il gratifia le garçon d’un sourire sinistre. « Souviens-toi de ceci, mon garçon : tous les nains peuvent être bâtards, mais tous les bâtards ne sont pas forcés d’être nains. »

A ces mots, il tourna les talons et, sans se presser, repartit festoyer tout en sifflotant. Mais, au moment où il poussa la porte, la lumière en provenance de l’intérieur déginganda sa silhouette en travers de la cour et, quelques secondes, lui décerna une prestance véritablement royale.

CATELYN

De tous les appartements de Winterfell, ceux de Catelyn étaient les plusdouillets. Il était rarement nécessaire d’y faire du feu. Les bâtisseurs du château avaient capté les sources chaudes sur lesquelles il s’élevait pour en irriguer, tel un organisme vivant, fondations et murailles, en attiédir les immenses salles de pierre, entretenir dans les jardins d’hiver une chaleur humide et empêcher la terre d’y geler. Dans les nombreuses courettes à ciel ouvert flottait nuit et jour la vapeur des bassins. Et si ces aménagements n’importaient guère, à la belle saison, ils séparaient, durant la mauvaise, la vie de la mort.

Ainsi l’eau brûlante embuait-elle en permanence les bains de lady Stark, et les murs de sa chambre avaient sous la main le moelleux d’une chair. Cette ambiance douce lui rappelait Vivesaigues, le soleil et les jours enfuis, Edmure et Lysa…, mais Ned ne pouvait la souffrir. « L’élément naturel des Stark est le froid », disait-il volontiers, s’attirant chaque fois la réplique moqueuse que, dans ce cas, ils s’étaient singulièrement trompés de site pour édifier leur demeure.

Il ne s’en laissa pas moins, sitôt dénouée leur étreinte, rouler de côté, selon son usage invariable, et, sautant à bas du lit, traversa la pièce, écarta les lourdes draperies puis, une à une, ouvrit toutes grandes à l’air de la nuit les hautes fenêtres en forme de meurtrières.

Catelyn remonta les fourrures jusqu’à son menton et le contempla, dressé contre les ténèbres et les mugissements du vent. Sa nudité, ses mains vacantes le faisaient paraître moins grand, plus vulnérable, tel enfin que le tout jeune homme épousé quinze longues années plus tôt. Les reins encore endoloris, mais non sans agrément, par la frénésie de l’assaut, elle se surprit à souhaiter qu’y lève la graine. Trois ans déjà depuis Rickon. Elle n’avait pas encore passé l’âge. Oh, lui donner un nouveau fils…

« Je vais refuser », dit-il en se retournant brusquement, l’air hagard et la voix mal assurée.

Elle se mit sur son séant. « Tu ne peux pas. Tu ne dois pas.

— Mon devoir est ici. Je n’ai aucune envie d’être la Main de Robert.

— Il ne le comprendra pas. Il est roi, maintenant, et les rois diffèrent du commun des mortels. Si tu refuses de le servir, il s’en étonnera puis, tôt ou tard, te suspectera d’être un opposant. Ne vois-tu pas quel danger tu nous ferais courir ? »

Il secoua la tête d’un air incrédule. « Aucun. Il ne saurait vouloir de mal ni à moi ni aux miens. Nous étions plus liés que des frères. Il m’aime. Mon refus le fera rugir, maudire, tempêter puis, dans huit jours, nous en rirons tous deux. Je le connais… par cœur !

— Tu connaissais l’homme. Le roi, lui, t’est étranger. » L’idée de la louve morte dans la neige, un andouiller fiché en travers de la gorge, la hantait. Il fallait coûte que coûte dessiller Ned. « L’orgueil est tout pour un roi, beau sire. Robert s’est donné la peine de venir jusqu’ici t’offrir en personne ces honneurs insignes, et tu les lui jetterais à la face ?

— Trop d’honneur ! ricana-t-il amèrement.

— Pas à ses yeux, répliqua-t-elle.

— Ni aux tiens, c’est ça ?

— Ni aux miens », riposta-t-elle vertement. Tant d’aveuglement l’irritait. « Et sa proposition de fiancer nos enfants, comment la qualifies-tu ? Sansa régnerait un jour, et ses propres fils exerceraient un pouvoir absolu sur les territoires allant du Mur aux pics de Dorne. Que trouves-tu là de si fâcheux ?

— Bons dieux ! Catelyn…, Sansa n’a que onze ans, et Joffrey…, Joffrey est…

— L’héritier du Trône de Fer, conclut-elle vivement. Moi, j’avais douze ans quand mon père m’engagea à ton frère. »

Cette riposte amena sur les lèvres de Ned un rictus aigre. « A Brandon. Voilà. Brandon, lui, saurait quoi faire. Il savait toujours, Brandon. D’office. Tout lui revenait, à Brandon. Toi, Winterfell, tout. Tout et le reste. Il était né pour faire une Main du Roi comme pour engendrer des reines. Pour vider cette coupe que pas un instant je ne songeai lui disputer.

— Il se peut. Mais sa mort te l’a transmise et, que tu le veuilles ou non, force t’est d’y boire. »

Se détournant d’elle, il affronta de nouveau la nuit. Les yeux perdus dans les ténèbres, que scrutait-il ? la lune et les étoiles ? ou, tout simplement, les sentinelles du chemin de ronde ?

En le voyant si malheureux, elle se radoucit. Il l’avait épousée, selon la coutume, pour suppléer Brandon, et l’ombre du frère disparu n’avait cessé de s’interposer. Tout comme celle de la femme dont il avait eu son bâtard et qu’il se gardait de nommer.

Elle s’apprêtait néanmoins à le rejoindre, face à la nuit, quand, contre toute attente, on heurta à la porte, et sans ménagements. Ned se retourna, les sourcils froncés. « Qu’y a-t-il ?

— C’est mestre Luwin, répondit Desmond derrière le vantail. Il est là, dehors, et demande à être reçu d’urgence.