Malheur! J'allais revoir ce qui m'est cher
Senta, ma fille, et mon toit secourable,
Quand de ce gouffre il souffle un vent d'enfer,
Se fier au vent, c'est compter sur le diable!
(Allant à bord.)
Mais à quoi bon?... Déjà l'air est moins lourd,
Pareil orage sera court.
(Aux Matelots.)
Holà! vous, c'est assez veiller, reposez-vous,
Je n'ai plus peur.
(Les Matelots descendent dans la cale.-Au Timonier.)
Toi, timonier, demeure.
Il faut veiller pour nous.
Tout est au mieux, mais veillons à toute heure.
LE PILOTE.
Ne craignez rien,
Capitaine! Dormez bien.
(Daland rentre dans sa cabine.)
SCÈNE II
LE PILOTE.
(Le Pilote est seul sur le pont. L'ouragan s'est un peu calmé et ne reprend plus que par intervalles. Au large les vagues s'élèvent énormes. Le Pilote fait encore une fois la ronde; puis il s'assied au gouvernail. Bientôt il sent venir le sommeil, il se secoue et chante.)
Malgré vents et tempête,
Auprès des miens,
Ma belle, je reviens.
L'ouragan sur ma tête
En vain gronda,
Ma belle, me voilà.
Sans un bon vent du sud, jamais
À toi je ne reviendrais.
Ah! souffle! souffle encor, bon vent,
Ma belle en ce jour m'attend.
Ah! ah! la! la! ah!
(Une vague ébranle le navire. Le Pilote se lève vivement et regarde. Il s'assure qu'il n'y a pas de mal, se rassied et chante tandis que le sommeil le gagne par degrés.)
Des confins de la terre,
À toi toujours
J'ai pensé, mes amours!
En bravant le tonnerre
Et flots et vent
Je t'apporte un présent.
Grâce au bon vent, je viens encor
Avec une chaîne d'or!
Bon vent! ah! souffle sans faiblir,
Ce don lui fera plaisir!
Ah! ah! la! la! ah!
(Il lutte contre la fatigue et finit par s'endormir. La tempête recommence. Le temps s'assombrit. Dans le lointain se montre le vaisseau fantôme avec ses voiles d'un rouge de sang et ses mâts noirs. Il s'approche avec rapidité du rivage à côté du navire norvégien. L'ancre tombe avec un bruit terrible. Le Pilote de Daland s'éveille en sursaut. Sans quitter sa place, il jette un coup d'oeil sur le gouvernail, et, assuré que tout est bien, il murmure quelques mots de sa chanson.)
Sans un bon vent du sud, jamais...
(Il se rendort.)
SCÈNE III
LE HOLLANDAIS, LE PILOTE, endormi.
(Sans le moindre bruit l'équipage fantastique du vaisseau fantôme cargue ses voiles. Le Hollandais descend à terre.)
LE HOLLANDAIS.
L'heure a sonné! Sept ans avec l'aurore
Sont écoulés! Le flot
Lassé me rejette aussitôt.
Ah! superbe Océan, bientôt
Tes flots me porteront encore.
Ta rage expire, et ma peine est sans fin!
Je cherche en vain
Sur cette terre
Celle en qui j'espère.
Mer, tu seras le témoin de mes maux
Jusqu'au moment où l'abîme en repos
Verra tarir enfin les flots.
Combien de fois, las de souffrir.
Je courus affronter l'orage!
Hélas! la mort sembla me fuir.
En vain ma rage
À maint écueil
Souvent demanda le naufrage.
Jamais ne s'ouvre mon cercueil!
Parfois j'ai bravé le pirate,
Dans les combats cherchant la mort.
«Viens! viens! que ta bravoure éclate;
L'argent ruisselle sur mon bord...»
Des mers j'ai vu l'enfant sauvage
En se signant au loin s'enfuir.
Combien de fois, voulant mourir,
J'ai défié les vents, l'orage!
Dans l'espérance d'un cercueil,
Souvent j'allai chercher l'écueil;
Mais ni la tombe ni la mort!
Tel est l'arrêt cruel du sort!
Ange du ciel, messager d'espérance,
Qui du salut m'as montré le chemin,
En m'annonçant un jour de délivrance,
T'es-tu raillé de mon cruel destin?
En vain j'espère,
Ô voeux superflus!
Non! non! sur terre
Un coeur fidèle... il n'en est plus!
Un seul espoir encor me reste,
Et cet espoir jamais ne ment.
Si long que soit ce sort funeste,
Le monde aura sa fin pourtant!
Ô jour céleste
Du jugement,
Quand dois-tu luire
Enfin pour moi?
Qu'il sonne, ce signal d'effroi
Qui doit tout perdre et tout détruire.
Lorsque seront levés les morts,
Enfin la paix m'attend alors.
Ô mondes, cessez votre cours!
À moi, néant, et pour toujours!
(Choeur sourd de l'équipage du Vaisseau Fantôme.)
À nous, néant, et pour toujours!
(Le Hollandais se couche sur un rocher à l'avant-scène.)
SCÈNE IV
LE HOLLANDAIS, DALAND, LE PILOTE.
(Daland sort de sa cabine; il vient sur le pont et aperçoit le vaisseau du Hollandais.)
DALAND, se tournant vers le pilote.
Eh! timonier! holà!
LE PILOTE, se levant à demi, encore sommeillant.
C'est bien! c'est bien!
(Continuant sa chanson.)
«Ah! souffle, souffle encor, bon vent...»
DALAND.
Ne vois-tu rien?
Bien! l'on veille
À merveille!
Vois ce vaisseau! Depuis quand dors-tu là?
LE PILOTE.
Au diable, aussi! Pardon, capitaine.
(Il prend à la hâte son porte-voix et hèle le vaisseau.)
Holà!
(Long silence. On entend deux fois l'écho.)
Holà! hé!
(Long silence. Nouvel écho.)
DALAND.
Leur paresse à la nôtre est pareille!
LE PILOTE.
Répondez!-Quel pays? Quel navire?
DALAND, apercevant le Hollandais à terre.
C'est bon!
Là bas je crois voir le patron.
Holà! marin, dis-moi ton pays et ton nom.
LE HOLLANDAIS, sans changer de place.
Je viens de loin. Pendant l'orage
Voudrais-tu me chasser d'ici?
DALAND.
Non! Dieu, merci,
Des marins ce n'est pas l'usage!
Qui donc es-tu?
LE HOLLANDAIS.
Hollandais.
DALAND.
Sois le bienvenu!
Du vent la violence
Nous a poussés vers ce rocher,
Tous deux ensemble.-À bien peu de distance
Est mon pays. Près d'y toucher
Je suis jeté sur cette plage.
Mais, parle encore: as-tu quelque dommage?
LE HOLLANDAIS.
Mon navire est solide et peut braver l'orage!
Jouet du vent qui se déchaîne,
J'ai sur les flots erré longtemps;
Depuis quand? je le sais à peine,
Car je ne compte plus les ans.
Je ne pourrais jamais te dire
Tous les pays où j'ai passé,
Il n'en est qu'un auquel j'aspire,
Et c'est le mien, qui m'est fermé!
Dans ta maison consens à me conduire;
De ton accueil tu n'auras nul regret.
Les plus brillants trésors dans mon navire
Sont entassés sans nombre, c'est peu dire;
Ami, crois-moi, tu seras satisfait.
DALAND.
Discours étrange! Est-il pourtant sincère?
(Au Hollandais.)
Un sort fatal t'a poursuivi longtemps?
Pour te servir je suis prêt à tout faire,
Peut-on connaître, au moins, ces biens si grands?
(Le Hollandais fait signe aux hommes de son équipage. Deux d'entre eux apportent un coffre.)