Tandis qu’elle la délivrait, Nymeria lui mordillait passionnément la main. Au soleil, ses yeux jaunes miroitaient tels des sequins d’or. Nymeria, l’amazone et reine de Rhoyne qui mena son peuple au-delà du détroit. Encore un scandale… Alors que la sage Sansa baptisait la sienne Lady. Tellement plus original, songea-t-elle avec une grimacetout en embrassant Nymeria dont les coups de langue lui arrachaient de petits rires chatouilleux.
Que faire, maintenant ? Mère devait déjà être au courant. Regagner sa chambre ? On l’y trouverait, et elle n’y tenait nullement. Surtout qu’elle caressait un projet autrement plaisant. Les garçons s’entrainaient dans la cour, et elle désirait voir le prince des galants mordre la poussière sous les coups de Robb. « Viens », murmura-t-elle, et elle partit en courant vers la galerie suspendue qui joignait l’arsenal au donjon. Elle aurait de là vue imprenable sur la lice.
En y parvenant, rouge et hors d’haleine, elle trouva la place occupée. Assis dans l’embrasure de la fenêtre, Jon, le menton posé sur un genou, suivait les assauts avec tant d’attention qu’il ne parut noter l’arrivée des intruses qu’à l’émoi subit du loup blanc. Nymeria s’avança d’un pas circonspect. Plus grand déjà que le reste de sa portée,Fantôme la flaira, lui taquina prudemment l’oreille et se rallongea.
« Tiens ! s’étonna Jon. Et tes travaux de couture, sœurette ? »
Elle plissa le nez. « J’avais envie d’assister aux assauts. »
Il sourit. « Grimpe, alors. »
Elle escalada la tablette et s’y installa contre lui. D’en bas montait un concertde chocs mats et de grognements.
A son grand dépit, c’était le tour des benjamins. On avait tellement capitonné Bran qu’il semblait pris dans un édredon. De dodu, le Tommen avoisinait désormais le rond. Ahanant, haletant, ils entrechoquaient leurs lattes matelassées sous l’œil vigilant de ser Rodrik Cassel, l’allure d’un foudre de bière et d’admirables favoris blancs. Une poignée de spectateurs, tant adolescents qu’adultes, encourageaient les combattants de la voix, celle de Robb dominant les autres. Aux côtés de celui-ci, Arya repéra le doublet noir et l’hydre d’or de Theon Greyjoy, sa bouche tordue par un souverain mépris. A voir les adversaires tituber, elle jugea la rencontre fort avancée.
« Un tantinet plus épuisant que le petit point, railla Jon.
—Un tantinet plus excitant que le petit point », riposta-t-elle. Avec un sourire, il leva la main et l’ébouriffa gentiment. Elle rougit de plaisir. Ils s’étaient toujours entendus. Jon avait comme elle les traits de Père. Eux deux seuls. Robb, Sansa, Bran et même petit Rickon étaient des Tully tout crachés, avec leur jovialité naturelle et la flamme de leurs cheveux. Tout enfant, Arya s’était effrayée de la différence : était-elle donc une bâtarde, aussi ? Et c’est Jon qu’elle avait consulté sur ce point. Et c’est Jon qui l’avait rassurée.
« Pourquoi ne te trouves-tu pas avec les autres, en bas ? demanda-t-elle.
— Il n’est pas permis aux bâtards d’avarier la chair de roi, sourit-il, finaud. Son moindre bobo lui doit venir, à l’exercice, d’armes légitimes.
— Oh ! » s’ébahit-elle comme d’une révélation. La vie était par trop injuste, décidément.
Pendant ce temps, Bran administrait à Tommen une somptueuse raclée. « J’en pourrais faire autant, décida-t-elle. Il n’a que sept ans, moi neuf.
— Trop maigre », pontifia Jon du haut de ses quatorze. Il lui palpa les biceps, branla du chef en soupirant : « Tu n’aurais même pas la force de soulever une épée, sœurette. Ni, à plus forte raison, celle de la manier. »
Elle se dégagea vivement, si vexée qu’il l’ébouriffa de nouveau. Sous leurs yeux, Bran et Tommen se tournicotaient autour.
« Tu vois le Joffrey ? » demanda-t-il.
Elle le chercha, finit par le repérer dans l’ombre du rempart, en retrait. Des gens l’entouraient, qu’elle ne connaissait pas. De jeunes écuyers portant la livrée Lannister ou Baratheon. Tous étrangers. Et quelques hommes plus âgés. Des chevaliers, probablement.
« Examine les armes de son surcot… », conseilla-t-il.
Il s’agissait d’un riche écusson brodé. Du superbe travail d’aiguille. Strictement mi-parties, les armes comportaient le cerf couronné d’un côté, de l’autre le lion.
« La fatuité des Lannister, commenta-t-il. L’emblème royal devrait suffire, tu diras ? nenni. Voilà qui met à égalité la mère et le père…
— La femme compte aussi ! » s’indigna-t-elle.
Il étouffa un ricanement. « Alors, imite-le, sœurette, en mariant dans tes armes Tully et Stark ?
— Le poisson dans la gueule du loup…, pouffa-t-elle, voilà qui serait cocasse ! Mais, au fait, puisqu’une fille ne peut se battre, à quoi rimerait un blason ? »
Il haussa les épaules. « Les filles prennent les armes et non l’épée. Les bâtards prennent l’épée et non les armes. Ce n’est pas moi qui ai fait les règles, sœurette. »
D’en bas soudain, montèrent des clameurs. Le prince Tommen avait roulé dans la poussière et se débattait sans parvenir à se relever. Sa carapace boursouflée lui donnait l’aspect d’une tortue sens dessus dessous. Prêt à frapper derechef sitôt qu’il le verrait debout, Bran brandissait sur lui son épée de bois. L’assistance se mit à rire.
« Suffit pour aujourd’hui ! tonna ser Rodrik en tendant la main pour aider le prince à se remettre sur ses pieds. Beau combat. Lew, Dennis, veuillez les désarmer. » Il jeta un regard circulaire : « Prince Joffrey ? Robb ? que diriez-vous d’un nouvel assaut ? »
Déjà mis en nage par l’essai précédent, Robb s’avança néanmoins, plein d’ardeur : « Volontiers ! »
Tout en rentrant dans le soleil où sa chevelure prit un éclat d’ors martelés, Joffrey maugréa : « Vous nous prenez pour des gamins, ser Rodrik…
— Gamins vous êtes ! répliqua Greyjoy, goguenard.
— Robb, admettons. Moi, je suis prince. Et j’en ai assez de souffleter des Stark avec une épée pour rire.
— Hé, Joff ! s’écria Robb, des soufflets, vous en avez moins donné que reçu… Vous ferais-je peur ?
— Vous me terrifiez ! riposta le prince d’un air altier. Vous êtes tellement plus grand que moi…» Des rires épars retentirent, côté Lannister.
«Quel petit merdeux ! » décréta Jon avec une moue de dégoût.
Les doigts empêtrés dans la neige de ses favoris, ser Rodrik finit par demander gauchement : « Que préconisez-vous donc, prince ?
— Un combat réel.
— Soit ! approuva Robb, et vous vous en repentirez ! »
Dans l’espoir de le rendre plus raisonnable, ser Rodrik lui posa la main sur l’épaule : « Trop dangereux. A fleurets mouchetés, voilà tout ce que je puis tolérer. »
Par son mutisme, Joffrey semblait consentir quand un imposant chevalier, noir de poil et défiguré par des cicatrices brunes, fendit brusquement la presse. « Qui êtes-vous donc, ser, pour oser moucheter l’épée de votre prince ?
— Le maître d’armes de Winterfell, et je vous saurais gré de vous en souvenir, Clegane.
—Entraînez-vous des femmelettes ? ironisa l’autre, en faisant rouler ses muscles de taureau.
— J’entraîne des chevaliers, répliqua Rodrik, mordant. Ils manieront l’acier lorsqu’ils seront prêts. Lorsqu’ils auront l’âge.
— Quel âge as-tu, mon garçon ? demanda la face calcinée, interpellant Robb.
— Quatorze ans.