LE HOLLANDAIS.
Tu vas trouver des splendeurs infinies,
Perles d'Asie et riches pierreries.
Vois donc, de l'hospitalité
La noble récompense,
À ton oeil tenté
Briller d'avance.
DALAND.
Grand Dieu! Richesses sans pareilles!
Qui donc pourrait payer tant de merveilles?
LE HOLLANDAIS.
Payer! Le prix déjà je te l'ai dit,
Tout est à toi pour l'abri d'une nuit.
Mais ce n'est là que le moindre trésor
De ceux que mon vaisseau recèle encor.
Qu'en puis-je faire, hélas! sans femme, sans enfant,
De mon pays toujours absent?
Tous mes trésors seront à toi
Si tu me fais une famille
Chez les tiens.
DALAND.
Dieu! qu'entends-je?
LE HOLLANDAIS.
As-tu donc une fille?
DALAND.
Mais oui... charmante enfant.
LE HOLLANDAIS.
Donne-la-moi.
DALAND, avec joie.
Lui! se peut-il! épouser mon enfant!
Ah! sa pensée est la mienne.
Ah! j'ai grand peur si j'hésite un instant
Qu'un autre projet survienne.
LE HOLLANDAIS.
Sans une épouse, hélas, sans un enfant,
Rien ne m'attache à la terre.
Un sort cruel me poursuit constamment
Tout vient combler ma misère.
ENSEMBLE.
LE HOLLANDAIS.
Chassé du lieu de ma naissance,
Qu'ai-je encor besoin d'un trésor?
À moi cette heureuse alliance
Et prends pour toi, prends tout mon or.
DALAND.
Quel rêve, ô fortune subite!
Pourrais-je jamais trouver mieux?
Bien fou qui du sort ne profite!
Quelle ivresse, quel jour heureux!...
DALAND.
Oui, je possède aimable jeune fille,
Trésor d'amour, fidèle et noble coeur.
C'est mon seul bien, l'orgueil de ma famille,
L'oubli des maux, le charme du bonheur.
LE HOLLANDAIS.
Qu'elle ait toujours pour toi même tendresse,
Elle sera fidèle à son époux.
DALAND.
Perles, bijoux,
Oui, c'est là ta richesse;
Mais quel trésor plus grand
Qu'un coeur constant.
LE HOLLANDAIS.
Tu me le donnes?
DALAND.
Vraiment oui, je le veux!
Ton sort m'émeut, coeur noble et généreux,
Par ta grandeur, ta force, tu m'étonnes.
Un gendre comme toi
Fût-il moins riche encore ma foi,
Par moi serait choisi.
LE HOLLANDAIS.
Merci!
Verrai-je ta fille aujourd'hui?
DALAND.
Le premier vent nous conduira près d'elle,
Tu la verras, si tu la trouves belle...
LE HOLLANDAIS.
Elle est à moi!...
(À lui-même.)
Mon bon ange, est-ce toi?
Lorsque, brisé par la souffrance,
Dans mon salut encor j'ai foi
Du malheureux seule espérance.
Pourrai-je enfin compter sur toi?
DALAND.
Ah! gloire à toi, terrible orage,
Qui m'as guidé dans ta fureur,
Je n'ai, sans chercher davantage,
Qu'à profiter de mon bonheur.
Soyez bénis, ô vents contraires,
Qui vers ces bords m'avez poussé;
Mon voeu, ce voeu de tous les pères,
«Un gendre riche!» est exaucé!
LE HOLLANDAIS.
Ah! faut-il que du ciel un ange
Pour me sauver soit descendu!
Enfin de ma torture étrange,
Pour moi le terme est-il venu?
ENSEMBLE.
LE HOLLANDAIS.
Ah! quand l'espoir a fui mon coeur
Puis-je rêver un sort meilleur?
DALAND.
À lui, si généreux, si bon,
À lui ma fille et ma maison!
(La tempête est complétement apaisée, le vent a tourné.)
LE PILOTE, à bord.
Vent du sud! Vent du sud!...
LES MATELOTS, agitant leurs chapeaux.
Hé! là!...
LE PILOTE, répétant sa chanson.
Bon vent du sud, ah! souffle encore!
LES MATELOTS.
Hiva!...
Hiva! ah! Hiva!...
DALAND, au Hollandais.
Tu vois tout est calme à présent.
Le vent est bon, la mer est belle
Allons! levons l'ancre à l'instant
Vers mon pays tout nous appelle.
(Les Matelots lèvent l'ancre et mettent les voiles dehors.)
LE HOLLANDAIS.
Pars je t'en prie, ami, ne m'attends pas:
Le vent est frais, mon équipage est las.
Après un court repos, je suis ta route.
DALAND.
Mais notre vent?...
LE HOLLANDAIS.
Il va durer sans doute.
Ce vaisseau-là
Bientôt te rejoindra!
DALAND
Tu crois? Eh! bien! qu'il soit fait à ta guise.
Adieu! Puisses tu voir
Ma fille dès ce soir!
LE HOLLANDAIS.
C'est dit!
DALAND, allant au bord de son navire.
Hé! matelots! holà! voici la brise.
Allons? allons!
Alerte, compagnons!
LES MATELOTS, avec joie.
Malgré vents et tempête
Auprès des miens
Ma belle, je reviens.
L'ouragan sur ma tête
En vain gronda
Ma belle me voilà!
Hurrah!...
Sans un bon vent du sud jamais
À toi je ne reviendrais!
Ah! souffle! souffle encor bon vent
Ma belle en ce jour m'attend!
(Le Hollandais monte sur son navire.)
FIN DU PREMIER ACTE.
ACTE DEUXIÈME
Une chambre spacieuse dans la maison de Daland. Aux murs sont accrochés des instruments de marine, des cartes, etc.-Au fond un portrait d'homme au visage pâle, à la barbe brune, au vêtement noir.
SCÈNE PREMIÈRE
SENTA, MARIE, JEUNES FILLES.
(Marie et les Jeunes Filles filent, assises autour de la cheminée. Senta, au fond d'un grand fauteuil les bras croisés, semble absorbée dans la contemplation du portrait.)
CHOEUR DES JEUNES FILLES.
Bon rouet, gronde et bourdonne!
Tourne, tourne, va gaîment.
Bon rouet tourne et nous donne
Mille fils en bourdonnant.
Mon bien-aimé s'en va voguant
Et pense à celle qui l'attend.
Mon bon rouet tourne en sifflant
Si tu pouvais donner le vent
Comme il viendrait promptement.
File vite, ô jeune fille!...
Bon rouet tourne et babille.
MARIE
Courage!
Voyez comme va l'ouvrage!
Chacune pense au mariage.
LES JEUNES FILLES.
Marie!
Silence vous savez bien
Que la chanson n'est pas finie!
MARIE.
Chantez et que le rouet crie!
Mais toi, Senta, tu ne dis rien?...
LES JEUNES FILLES.
Bon rouet, tourne et bourdonne,
Tourne, tourne, va gaîment
Bon rouet tourne et nous donne
Mille fils en bourdonnant
Mon bien-aimé voyage encore
Au sud il va gagner de l'or.
Mon bon rouet tourne gaîment
Cet or est pour la belle enfant
Qui file, file vaillamment
File vite ô jeune fille
Bon rouet, tourne et babille