Выбрать главу

— Et si vous ne m’aviez pas retrouvé ? Savez-vous, mon ami, que j’ai dû passer pour mort pendant près d’une année ? Ma mère et mon parrain, l’abbé de Talhouet, doivent le croire encore.

— Nous n’en avons rien su et c’est très bien ainsi puisque vous êtes là. Ainsi, mon grand-père connaissait le secret ?

— Et il ne l’a pas partagé avec vous !

— Pourquoi l’aurait-il fait ? Ce n’était pas le sien.

Un instant, Gilles considéra avec émotion ce garçon si cruellement atteint dans sa chair et pratiquement condamné à la misère avec les deux femmes qui lui étaient le plus cher et qui, cependant, parlait avec sérénité d’une fortune placée à portée de sa main et à laquelle il s’interdisait de toucher.

— Pierre, dit-il, le trésor se trouve dans le tombeau de mon ancêtre Raoul de Tournemine à l’abbaye de Saint-Aubin.

Le jeune homme joignit les mains dans un geste où il y avait plus d’horreur que d’émerveillement.

— Dans le tombeau ? Monsieur le chevalier, s’il faut pour le reprendre violer une sépulture, il vaut mieux le laisser où il est ! Le mort se vengerait sur vous, sur nous… Peut-être se venge-t-il déjà : grand-père est tombé malade si subitement !

— Rassurez-vous ! il n’est pas question de violer quoi que ce soit. Le trésor se trouve « sur » le tombeau et non pas dedans.

— Sur le tombeau ? Comment se fait-il, en ce cas, que personne ne l’ait découvert ?

Gilles haussa les épaules et se mit à rire.

— Après tout, peut-être l’a-t-il été. Cela m’étonnerait car la cachette est habile mais vous pensez bien que le découvreur, si découvreur il y a, se sera bien gardé de se vanter de sa trouvaille. La seule façon de savoir si les joyaux de l’ambassadeur sont toujours à leur place est d’y aller voir… et d’y aller voir discrètement. Je ne nous vois guère allant demander à l’abbé la permission de faire nos fouilles en plein jour.

— D’autant que l’abbaye n’est plus ce qu’elle était. Elle est en pleine décadence et l’abbé qui vit à Lamballe n’y est pas souvent. Quelques moines y subsistent encore et ils sont assez faméliques.

— Eh bien, fit joyeusement Gilles en tapant sur l’épaule du jeune homme, si nous retrouvons le trésor, nous leur ferons un don pour qu’ils le soient moins. Mais si vous voulez m’en croire, nous irons voir la chose de nuit et avec le maximum de discrétion. Aussi je reprends ma question de tout à l’heure avec une variante : est-il possible d’entrer dans l’église sans se faire remarquer… et comment ?

— Par la petite porte qui ouvre directement sur la route de Saint-Denoual. On ne la ferme jamais pour le cas où quelque malheureux paysan d’alentour pourrait avoir besoin du secours de Dieu… et d’ailleurs il y a beau temps que les objets précieux, les tapisseries et les vases d’or sont à Lamballe.

— À merveille ! Eh bien, Pierre, dès que nous aurons rendu nos derniers devoirs à ton grand-père, nous irons à Saint-Aubin. Autrement dit : demain soir. Ce sera vite fait : une lieue et retour à cheval, ce n’est rien.

— C’est que… je ne peux guère monter à cheval avec ma jambe. Mieux vaudra que vous y alliez seul…

— Jamais de la vie ! Tu as participé aux recherches, tu participeras à la découverte. Je te prendrai en croupe…

Pour toute réponse, Pierre fit un rapide signe de croix en homme qui se demande comment il se tirera de l’épreuve mais, pour la première fois depuis longtemps, un sourire de bonheur vint éclairer son visage amaigri.

Le vieux Joël confié à la terre chrétienne avec tout le respect qu’il méritait et tout le cérémonial breton, Gilles, Pierre et Pongo se préparèrent pour leur expédition. Anna tint à leur préparer un bon souper, tenant bien au corps et qui les préserverait un peu de la fatigue et du mauvais temps. Car, peu après l’enterrement de Joël Gauthier, un gros orage avait éclaté, suivi d’une pluie diluvienne qui avait, en un rien de temps, transformé les chemins en fondrières. Elle continuait à tomber, presque sans vent ce qui pouvait signifier qu’elle était là pour un moment. La température avait d’ailleurs baissé considérablement et il faisait presque froid.

Bien lestés d’une solide soupe aux choux garnie de lard, de galettes au beurre fondu et de cidre, les trois hommes se disposèrent à quitter La Hunaudaye. Mais, au moment où ils allaient sortir, Madalen vint à Gilles, lui fit une révérence et, en rougissant très fort, glissa dans sa main une petite médaille qu’elle avait dû prendre parmi celles qui se dissimulaient dans la guimpe bien amidonnée de sa robe.

— Afin que sainte Anne d’Auray vous protège, notre maître ! murmura-t-elle avant de tourner les talons et de courir cacher sa confusion dans la pièce voisine où les femmes avaient leurs lits. Mais l’éclat humide des grands yeux violets avait frappé le chevalier et il baisa la petite médaille avant de la joindre au testament du moine dans la poche intérieure de son habit.

La pluie continuait, douce et têtue, et arrachait des reflets à tout ce sur quoi se posait la lumière de la lanterne qu’Anna élevait bien haut pour éclairer le départ.

— Vilain temps ! grogna Pongo qui, depuis son expérience dans la Delaware, détestait l’eau de tout son cœur.

— Tu n’y connais rien, fit Gilles joyeusement. C’est un temps parfait pour ce que nous allons faire. Nous ne rencontrerons pas âme qui vive et les moines seront tous dans leurs lits.

Il était déjà en selle. Tout en maugréant, Pongo aida Pierre à s’installer en croupe derrière lui avant de sauter à cheval à son tour, armé de la lanterne que lui passa Anna.

— Dieu vous garde ! lança Anna quand la petite troupe se dirigea vers la poterne. Prenez soin de ne pas glisser…

La recommandation n’était pas superflue. Un conglomérat de pierres et de boue grasse rendait le chemin difficile, même la route qui, de Pleven à Lamballe, traversait la lande et la forêt de La Hunaudaye et qui était une ancienne voie romaine. Il n’était pas loin de minuit quand les trois cavaliers arrivèrent en vue du vaste groupe d’édifices isolé, au fond d’une lande cernée par la forêt.

Pas une lumière ne brillait et le silence y était si total, si pesant, que l’on aurait aussi bien pu croire abandonnés ces grands bâtiments groupés autour de leur église dont la tour carrée imposait sa puissance à l’écran noir de la nuit. Les yeux perçants de Gilles et de Pongo distinguèrent sans peine derrière des murs à demi écroulés, un vaste jardin envahi par les herbes folles et dont une partie servait de cimetière, des murailles lézardées ici ou là et quelques toits dont les bardeaux pointaient vers le ciel.

— Il ne reste plus que l’église, un beau cloître Renaissance, le logis de l’abbé et deux bâtiments conventuels, soupira Pierre. Autrefois, c’était, paraît-il, une riche et puissante abbaye. Ainsi l’avait voulu Olivier de Dinan, son fondateur, mais le temps, et puis le manque de foi ont fait leur œuvre.

— Combien sont-ils là-dedans ?

— Une dizaine tout au plus, tant moines que frères convers.

— Nous avons mis beaucoup de temps pour venir. À quelle heure chantent-ils matines ?

— Oh ! pas avant quatre ou cinq heures du matin. La plupart des moines sont âgés et puisque la règle veut que l’office soit chanté entre minuit et le lever du jour, ils allongent leur nuit autant qu’ils le peuvent. Tenez, prenez ce chemin à main droite, ajouta le jeune homme quand on fut à un carrefour où s’élevait un calvaire.

Quelques secondes plus tard, tous trois mettaient pied à terre à l’ombre des grandes murailles de l’église et se dirigeaient vers la petite porte basse qui ouvrait près du chevet. Elle s’ouvrit avec un léger grincement.