— Et alors ! Et alors ! s’est-il mis à beugler en italien. Qu’est-ce que vous foutez là ? Où vous croyez-vous ! Faut-il que j’appelle la police ?
Bien à l’abri de sa faiblesse, il nous a dévidé un chapelet d’insultes.
— Sortons, ai-je dit à Maurice…
C’est alors qu’il a joué son va-tout ! Je n’ai jamais vu un coureur à pied piquer un démarrage aussi foudroyant. Le temps que je comprenne, il avait déjà quatre mètres d’avance sur moi.
Quand je suis arrivé à la sortie de l’enclos, j’ai aperçu sa silhouette qui se fondait dans la foule des fêtards…
Et quelque chose m’a dit que je ne le rattraperais plus. En tout cas, pas de cette façon.
CHAPITRE III
Elles étaient toutes dans l’atelier quand je suis revenu : Mme Broussac, sa fille aînée, et l’autre, la dernière, que je n’avais pas encore vue, une jolie petite fille de seize ans, avec des nattes blondes et un début de poitrine bien placée.
Elles parlaient avec le vieux type aux lunettes cassées, et ce qu’elles disaient ne devait pas être marrant, car elles faisaient des figures d’enterrement.
Mon arrivée a été comme un orage qui éclate brutalement. Vous savez : on se balade à la campagne, sans prendre garde au gros nuage qui glisse dans le ciel. Un coup de tonnerre : et puis le nuage se fait hara-kiri et c’est la rincée.
Elles ont sursauté. J’étais le coup de tonnerre qui déclenche tout. Mme Broussac avait un fichu noir avec de longues franges. Elle l’a serré contre elle comme si, brusquement, un méchant courant d’air venait de s’établir.
Je leur ai fait un gentil sourire. Mais j’ai déjà remarqué que mon visage ne se prête pas aux mondanités. Je crois bien que lorsque je veux être gracieux je fais davantage peur. Cela tient sans doute à mes épais sourcils noirs, à mon regard brillant, pointu, et à ma bouche aux coins un peu tombants… Oui, je pense que ça vient de là… Ou alors c’est que lorsque je souris on aperçoit un peu de ce qui fermente dans mon crâne.
— Bonjour !
J’ai pas pensé à enlever mon chapeau parce que j’étais préoccupé. Ça a choqué ces dames, naturellement.
— Venez par ici, ai-je fait à la vieille dame en montrant la porte du fond. Il faut que je vous parle.
J’ai marché devant. Elles m’ont suivi toutes les trois, sans parler. J’ai arpenté l’allée de graviers qui menait au perron. Une fois les marches gravies, j’ai ouvert la porte et me suis effacé pour les laisser entrer. On aurait pu croire que c’était moi qui les recevais.
Une fois dans le corridor, la fille aînée a refermé la porte. Puis elle a attaqué :
— Que nous voulez-vous encore ?
J’ai haussé les épaules.
— Qui êtes-vous ? a questionné la mère.
— Un policier… Ça ne se voit donc pas ?
Elles se sont regardées. Je n’arrivais pas à détacher mes yeux de la dernière.
Je n’avais jamais vu d’aussi près une jeune fille avec de longs cheveux blonds et une petite frimousse sérieuse. À Paris, on n’en trouve plus, des vraies jeunes filles, jolies, réservées, avec du maintien et leur virginité. C’est de l’espèce en voie de disparition, comme certains animaux.
Elle me regardait aussi, mais d’un air réprobateur…
À la dérobée. Depuis sa première jupe on devait lui seriner qu’il ne fallait jamais regarder les messieurs dans les yeux.
— Un policier ! a soupiré la mère… Qu’est-ce qu’il a fait, encore ?
— Des choses, ai-je soupiré… Des choses qui ne se font pas, justement !
Elle a fermé les yeux et s’est adossée au mur. La fille aînée a poussé un grand cri :
— Maman !
La vieille a fait un signe négatif, comme pour dire qu’on ne devait pas se tourmenter. C’était juste une faiblesse : l’émotion.
Elle était pâle, avec les narines pincées. Maurice lui ressemblait beaucoup. Ça m’a frappé.
— Il n’a tué personne ? a-t-elle demandé.
Décidément, elle s’attendait à tout de la part de son rejeton.
— Oh ! non, tout de même…
— Alors ?
— Mettons qu’il a commis une… indélicatesse !
Le terme m’a botté. Tu parles ! Pour une indélicatesse, c’en était une, et de première grandeur.
— Il ne vous a rien donné à garder ? leur ai-je demandé en les considérant tour à tour d’une manière un peu appuyée.
— Mais… non !
Elles ne devaient pas savoir mentir.
— Il est pourtant venu cacher des trucs par ici.
— Qu’appelez-vous des trucs ? a demandé la grande.
— Des bijoux.
— Volés ? a demandé la plus jeune.
C’était la première fois que je l’entendais parler, celle-là. Elle avait une voix claire qui allait avec ses nattes et sa figure.
— Bien sûr, mon chou. S’il les avait gagnés dans une tombola, il ne les cacherait pas !
— Mais pourquoi les aurait-il cachés ici ? a soupiré Mme Broussac.
— Parce qu’ils ne sont pas vendables pour le moment. Leur signalement a été diffusé partout. Pour écouler cette marchandise, il faut faire appel à des spécialistes… Maurice n’en connaît pas. Il est neuf dans le métier…
— Il nous tuera à coup de scandales !
Bon, elle se lançait dans les jérémiades d’usage. Moi, j’avais autre chose à fiche qu’à les entendre.
Je suis sorti pour inspecter un peu le jardin.
Derrière la maison, il se transformait en verger. Les hautes herbes étouffaient les arbres et on devait faucher le clos une fois par an. Encore ne devait-il pas donner du très bon foin.
Je l’ai parcouru dans tous les sens, sans trouver rien de suspect. Nulle part la terre n’avait été remuée… J’aurais dû me douter que cette ordure de Maurice était bien trop cossard pour enfouir son trésor au pied d’un arbre ! Il aurait eu trop peur de faire des ampoules à ses jolies mains en creusant.
Les femmes étaient embusquées derrière la fenêtre du bureau et suivaient mes faits et gestes avec anxiété. Je leur ai adressé un petit geste amical et je suis rentré… Il m’aurait fallu une baguette de sourcier avec la manière de m’en servir. Je sentais que les bijoux se trouvaient dans la maison. Maurice avait dû dénicher une chouette planque. Ça m’excitait.
J’ai inspecté toutes les pièces, en me consacrant particulièrement aux sommiers, à l’intérieur des cheminées et au dessus des armoires. Chou blanc !
Ensuite, j’ai visité la cave, parce que c’est un endroit qui, à première vue, semble idéal pour y cacher quelque chose. Quand j’en suis remonté, j’étais noir comme un ramoneur et j’avais des toiles d’araignée en feston au bord de mon chapeau.
La nuit était tombée et une odeur appétissante venait de la cuisine. Une odeur d’aubergine frite…
La fille aînée m’a vu déboucher de la cave, depuis son fourneau. Elle avait noué un tablier blanc qui lui donnait un petit air de soubrette très affriolant.
— Vous avez… trouvé ?
— Rien. Vous permettez que je me lave les pognes ?
Je suis allé me nettoyer au cabinet de toilette. Tout en me savonnant les mains, je réfléchissais. J’avais deux missions à accomplir, auxquelles il était impossible que je me dérobe : premièrement retrouver le magot ; deuxièmement liquider Maurice… Si j’échouais, c’est moi qui payais les pots cassés. Je connaissais Max. Il ne badinait pas avec ce genre de plaisanterie. Depuis le dernier coup fourré, il ne me regardait plus pareil. Je voyais clairement qu’il me soupçonnait d’être de connivence avec ce salaud de Maurice.