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— Oh ! je ne le sais que trop, renchérit Mrs McGillicuddy. En ce qui me concerne, bien sûr, personne ne m’interdit de me pencher, mais pour tout dire, surtout après les repas, et depuis que j’ai repris un peu de poids…

Elle baissa les yeux vers ses formes imposantes :

— … cela me donne des douleurs cardialgiques.

Un ange passa, puis Mrs McGillicuddy s’immobilisa et, solidement campée sur ses deux jambes, se tourna vers son amie :

— Alors ?

Le mot était anodin, mais le ton employé par Mrs McGillicuddy ne l’était pas, et miss Marple en saisit parfaitement la signification.

— Je sais, dit-elle.

Les deux dames échangèrent un regard.

— Je crois, reprit miss Marple, que nous devrions faire un petit tour au poste de police et en parler au sergent Cornish. C’est un homme intelligent et pondéré, je le connais bien, et il me connaît aussi. Je suis certaine qu’il nous écoutera… et qu’il fera passer l’information à qui de droit.

Trois quarts d’heure plus tard, miss Marple et Mrs McGillicuddy se trouvaient en présence d’un homme à la trentaine avenante et au visage sérieux, qui écoutait avec beaucoup d’attention ce qu’elles avaient à lui confier.

Frank Cornish avait accueilli miss Marple avec une cordialité qui n’excluait pas le respect. Il avait d’emblée invité les deux dames à s’asseoir avant de s’enquérir :

— Que puis-je faire pour vous, miss Marple ?

À quoi miss Marple avait répondu :

— Soyez assez aimable pour écouter mon amie, Mrs McGillicuddy, vous raconter ce qui lui est arrivé.

Or donc, le sergent Cornish écoutait. Le récit achevé, il resta un long moment silencieux.

Enfin il décréta :

— Pour une histoire extraordinaire, c’est vraiment une histoire extraordinaire.

Tout en parlant, il jaugeait discrètement du regard son interlocutrice.

Et il était favorablement impressionné. Une personne de bon sens, qui s’exprimait avec clarté pour raconter son histoire. Il n’avait pas en face de lui, pour autant qu’il pût en juger, une de ces hystériques victimes de leur imagination débridée. Qui plus est, miss Marple semblait accorder du crédit au dire de son amie. Or, il connaissait on ne peut mieux miss Marple. Tout le monde, à St Mary Mead, connaissait miss Marple : frêle et tremblotante créature qui cachait, sous cette apparente fragilité, un de ces esprits lucides et perspicaces comme on n’en fait plus guère.

Il s’éclaircit la gorge avant de reprendre :

— Évidemment, vous avez pu vous tromper… Entendez-moi bien : je ne prétends pas que vous vous soyez trompée, mais que vous auriez pu le faire. Les gens ont souvent des comportements bizarres — il s’agissait peut-être d’un jeu, sans rien de grave ni de fatal.

— Je sais ce que j’ai vu, rétorqua sombrement Mrs McGillicuddy.

« Et vous n’en démordrez pas, songea Frank Cornish, et quelque chose me dit que, si bizarre que soit cette histoire, vous pourriez bien avoir raison. »

Puis, à haute voix :

— Vous avez alerté le bureau du chef de gare, et vous êtes venue m’en parler. C’était la bonne marche à suivre, et vous pouvez compter sur moi pour lancer des investigations.

Il se tut. Miss Marple hocha lentement la tête, l’air satisfaite. Mrs McGillicuddy, elle, n’était pas tout à fait satisfaite, mais elle n’en laissa rien paraître. Le sergent Cornish reprit, en s’adressant à miss Marple dont il était curieux d’entendre la réaction :

— En admettant que les faits soient conformes à ce qui nous a été dit, qu’a-t-il pu advenir du cadavre, d’après vous ?

— Il semble n’y avoir que deux possibilités, répondit miss Marple sans l’ombre d’une hésitation. La plus probable, bien sûr, est qu’on l’ait abandonné dans le train. Mais cela semble désormais douteux, car il aurait été découvert depuis hier soir, soit par un voyageur, soit par les employés du chemin de fer.

Frank Comish hocha la tête.

— La seule autre possibilité, c’est qu’il ait été jeté du train par l’assassin. Il devrait donc, je présume, se trouver quelque part le long de la voie où on ne l’a pas encore découvert — encore que ceci paraisse quelque peu invraisemblable. Mais je ne vois pas comment on pourrait raisonner autrement.

— On lit quelquefois des histoires de cadavres cachés dans des malles, intervint Mrs McGillicuddy. Mais plus personne, de nos jours, ne voyage avec une malle, et on ne peut pas mettre un cadavre dans une valise.

— En effet, convint Comish. Je suis d’accord avec ce que vous dites l’une et l’autre. Le cadavre, si cadavre il y a, aurait déjà dû être découvert, ou ne tardera pas à l’être. Je ne manquerai pas de vous tenir au courant si un nouvel élément apparaît — mais je suis certain que les journaux vous l’apprendront aussi. Il reste, bien entendu, la possibilité que cette femme, malgré la sauvage agression dont elle a été l’objet, ne soit pas morte. Et qu’elle ait pu quitter le train par ses propres moyens.

— Pas sans aide, objecta miss Marple. Or, un homme soutenant une femme dont il aurait dit qu’elle était malade, cela ne serait pas passé inaperçu.

— Oui, ça se serait remarqué, acquiesça Cornish. Idem si on avait trouvé une femme malade ou inconsciente dans l’un des wagons et si on l’avait conduite à l’hôpital. À mon avis, vous ne tarderez pas à réentendre parler de cette histoire.

Mais il n’en fut rien, ni ce jour-là ni le suivant. Dans la soirée du surlendemain, miss Marple reçut un mot du sergent Cornish :

En ce qui concerne l’affaire pour laquelle vous êtes venue me voir, des recherches minutieuses ont été entreprises mais n’ont donné aucun résultat. Aucun cadavre de femme n’a été découvert. Aucun hôpital n’a eu à soigner une femme correspondant au signalement fourni, et il n’existe aucun témoignage faisant état d’une femme, malade ou en état de choc, qui aurait été vue quittant la gare en compagnie d’un homme. Je puis vous assurer que toutes les pistes ont été explorées. Je suis tenté de croire que votre amie a bien été le témoin de la scène qu'elle nous a décrite, mais qu'elle s’en est exagéré la gravité.

3

— « Exagéré la gravité » ? Il en a de bonnes, votre sergent ! fulmina Mrs McGillicuddy. C’était un assassinat !

Elle se tourna vers sa vieille amie avec un air de défi :

— Allez-y, Jane, ne vous gênez pas ! Dites-le donc, que je me suis trompée sur toute la ligne ! Que cette histoire n’est que pure imagination de ma part ! C’est ce que vous pensez vous aussi maintenant, n’est-ce pas ?

— N’importe qui peut se tromper, répondit miss Marple avec douceur. N’importe qui, Elspeth… même vous. Je crois que nous ne devons jamais l’oublier. Cependant je persiste à penser, voyez-vous, que vous ne vous êtes probablement pas trompée… Vous avez besoin de lunettes pour lire mais, de loin, votre vue est excellente — et ce que vous avez vu vous a terriblement impressionnée. Vous étiez en état de choc manifeste à votre arrivée ici.

— C’est un épisode de ma vie que je ne pourrai jamais oublier, frissonna Mrs McGillicuddy. Le problème, c’est que je ne sais plus que faire.

— À mon avis, murmura miss Marple d’un ton méditatif, il n’y a plus rien que vous puissiez faire. (Si Mrs McGillicuddy avait été plus sensible aux nuances de voix, sans doute aurait-elle remarqué une légère emphase sur ce vous.) Vous avez rendu compte aux employés du chemin de fer et à la police de ce que vous aviez vu. Non, il n’y a rien de plus à faire en ce qui vous concerne.