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Il régnait à l’intérieur une humidité glaciale que les plus fortes chaleurs de l’été ne devaient jamais réussir à vaincre entièrement et une obscurité profonde. Pongo battit le briquet et se hâta d’allumer sa lanterne qu’il tendit à Pierre.

Le jeune homme guida tout d’abord Tournemine vers l’autel devant lequel tous deux s’agenouillèrent pour une courte prière avant de se retourner vers les profondeurs obscures de la vaste nef.

— Les tombeaux sont sur la gauche, chuchota-t-il, dans la partie qui ouvre sur le cloître du couvent.

En effet, passé un grand pilier angulaire, la lumière de la lanterne révéla d’abord un grand enfeu contenant plusieurs dalles gravées, puis deux tombeaux plus récents, assez bas et de facture plutôt sobre, enfin un monument plus imposant édifié le long d’un mur.

— Tenez, dit Pierre, voilà le tombeau de l’ambassadeur.

Mais Gilles l’avait déjà identifié. Il se dressait, puissant et magnifique mais élégant et sans lourdeur : une dizaine de statues d’une grâce achevée semblaient soutenir la dalle sur laquelle reposait le gisant du baron. Mains jointes, revêtu de son armure, les yeux clos, Raoul de Tournemine vivait son éternité dans une totale sérénité. Deux anges agenouillés encadraient le coussin où reposait sa tête et, à ses pieds, un chien était couché entre un blason où s’inscrivaient les armes du seigneur et un grand casque fièrement couronné de laurier dont la vue fit battre un peu plus vite le cœur de son descendant.

— C’est une belle chose, n’est-ce pas ? murmura Pierre en allant déposer sa lanterne sur un angle du tombeau. Je crois que seuls les ducs de Bretagne ont eu si noble sépulture.

— J’espère seulement que les leurs sont mieux habitées, marmotta Gilles songeant avec une pitié révoltée au merveilleux artiste qui avait créé cette splendeur et que son talent avait conduit à une mort si cruelle. À l’œuvre, à présent, car ce sera justice que priver de son trésor un homme à ce point dépourvu d’entrailles ! Éclaire-moi ! ordonna-t-il à Pongo en s’approchant du casque.

L’une après l’autre, ses mains palpèrent les feuilles de la couronne. En dépit de l’émotion qui le bouleversait, elles ne tremblaient pas et accomplissaient leur travail calmement, méthodiquement. Allait-il réussir à trouver la feuille mobile ? Tant de temps avait coulé et l’humidité de cette église était si grande que la pierre pouvait coincer, que le mécanisme intérieur avait pu rouiller. Ses doigts fermes poussèrent, tirèrent, grattèrent chacune des feuilles sans succès. En dépit de la fraîcheur ambiante, il avait chaud tout à coup, sentant un filet de sueur couler le long de son dos.

— Si pas possible ouvrir, souffla Pongo, moi chercher de quoi briser la chose.

— Non car alors ce serait profaner… Il faut que je trouve, il le faut.

Ce fut, naturellement, la dernière qui céda. La feuille qui se trouvait sur l’arrière du casque, à gauche du nœud de ruban liant la couronne, s’ouvrit comme le couvercle d’une tabatière quand Gilles tira dessus un peu fort… Un triple soupir de soulagement se fit entendre.

Le chevalier prit alors, à son cou, la feuille de bronze, fit un rapide signe de croix et l’appliqua dans la cavité découverte puis appuya dessus…

Dans l’épaisseur des pierres un léger déclic se fit entendre.

— La… la visière ! souffla Pierre… Elle se lève…

— Chien aussi ! fit Pongo.

En effet, avec une extrême lenteur, la visière ciselée du casque se levait tandis que le corps de la levrette s’ouvrait comme un couvercle. La gorge soudain sèche, Gilles éleva la lanterne qu’il avait saisie…

La nuit parut s’emplir de lumières, de couleurs, de fulgurances. La cavité du casque était pleine de perles et de pierres non montées : rubis, émeraudes et saphirs surtout dont les facettes renvoyaient les couleurs de l’arc-en-ciel mais c’était le corps du chien qui détenait les parures. Comme le casque, l’intérieur de l’animal était doublé de velours et, sur ce velours, colliers, bracelets, bagues et pendentifs s’entassaient sur une fabuleuse chaîne de rubis énormes qui reposait au fond avec une bague et une agrafe de toque faites des mêmes pierres.

Muets d’admiration, les yeux ronds, Pierre et Pongo regardaient les longs doigts du chevalier faire revivre, sous la lumière pauvre de leur lanterne, les pierres sanglantes qui dormaient là depuis si longtemps après avoir brillé sur la poitrine et la tête de César Borgia, le prince-fauve de la Renaissance.

— Mes amis, dit Gilles calmement, nous voilà riches !

— Vous voilà riche, corrigea doucement Pierre. Nous n’avons aucun droit sur ceci.

— Sauf celui de la fidélité, sauf celui que t’a acquis la grandeur d’âme de ton grand-père. Nous allons emporter tout ceci, Pierre, et tu en auras ta part.

Mais le jeune homme hocha la tête négativement.

— Non, monsieur le chevalier. Je n’en saurais que faire. Rachetez La Hunaudaye et faites de moi votre intendant, cela, oui je l’accepterai car cela réalisera mon rêve et les miens pourront continuer à vivre dans la dignité sur cette terre que nos ancêtres cultivent et servent depuis la nuit des temps. Mais rien d’autre !

Spontanément, Gilles attira le jeune estropié à lui et l’embrassa.

— Tu n’as plus rien à craindre ni pour toi ni pour les tiens. Sur le salut de mon âme, je ferai votre bonheur. Ta mère vivra en bourgeoise, ta sœur aura…

Il s’arrêta soudain. Il allait dire « une dot » mais à la suite de ce mot c’était la silhouette imprécise d’un mari qui apparaissait et une soudaine répugnance lui venait à l’idée de confier un jour la lumineuse enfant aux bras d’un homme, quel qu’il soit…

— Dépêchons-nous ! dit-il en conclusion. Il faut rentrer, à présent.

Homme de précaution, Pongo s’était muni d’un sac de toile. À eux trois, ils eurent vite fait d’y entasser le trésor que l’Indien chargea sur son dos après l’avoir soigneusement ficelé.

— Nous rentrer, dit-il avec un large sourire. Chemin aussi difficile pour revenir que pour aller…

Avant de quitter l’église, Gilles tint néanmoins à s’agenouiller une nouvelle fois devant l’autel pour une ardente action de grâces et, peut-être, pour que Dieu les préserve, lui et tous ceux qui allaient bénéficier du trésor retrouvé, de la vengeance de l’ancien propriétaire.

Quelques instants plus tard, l’église de Saint-Aubin retombait dans son silence et son obscurité tandis que, sous la pluie qui n’avait pas cessé, les trois compagnons reprenaient le chemin de La Hunaudaye, laissant seulement derrière eux des traces mouillées qui n’inquiéteraient guère les moines lorsque, tout à l’heure, ils viendraient chanter matines. Ne laissaient-ils pas ouverte la porte de leur église afin que le passant, le voyageur égaré pût trouver asile ou simplement abri en cas de besoin ?

1. En Bretagne, la mort est représentée par un squelette habillé conduisant une charrette.

2. Gros bâton noueux dont ne se sépare guère le paysan breton.

CHAPITRE XV

RENCONTRE À LORIENT

— Pour vos pauvres, pour les prisonniers que vous rachetez, pour les filles que vous dotez et pour tous ceux à qui vous donnez tout ce que vous avez, même votre nécessaire…

Sans songer à dissimuler sa surprise, l’abbé de Talhouet regarda tour à tour son filleul, puis l’imposant sac d’or qu’il venait de déposer sur ses genoux puis, à nouveau, son filleul.

— Où as-tu trouvé cela ? Reviens-tu de Golconde ou bien…

— Ou bien ai-je fait un pacte avec l’Autre ? dit Gilles en riant tandis que le recteur d’Hennebont, légèrement choqué, se signait discrètement. Non, monsieur, je n’ai rien fait de tout cela. J’ai simplement retrouvé le trésor des Tournemine.