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Il lui donna brièvement quelques instructions.

Puis il se rhabilla en toute hâte, rajouta un certain nombre de produits dans sa trousse de secours et courut à sa voiture.

* * *

Trois bonnes heures d’horloge s’étaient écoulées quand Lucy et le médecin, aussi exténués l’un que l’autre, se retrouvèrent dans la cuisine devant deux grands bols de café noir.

— Ah ! fit le Dr Quimper en vidant le sien d’un trait. J’en avais besoin ! Et maintenant, miss Eyelesbarrow, venons-en aux faits.

Lucy le regarda. Ses traits accusaient la fatigue, le faisaient paraître plus vieux que ses 44 ans. Il avait les tempes grisonnantes et des rides sous les yeux.

— Pour autant que je puisse en juger, dit-il, ils semblent tous aller mieux. Mais que s’est-il passé ? Voilà ce que je veux savoir. Qui a préparé le dîner ?

— Moi, dit Lucy.

— Et ça se composait de quoi ? En détail.

— Consommé aux champignons. Poulet au curry accompagné de riz. Un sabayon pour le dessert. En entremets, foies de volaille au bacon.

— Des canapés Diane, dit le Dr Quimper.

Lucy sourit à cette remarque inattendue :

— Oui, des canapés Diane.

— D’accord. Approfondissons les choses. Le consommé aux champignons… en boîte, je présume ?

— Certainement pas. Je l’ai préparé moi-même.

— Préparé vous-même ? À partir de quoi ?

— Une demi-livre de champignons frais, du bouillon de poule, du lait, un roux de beurre et de farine, plus le jus d’un citron.

— Je vois. Et on est censé s’écrier : « Ç’a dû être les champignons ! »

— Les champignons n’y sont pour rien. J’ai pris de ce consommé moi-même, et je vais très bien.

— Exact. Vous, vous allez très bien. C’est que je me disais aussi.

Lucy rougit :

— Si vous croyez que…

— Je ne crois rien du tout. Vous n’êtes pas née de la dernière pluie. Si je soupçonnais ce que vous pensez, vous seriez vous aussi dans votre chambre en train de vous tordre de douleur. D’ailleurs, je sais très bien qui vous êtes. J’ai pris la peine de me renseigner sur votre compte.

— Mais pourquoi, au nom du ciel ?

— Parce que je considère de mon devoir de vérifier les antécédents de tous ceux qui viennent habiter dans cette maison. Vous êtes quelqu’un de tout à fait recommandable, qui fait ce métier pour vivre, et vous semblez n’avoir jamais eu le moindre contact avec la famille Crackenthorpe avant de venir ici. Il n’y a donc aucune raison de penser que vous êtes la petite amie d’Alfred, de Harold ou de Cedric et que vous avez aidé votre joli cœur à faire une sale besogne.

— Vous pensez vraiment que… ?

— Je pense à un tas de choses, dit Quimper. Mais je me dois d’être prudent. Le métier de médecin n’est pas une sinécure. Mais continuons plutôt. Le poulet au curry. Vous en avez mangé aussi ?

— Non. Quand on a préparé un curry, rien que l’odeur suffit à vous rassasier. Je l’ai goûté, bien entendu. J’ai pris seulement du consommé et du sabayon.

— Comment avez-vous servi ce sabayon ?

— Dans des coupes individuelles.

— Et qu’est-ce qui, de tout ça, a été nettoyé ?

— Vous voulez parler de la vaisselle, faite ou pas ? Tout a été lavé et remis en place.

Le Dr Quimper émit un grognement :

— Voilà ce qui s’appelle être trop zélé.

— Oui, je m’aperçois qu’étant donné la façon dont les choses ont tourné, j’aurais été mieux avisée de m’abstenir. Mais ce qui est fait est fait.

— Qu’est-ce qui vous reste encore ?

— Un peu de curry — dans un bol, dans le placard. J’avais l’intention de m’en servir, demain soir, pour préparer un potage. Il y a aussi un petit reste de consommé aux champignons.

— Je vais emporter le curry, et le consommé. Et pour ce qui est du chutney ? Vous en aviez mis sur la table ?

— Oui. Dans un de ces pots en grès.

— Je le prendrai également.

Il se leva :

— Je monte les revoir tous. Après ça, puis-je vous confier les lieux jusqu’à demain matin — ou jusqu’à tout à l’heure, devrais-je plutôt dire ? Ayez l’œil sur tout le monde. Je peux vous envoyer une infirmière munie des consignes nécessaires à partir de 8 heures.

— J’aimerais que vous m’indiquiez le fond de votre pensée. Pensez-vous qu’il s’agisse d’un empoisonnement alimentaire ou bien… ou bien… d’un empoisonnement tout court ?

— Je vous l’ai déjà dit. Un médecin ne peut pas se livrer à des élucubrations — il doit se forger une certitude. Tout dépendra des résultats de l’analyse de ces restes. Si cela ne donne rien…

— Si cela ne donne rien ? répéta Lucy.

Le Dr Quimper lui posa la main sur l’épaule :

— Il y a deux personnes que je vous recommande plus particulièrement. Veillez bien sur Emma. S’il devait lui arriver quelque chose…

Il y avait, dans sa voix, une émotion qu’il ne parvenait à dissimuler :

— Elle n’a pas encore commencé à vivre. Et, voyez-vous, des êtres comme Emma Crackenthorpe sont le sel de la terre… Emma… bref, Emma compte beaucoup pour moi. Je ne le lui ai jamais avoué, mais je le ferai un jour. Veillez sur Emma.

— Comptez sur moi, promit Lucy.

— Et n’oubliez pas le vieux. Ce n’est certainement pas, de tous mes patients, celui que je préfère, mais ce n’en est pas moins mon patient, et je m’en voudrais de laisser l’un ou l’autre de ses voyous de fils — ou les trois — l’expédier ad patres histoire de mettre la main sur son magot.

Une petite lueur dansa soudain au fond de ses prunelles :

— Et voilà ! J’ai encore trop parlé. Quoi qu’il en soit, ouvrez l’œil, miss Eyelesbarrow, soyez chic fille. Et, incidemment, demeurez bouche cousue.

* * *

L’inspecteur Bacon n’en revenait pas :

— De l’arsenic ? Vous avez bien dit de l’arsenic ?

— Oui. Dans le poulet au curry. Voici ce qu’il en reste. Je n’ai procédé qu’à une analyse sommaire sur un petit échantillon, mais le résultat est là.

— Nous avons donc affaire à un empoisonneur ?

— Ça m’en a tout l’air, fit le Dr Quimper, mi-figue mi-raisin.

— Et ils sont tous atteints, dites-vous — à l’exception de miss Eyelesbarrow ?

— Oui. Tous, sauf elle.

— Ce qui la met dans un sacré pétrin…

— Quel motif aurait-elle bien pu avoir ?

— Elle a peut-être un grain, suggéra Bacon. Il arrive que ces gens-là aient l’air tout à fait normaux alors qu’ils ont, comme dit l’autre, définitivement perdu les pédales.

— Miss Eyelesbarrow n’a pas perdu les pédales. C’est le médecin qui parle. Miss Eyelesbarrow est aussi saine d’esprit que vous ou moi. Si miss Eyelesbarrow avait saupoudré d’arsenic la nourriture dont elle a gavé toute la famille, elle ne l’aurait pas fait sans raison. En outre, s’agissant d’une fille aussi intelligente, elle aurait pris soin de ne pas être la seule à ne souffrir d’aucun malaise. Ce qu’elle aurait fait ? Ce que tout empoisonneur avisé aurait fait : elle aurait absorbé une quantité minime du curry à l’arsenic et en aurait ensuite exagéré les symptômes.

— Et vous n’auriez pas été capable de vous en apercevoir ?

— Qu’elle en avait ingurgité une dose plus faible que n’avaient fait les membres de la famille ? Probablement pas. Les gens ne réagissent pas tous de la même façon aux poisons : à dose égale, certains seront plus incommodés que d’autres.