Si au moins la vieille n’avait pas été là, j’aurais pu prendre du bon temps avec les filles.
Jacqueline ne m’avait toujours pas pardonné les gifles de la nuit. Sa mère non plus, d’ailleurs. Et maintenant que nous nous trouvions réunis, Sylvie n’osait plus me parler.
Il y avait de l’électricité dans l’air. Le moindre bruit nous faisait sursauter…
Jacqueline et Sylvie ont épluché les légumes pour le pot-au-feu. Leur mère tournait dans la cuisine, comme une âme en peine. Moi, j’allais d’un fauteuil à l’autre, essayant de lire « Le Pèlerin ». Mais je ne pouvais déchiffrer les lettres noires qui grouillaient devant moi.
Le farniente me faisait bouillir. D’avoir revu Max et son boy-scout, ça m’avait flanqué la nostalgie de l’action. Je n’allais pas m’enraciner dans cette maison bourgeoise, avec cette vieille dame et ses filles. Il fallait que je m’arrache de là avant d’y avoir pris goût ! Je n’allais pas sombrer dans la tasse de thé et la bouillotte !
Ma décision a été vite prise. J’ai sauté sur mes jambes et frappé dans mes mains en criant :
— Rassemblement ! Venez par ici toutes les trois !
Il y a eu des chuchotements dans la cuisine, et elles ont fini par rappliquer.
— Écoutez, ai-je attaqué après les avoir bien dévisagées. Je vais vous faire une proposition honnête.
— Vous ! a laissé tomber Jacqueline, méprisante.
— Oh, ça va, hein ? Vous ferez de l’esprit plus tard !
Je n’avais pas envie de crier.
— Aidez-moi à retrouver les bijoux !
Elles ont cru que je plaisantais. Seulement mon regard a eu vite fait de les détromper.
— Quand je les aurai, je décamperai, ai-je ajouté…
— Je croyais que vous aviez cherché partout ? a murmuré Mme Broussac.
— En effet !
— Eh bien, alors, que pouvons-nous de plus ?
— Les grandes astuces sortent toujours des petits crânes. Vous connaissez mieux la maison que moi. Maurice y a été môme… Quand on est enfant, on s’amuse à trouver des cachettes astucieuses…
Elles se sont regardées, indécises.
— Vous aimeriez me voir filer, je suppose ? Tant que les bijoux seront ici, je resterai, et Maurice essayera de venir les récupérer. Vous avez bougrement intérêt à ce que je les trouve, non ?
— C’est entendu, a soupiré Mme Broussac. Nous allons les chercher…
— Bon. Alors, au travail…
CHAPITRE X
Pour du travail, ç’a été du travail. Quasi scientifique !
Nous sommes montés tout d’abord au grenier, et nous avons tout exploré, centimètre par centimètre : les meubles, les murs, les plafonds, les planchers. Puis nous sommes redescendus en passant de chambre en chambre…
Elles s’intéressaient à ce travail… Une espèce de sombre fureur les animait. Elles voulaient en finir… Pour cela, elles devaient découvrir une poignée de bijoux…
Nous avons visité le rez-de-chaussée… Bureau, salle à manger, cuisine, cabinet de toilette, débarras…
Ensuite la cave…
Au fur et à mesure que se rapetissait notre champ d’exploration, je sentais que Maurice était plus malin que nous quatre réunis.
S’il était revenu chez sa mère, c’est qu’il savait qu’il existait dans la vieille demeure une planque introuvable ! Une planque lui permettant de dormir sur ses deux oreilles…
Nos recherches ont duré trois heures. Il était une heure de l’après-midi lorsque nous avons eu terminé. Nous étions fatigués par ces piétinements, ces allées et venues…
J’étais furieux.
— C’est bon, ai-je déclaré, puisque c’est ainsi, attendons.
Elles avaient des figures plutôt moroses, ces dames.
Tout à coup, comme nous allions passer à table, Sylvie a fait claquer ses doigts.
— J’ai une idée !
— Qu’est-ce que c’est ?
— Venez avec moi !
Je l’ai suivie à la cave.
Il faut vous dire que le sous-sol était divisé en trois compartiments. Il y avait la cave à vin, à un niveau inférieur aux deux autres compartiments. Puis la cave à charbon où se trouvait la chaudière, enfin une sorte de réserve où l’on entreposait les légumes…
La cave à charbon était fermée par une porte de fer… Sylvie a tiré le verrou et elle est entrée. J’étais intrigué… d’autant plus que nous venions justement d’explorer cet endroit.
— Alors, cette idée ?
— Le charbon ?
— Quoi ?
— Sous le charbon il existe une trappe de fer. Elle masque une niche qui contenait l’ancien compteur d’eau…
L’idée était plus que bonne.
— Dites, c’est formidable !
J’ai empoigné la pelle servant à charger la chaudière et je me suis transformé en soutier.
À la quatrième pelletée, un gros bruit m’a fait sursauter… C’était la porte de fer qui venait de le produire en le refermant. Le verrou hâtivement tiré a miaulé.
J’ai gagné la porte pour essayer de la repousser. C’est un geste qu’on fait toujours en pareil cas, même en comprenant qu’il est inutile.
J’étais bel et bien prisonnier. La petite garce m’avait possédé dans les grandes largeurs. Le bruit de ses talons dans l’escalier de la cave a décru…
Après un haussement d’épaule, je me suis remis au travail. Il fallait procéder par ordre ; et avant tout vérifier si cette histoire de trappe était vraie.
Après une heure d’effort, je me suis aperçu qu’elle ne l’était pas. Sylvie m’avait raconté ça uniquement pour pouvoir m’emprisonner.
J’étais bien trop en colère pour me laisser aller à un éclat quelconque… Je me méprisais Cordialement. M’être laissé manœuvrer par ces femmes, après que le fils m’eût possédé, voilà qui portait un coup grave à mon standing !
Je me suis assis sur un billot de bois pour réfléchir. Alors une ombre est venue me bouffer le jour tombant du soupirail. J’ai regardé, c’était Mme Broussac.
— Monsieur Lino ! a-t-elle appelé.
— Oui ?
Je… Ma fille cadette vous a fait une farce…
Elles avaient fait le tour de la situation et compris qu’elles étaient trop chétives pour garder un tigre prisonnier. Ça les menait où ? À rien… Elles savaient que dehors j’avais des complices. Des complices que ma disparition inquiéterait.
— Vous m’entendez ?
— Bien sûr…
— Il faut la comprendre ; elle a pris peur et…
— Finissez vos salades et ouvrez si vous en avez l’intention ! ai-je rétorqué.
Mon calme l’impressionnait.
— J’espère que vous ne lui en tiendrez pas rigueur… Je…
Les Bourgeois de Calais, quoi ! On me ramenait les clés de la taule ! En chemise si je l’exigeais, et la corde au cou.
— Écoutez, chère madame, je n’ai pas envie de parler. Encore une fois ouvrez… sinon j’agirai…
D’autres ombres remuaient, à l’arrière-plan, celles des deux filles. Elles n’osaient pas se montrer. C’était la mère, une fois de plus, qui encaissait le sale turbin. Son vieux visage ridé, anxieux, navré, était plaqué contre la rose de fer barrant le soupirail.
— Si vous tardez, Madame Broussac, vous savez ce que je vais faire ? Non ?
Je devenais franchement sadique ; j’avais besoin de lui foutre la trouille bien à fond, de la saccager.
— Je vais me mettre à charger la chaudière, Mme Broussac. Je laisserai la porte du cendrier ouverte et je vous promets que la température grimpera dans les pièces… Jusqu’à ce que votre installation pète et que ça inonde la maison…