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(À Senta.)

Fais qu'il te garde sa tendresse,

Un tel bonheur n'est pas fréquent.

(Au Hollandais.)

Restez donc seuls, moi je vous laisse.

Son front est pur, son coeur constant.

(Daland s'éloigne lentement en les considérant tous deux avec complaisance. Le Hollandais et Senta restent seuls. Ils demeurent immobiles.)

SCÈNE V

SENTA, LE HOLLANDAIS.

LE HOLLANDAIS.

Du temps passé, comme un lointain mirage,

Son seul aspect vient m'émouvoir.

Telle souvent m'apparut son image,

Telle à présent j'ai cru la voir.

Combien de fois mes yeux sur une femme

Se sont levés dans un ardent désir!

Car à mon coeur Satan laissa sa flamme

Pour redoubler les maux qu'il doit souffrir.

Le sombre feu qui toujours me dévore,

Du nom d'amour l'appellerai-je encore?

Oh! non! plutôt du salut c'est l'espoir!

À ce coeur pur puisse-je le devoir!

SENTA.

Suis-je perdue, à présent, dans un songe,

Mirage étrange du sommeil?

Jusqu'à ce jour, jouet d'un vain mensonge,

Est-ce l'instant de mon réveil?

Lorsque je vois cette angoisse mortelle

Où tant de maux se lisent à la fois,

De la pitié la voix me trompe-t-elle?

Tel je le vis, et tel je le revois.

Ce feu brûlant dont l'ardeur me dévore,

Ah! de quel nom l'appellerai-je encore?

La grâce, le salut, ton seul espoir,

À mon amour puisses-tu le devoir!

LE HOLLANDAIS, s'approchant de Senta.

Veux-tu, docile aux voeux d'un père,

Céder au choix qu'il a su faire?

Veux-tu donner la main, ta vie entière,

À l'étranger, et pour l'éternité?

Pour obtenir le repos que j'espère,

Puis-je compter sur ta fidélité?

SENTA.

Qui que tu sois, quelque tourment barbare

Que le destin te condamne à subir,

Et quel que soit le sort qu'il me prépare,

Mon père parle, et je veux obéir.

LE HOLLANDAIS.

Quoi! pour toujours tu consens à me suivre?

De mes tourments ainsi s'émeut ton coeur!

SENTA, à elle-même.

De ses tourments, qu'enfin je le délivre!

LE HOLLANDAIS, qui a entendu Senta.

Ô doux accents, au sein de ma douleur!

Ange clément, oui, ton amour céleste

Vaincrait l'enfer et son tourment.

Ah! du salut si quelque espoir me reste,

Qu'il vienne d'elle, ô Dieu puissant!

Si tu savais à quel supplice

Le sort t'expose auprès de moi,

Tu comprendrais quel sacrifice

Tu fais en me donnant ta foi!

À ce spectacle, ta jeune âme

Frissonnerait avec effroi,

Si la vertu qui fait la femme,

Fidélité! ne brille en toi.

SENTA.

Je sais le devoir d'une femme,

Infortuné, rassure-toi!

Que le destin éprouve l'âme

Qui veut braver sa dure loi.

Dans la ferveur d'un coeur sans tache,

Ma foi se donne sans effort.

Oui, je saurai remplir ma tâche:

Fidélité jusqu'à la mort!

LE HOLLANDAIS.

Un baume saint sur ma blessure

Paraît versé par son serment.

SENTA.

Quelle est la voix qui me conjure

De mettre fin à son tourment?

LE HOLLANDAIS.

C'est mon salut, ah! tout enfin le prouve!

Cesse, rigueur d'un triste sort!

SENTA.

Ah! comme en son pays, qu'il trouve

Après l'orage enfin le port!

D'où naît en moi pareille audace,

Et dans mon sein quel feu nouveau?

LE HOLLANDAIS.

L'étoile du malheur s'efface,

L'espoir rallume son flambeau.

SENTA.

Le charme puissant qui m'enflamme,

C'est ton pouvoir, fidélité!

LE HOLLANDAIS.

Vous, anges, faites qu'en son âme

Règne à jamais fidélité!

SCÈNE VI

LES MÊMES, DALAND.

DALAND, rentrant.

Pardon! mes gens sont là, criant bien fort.

Chez nous on fête

Le retour au port.

Et quand s'apprête

Ce jour de plaisir,

Par votre hymen pourra-t-on l'embellir?

(Au Hollandais.)

Tous deux vous avez pu vous connaître à loisir.

(À Senta.)

Parle, Senta, dis, veux-tu consentir?

SENTA, au Hollandais, avec une résolution solennelle.

Voici ma main! à toi mon sort!

Fidélité jusqu'à la mort!

LE HOLLANDAIS.

À moi son coeur jusqu'à la mort!

Enfin, l'enfer est le moins fort!

DALAND.

Pour nous s'annonce un heureux sort!

Allons! Tout est en fête au port!

FIN DU DEUXIÈME ACTE.

ACTE TROISIÈME

Un havre bordé de rochers d'un côté. Sur le devant de la scène, la maison de Daland. Au fond, le navire du Norvégien, et celui du Hollandais assez rapprochés l'un de l'autre. Nuit claire. Le navire norvégien est illuminé, les matelots sont sur le pont, bruyants éclats de joie. L'aspect du navire Hollandais forme avec cette allégresse un contraste sinistre; une nuit fantastique l'enveloppe de toutes parts. Il y règne un silence de mort.

SCÈNE PREMIÈRE

LES MATELOTS HOLLANDAIS.

CHOEUR DE MATELOTS.

Timonier, viens à nous!

Le repos est si doux!

Hiva! matelots, carguez,

Et mouillez!

Nous ne craignons guère

Flots ni vent,

Sachons nous distraire

En chantant.

J'ai ma belle à terre

Qui m'attend,

Un flacon de rack

Et d'excellent tabac.

Hiva!

En narguant

Flots et vent,

Amarrez

Et mouillez!

(Ils dansent gaîment sur le tillac en frappant du pied.)

SCÈNE II

LES MATELOTS, LES JEUNES FILLES.

Les jeunes filles arrivent apportant des corbeilles pleines de vivres et de liqueurs.

LES JEUNES FILLES.

Ah! regardez! ils dansent tous,

Ils n'ont pas besoin de nous!

(Elles s'approchent du vaisseau hollandais.)

LES MATELOTS.

Les belles, où donc allez-vous?

LES JEUNES FILLES.

Quoi! ne pensez-vous donc qu'au vin?

Avec vous seuls loin d'être aimables,

Faisons la part pour le voisin.

LES MATELOTS.

C'est vrai! donnez aux pauvres diables,

Ils sont mourants de soif, de faim.

(Examinant le vaisseau hollandais.)

J'écoute en vain!

Mais nul fanal! voyez, sur leur bord nul marin!

LES JEUNES FILLES, se dirigeant vers le vaisseau hollandais.

Eh! matelot! veux-tu du feu?

Où donc es-tu? on y voit peu!

LES MATELOTS, riant.

Laissez-les donc! ils dorment tous!

LES JEUNES FILLES.

Holà marins! réveillez-vous!

(Long silence.)

LES MATELOTS.

Ah! ah! je pense qu'ils sont morts!

Ils n'ont besoin de rien alors!

Allons! qu'on s'apprête

Marins paresseux!

N'est-ce donc pas fête