Выбрать главу

— Lino ?

— Oui.

— Dis-moi, bonhomme, à quoi joues-tu, j’aimerais bien savoir…

— Je t’expliquerai…

Ça, c’était pour gagner du temps. Que pouvais-je lui expliquer ? Il ne s’y est pas trompé d’ailleurs.

— J’ai décidé de régler cette affaire aujourd’hui, Lino, tu m’entends ?

— Bien sûr…

— Je te donne une demi-heure pour nous expédier une des bonnes femmes, n’importe laquelle, au choix… Passé ce délai, ça sera autre chose de mieux… Tu me connais quand je prends le coup de sang ?

Il a raccroché.

J’ai sorti mon mouchoir de ma poche pour m’essuyer le visage. Je transpirais d’émotion. Un instant, j’ai eu l’idée d’aller flinguer Max et son King-Kong dans leur voiture… Ça n’était pas une solution. Encore une fois Max avait raison et il avait le bon droit pour lui ! Il me restait une demi-heure pour prendre une décision.

Jacqueline s’est avancée dans l’encadrement de la porte.

— Ainsi je n’ai pas le droit de sortir ?

— Non !

— Que se passe-t-il, M. Lino ? a demandé Mme Broussac.

Monsieur Lino !

— Rien… Envoyez votre petite ouvrière en courses si vous voulez !

— Très bien, a murmuré Jacqueline, pincée…

Elle est sortie dans le jardin pour appeler Jeanne. La vieille me sondait d’un œil inquiet.

— Il est arrivé quelque chose ? m’a-t-elle demandé. Vous ne semblez pas dans votre état normal !

— Oh ! laissez-moi…

Je suis sorti à mon tour dans le jardin. Jacqueline donnait de l’argent à Jeanne. Quand la môme s’est éloignée, elle m’a regardé.

— Si vous me disiez, vous ne pensez pas que…

— Non !

— J’ai peur !

Et moi, alors, je n’avais pas peur peut-être ? Parfaitement, peur ! Peur comme je ne croyais pas qu’il fût possible d’avoir peur !

J’ai secoué la tête.

— Vous m’emmerdez, allez faire votre tambouille…

Furieuse, elle m’a laissé. Je la décevais. Elle devait regretter à mort sa légère faiblesse de la nuit.

J’ai marché dans les hautes herbes mouillées. La pluie venait de cesser, mais de grosses gouttes tombaient des arbres. Ça me dégoulinait dans le cou… Justement, j’avais besoin de fraîcheur derrière la tête… Ce sacré mal m’administrait ses petits coups de maillet lancinants…

Que faire ? Aller supplier Max ? Il ne marcherait pas. J’avais amené Maurice, et Maurice l’avait blousé, j’étais responsable !

On avait tout essayé pour récupérer les bijoux. Il ne restait que cette ultime tentative…

Je ne sais pas combien de temps j’ai passé dans ce jardin en friche qui sentait le mouillé et la pomme pourrie. Toujours est-il que le téléphone a retenti de nouveau. Maintenant la vieille était au pas. Elle n’a pas décroché. Je suis allé répondre…

Comme j’entrais dans le bureau, elle a murmuré :

— Monsieur Lino, prenez les patins de feutre !

Parce que j’avais les souliers crottés ! Des patins de feutre à cet instant ! C’était risible, et pourtant c’est ça qui me retenait de les laisser mettre en l’air ! Leur naïveté, leur sincérité… Leurs petites marottes de dames seules…

— J’écoute ?

C’était encore Max.

— Lino, c’est le dernier avertissement que je te donne ! Dans cinq minutes, il va y avoir du sport…

Et de raccrocher, sec, de toutes ses forces, comme s’il me foutait une claque.

C’est alors que j’ai pris ma décision. Je suis allé fermer la porte du bureau et je me suis approché de Mme Broussac.

— Il faut que je vous parle.

— Enfin ! a-t-elle soupiré.

— Voilà ce qui se passe… Maurice est en ville !

— Mon Dieu !

— Chut, ne dites rien à vos filles…

« Il est dans le café, près de l’église. Seulement ma bande l’a repéré et il va lui arriver malheur s’il sort… Il faut que vous y alliez tout de suite…

— Mais oui, bien sûr…

— Dites-lui qu’il reste dans le café jusqu’à nouvel ordre. Dans l’après-midi je lui enverrai une voiture… Bref, je me débrouillerai…

J’étais rouge comme un coquelicot ! Quelle salope je faisais !

— Filez sans vous faire remarquer, ai-je recommandé encore. Tout le monde doit rester calme…

Elle a noué son grand châle noir sur sa poitrine plate. Puis elle est venue vers moi. Elle a passé son bras autour de mon cou.

— Vous êtes un bon petit, a-t-elle murmuré. Un bon petit… Je n’oublierai jamais… Merci !

Elle est partie, furtive.

Moi, je me suis appuyé contre le bureau à cause d’un point qui me perçait la poitrine comme une épée de feu.

CHAPITRE XIV

N’était-ce pas la meilleure solution ? Puisque quelqu’un devait mourir, dans cette maison, n’était-il pas normal que ce fût le plus vieux…

Après tout, elle en avait assez bavé, Mme Broussac. Elle avait droit au grand repos… J’espérais que Max mettrait, toute la sauce afin qu’elle ne souffre pas.

Jacqueline est entrée.

— Ma mère n’est pas là ?

— Je ne sais pas…

— Comment, vous ne savez pas ! Elle se trouvait ici il y a deux minutes !

— Il ne faut pas longtemps pour sortir d’une pièce… Vous ne me l’avez pas donnée à garder, si ?

— Pourquoi me parlez-vous sur ce ton, aujourd’hui ?

— Et encore je fais un effort ; si je m’écoutais, je crois que je la bouclerais…

Elle a secoué tristement la tête.

— C’est étrange…

— Qu’est-ce qui est étrange ?

— Vous savez aussi bien être ignoble que pathétique !

Elle ne sentait donc pas que sa vieille était en danger.

Je croyais que ça existait, la voix du sang ! Moi, si j’avais eu une vraie mère, j’aurais reniflé ça…

— Jacqueline !

Je lui ai sauté dessus. J’ai pris sa bouche sous la mienne, de force au début, mais elle a eu vite fait de se laisser aller.

Je la serrais à l’étouffer, pas pour avoir son corps contre le mien, pas pour dévorer ses lèvres de fille, mais parce qu’il me semblait que c’était une espèce de moyen de protéger Mme Broussac. Vous ne pouvez pas comprendre. Je voulais réussir à combattre le destin, rien qu’avec cette communion intense… J’espérais faire deviner à Jacqueline qu’il existait, tout près, une catastrophe en mouvement… Une affreuse catastrophe qu’à force de frénésie on pouvait peut-être éviter.

Je fermais les yeux, je la broyais contre moi… Elle était pantelante…

Et puis, soudain, je l’ai lâchée. Un bruit hideux venait de retentir dehors… Un bruit de freins, un choc flasque, un cri… Le tout simultané, amalgamé…

J’ai couru… Ça y était… Je n’avais pas pu détourner le cours des choses. Je n’étais qu’un pauvre ballot comparé au destin.

L’atelier était vide. Dehors, le père Victor hurlait des lamentations près d’un tas sombre. L’auto de Max avait déjà disparu…

* * *

Mme Broussac était toute recroquevillée au milieu de la rue ! La figure sur les pavés. Elle avait les yeux fermés et elle geignait doucement, comme on geint en rêve, parfois… Elle se tenait sur le flanc, les bras réunis sur son fichu…

— Quel malheur ! Quel grand malheur ! pleurnichait Victor…

Jacqueline est arrivée. Elle n’a pas dit un mot. Elle s’est agenouillée par terre, a soulevé la tête de sa mère… Doucement, doucement, comme si elle avait peur de briser ce qui lui restait de vie…