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MARIE, à Senta qui reste plongée dans sa contemplation.

Méchante enfant,

Si tu ne files, vraiment,

Tu n'auras nul présent.

LES JEUNES FILLES.

Elle a le temps, le fait est clair.

Son bien-aimé n'est pas en mer

C'est du gibier qu'il lui promet...

Ce qu'un chasseur vaut, on le sait.

Ah! ah! ah! ah!...

(Senta semble chanter tout bas et comme pour elle un motif de la ballade.)

MARIE.

Voyez-la! toujours même attrait!...

Veux-tu passer ta vie entière

À rêver devant un portrait?

SENTA, sans changer de place.

Pourquoi m'avoir dit sa misère?

Pourquoi m'avoir dit ce qu'il est?

(Soupirant.)

L'infortuné!

MARIE.

Que dieu t'assiste!...

LES JEUNES FILLES, entre elles.

Eh! eh! eh! eh! comment juger?...

Le noir marin la fait songer.

MARIE.

Toujours cet air pensif et triste!

LES JEUNES FILLES.

Voyez ce que peut un portrait!

MARIE.

Toujours je gronde et sans effet;

Viens, Senta; viens donc, s'il te plaît.

LES JEUNES FILLES.

Son coeur est sourd

Il est rempli d'un fol amour,

Cela peut mal finir vraiment!

Érik est vif! au sang ardent!

Un malheur vient si promptement.

(Elles s'interrompent en riant.)

Assez!...

(Entre elles.)

Sa balle percerait

De son noir rival le portrait:

Ah! ah!...

SENTA, avec vivacité.

Cessez! ce jeu ne peut me plaire.

Voulez-vous me mettre en colère?

LES JEUNES FILLES, se remettant au travail avec un empressement affecté et comme pour ôter à Senta le temps de les gronder.

Bon rouet tourne et bourdonne,

Tourne, tourne, va gaîment.

Bon rouet tourne et nous donne

Mille fils en bourdonnant!

SENTA.

Oh! quelle chanson déplaisante

Qui gronde et bourdonne sans fin!

Si vous voulez qu'aussi je chante

Il faut chercher meilleur refrain!

LES JEUNES FILLES.

Bien chante alors!

SENTA.

Non. Toi, Marie.

Dis la ballade je t'en prie.

MARIE.

Moi! la chanter! oh! non! jamais!

Que le Vaisseau Fantôme reste en paix!

SENTA, aux Jeunes Filles.

Je vais la dire, écoutez bien

Et que votre âme s'attendrisse

Sur ce cruel et long supplice!

LES JEUNES FILLES.

Oui! chante donc!

SENTA.

N'en perdez rien!

LES JEUNES FILLES.

Laissons là nos rouets,

MARIE, avec dépit.

Et moi je prends le mien.

(Les jeunes filles quittent leurs rouets et se groupent autour de Senta placée dans le grand fauteuil. Marie prend son rouet et va filer près de la cheminée.)

BALLADE.

SENTA.

I

Hiva! hiva!...

Avez-vous vu le vaisseau mort,

Mât noir et voile rouge?

Un homme pâle veille à bord

Sans que jamais il bouge:

Hui!... quel sifflement

Hui!... quel bruit du vent

Hiva!...

Il doit fuir sur les flots

Et sans fin, sans merci, sans repos!

Dans son malheur

L'instant peut venir de la délivrance

S'il trouve un coeur

Qui jusqu'à la mort l'aime avec constance.

Pauvre marin

Exauçant ma prière,

Le ciel j'espère

Te le fera trouver enfin!

(Vers la fin Senta se tourne vers le portrait. Les jeunes filles écoutent avec intérêt. Marie a cessé de filer.)

II

Doublant un cap, il blasphémait,

En vain la foudre gronde,

Je veux lutter quand ce serait

Jusqu'à la fin du monde!

Hui! Satan bientôt

Hui! l'a pris au mot!

Hiva!

Son arrêt est d'errer sur les flots

Sans merci, sans repos!

Dans son malheur,

L'instant peut venir de la délivrance.

L'ange sauveur

En lui du salut a mis l'espérance.

Pauvre marin,

Exauçant ma prière

Le ciel j'espère

Te le fera trouver enfin!

LES JEUNES FILLES.

Pauvre marin,

Exauçant ma prière

Le ciel j'espère

Te le fera trouver enfin.

SENTA.

(Après que les Jeunes Filles ont répété le refrain, elle continue avec une émotion croissante.)

III

À l'ancre il vient tous les sept ans

Pour chercher une belle.

Pas une, hélas! depuis le temps

Ne lui resta fidèle.

Hui! la voile au vent!

Hui! Vite en avant!

Hiva! Ah! faux amour! faux serment!

Sans merci, sans repos, en avant!

LES JEUNES FILLES.

Ah! vers quel port

Celle que promit Dieu se trouve-t-elle?

Jusqu'à la mort

Où trouver ce coeur qui sera fidèle?

SENTA, se levant saisie d'une inspiration soudaine.

C'est moi qui veux t'aimer sans cesse,

Dieu tout-puissant, fais qu'il paraisse,

Que grâce à moi sa peine cesse!

(Les Jeunes Filles se lèvent effrayées.)

MARIE et LES JEUNES FILLES.

-Qu'entends-je? Dieu!

SCÈNE II

LES MÊMES, ÉRIK.

ÉRIK, qui du seuil a entendu Senta.

-Senta! veux-tu donc que j'expire?...

LES JEUNES FILLES.

À l'aide, Érik; ah! quel délire!

MARIE.

De crainte à peine je respire.

Portrait maudit! Il s'en ira.

Dès que le père reviendra,

ÉRIK, sérieusement.

Le père vient.

SENTA, qui était restée immobile et semblait ne rien entendre paraît s'éveiller et s'élance avec joie.

Mon père vient!

ÉRIK.

Déjà

L'on peut voir son navire.

MARIE.

On s'amuse à quelque chanson

Et rien n'est prêt dans la maison!

LES JEUNES FILLES.

Ils sont venus! Courons vers eux!

MARIE.

Holà! restez donc, je le veux!

Les marins ont fait maigre chère

À la cuisine il faut courir.

LES JEUNES FILLES.

Que de questions à lui faire!

Je ne saurais me contenir.

MARIE.

Faisons d'abord ce qu'il faut faire,

C'est son devoir qu'on doit remplir.

LES JEUNES FILLES.

C'est bon! Hâtons-nous de tout faire

Rien ne pourra nous retenir.

(Marie pousse les Jeunes Filles devant elle et les suit.)

SCÈNE III

SENTA, ÉRIK.

Senta veut suivre les Jeunes Filles, Érik la retient.

ÉRIK.

Ô reste! reste encore un seul instant!

Délivre moi de mon tourment,

Ou bien achève, ôte-moi l'existence?

SENTA, hésitant.

Comment! Eh quoi!

ÉRIK.

Senta! Que faut-il que je pense?

Ton père vient; et s'il doit repartir,

À son désir il faudra bien te rendre.

SENTA.

Et quel désir?