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Fatalement, Florent revint a la politique. Il avait trop souffert par elle, pour ne pas en faire l'occupation chere de sa vie. Il fut devenu, sans le milieu et les circonstances, un bon professeur de province, heureux de la paix de sa petite ville. Mais on l'avait traite en loup, il se trouvait maintenant comme marque par l'exil pour quelque besogne de combat. Son malaise nerveux n'etait que le reveil des longues songeries de Cayenne, de ses amertumes en face de souffrances immeritees, de ses serments de venger un jour l'humanite traitee a coups de fouet et la justice foulee aux pieds. Les Halles geantes, les nourritures debordantes et fortes, avaient hate la crise. Elles lui semblaient la bete satisfaite et digerant, Paris entripaille, cuvant sa graisse, appuyant sourdement l'empire. Elles mettaient autour de lui des gorges enormes, des reins monstrueux, des faces rondes, comme de continuels arguments contre sa maigreur de martyr, son visage jaune de mecontent. C'etait le ventre boutiquier, le ventre de l'honnetete moyenne, se ballonnant, heureux, luisant au soleil, trouvant que tout allait pour le mieux, que jamais les gens de moeurs paisibles n'avaient engraisse si bellement. Alors, il se sentit les poings serres, pret a une lutte, plus irrite par la pensee de son exil, qu'il ne l'etait en rentrant en France. La haine le reprit tout entier. Souvent, il laissait tomber sa plume, il revait. Le feu mourant tachait sa face d'une grande flamme; la lampe charbonneuse filait, pendant que le pinson, la tete sous l'aile, se rendormait sur une patte.

Quelquefois, a onze heures, Auguste, voyant de la lumiere sous la porte, frappait, avant d'aller se coucher. Florent lui ouvrait avec quelque impatience. Le garcon charcutier s'asseyait, restait devant le feu, parlant peu, n'expliquant jamais pourquoi il venait. Tout le temps, il regardait la photographie qui les representait, Augustine et lui, la main dans la main, endimanches. Florent crut finir par comprendre qu'il se plaisait d'une facon particuliere dans cette chambre ou la jeune fille avait loge. Un soir, en souriant, il lui demanda s'il avait devine juste.

-Peut-etre bien, repondit Auguste tres-surpris de la decouverte qu'il faisait lui-meme. Je n'avais jamais songe a cela. Je venais vous voir sans savoir... Ah bien! si je disais ca a Augustine, c'est elle qui rirait... Quand on doit se marier, on ne songe guere aux betises.

Lorsqu'il se montrait bavard, c'etait pour revenir eternellement a la charcuterie qu'il ouvrirait a Plaisance, avec Augustine. Il semblait si parfaitement sur d'arranger sa vie a sa guise, que Florent finit par eprouver pour lui une sorte de respect mele d'irritation. En somme, ce garcon etait tres fort, tout bete qu'il paraissait; il allait droit a un but, il l'atteindrait sans secousses, dans une beatitude parfaite. Ces soirs-la, Florent ne pouvait se remettre au travail; il se couchait mecontent, ne retrouvant son equilibre que lorsqu'il venait a penser: " Mais cet Auguste est une brute! "

Chaque mois, il allait a Clamart voir monsieur Verlaque. C'etait presque une joie pour lui. Le pauvre homme trainait, au grand etonnement de Gavard, qui ne lui avait pas donne plus de six mois. A chaque visite de Florent, le malade lui disait qu'il se sentait mieux, qu'il avait un bien grand desir de reprendre son travail. Mais les jours se passaient, des rechutes se produisaient. Florent s'asseyait a cote du lit, causant de la poissonnerie, tachant d'apporter un peu de gaiete. Il mettait sur la table de nuit les cinquante francs qu'il abandonnait a l'inspecteur en titre; et celui-ci, bien que ce fut une affaire convenue, se fachait chaque fois, ne voulant pas de l'argent. Puis, on parlait d'autre chose, l'argent restait sur la table. Quand Florent partait, madame Verlaque l'accompagnait jusqu'a la porte de la rue. Elle etait petite, molle, tres-larmoyante. Elle ne parlait que de la depense occasionnee par la maladie de son mari, du bouillon de poulet, des viandes saignantes, du bordeaux, et du pharmacien, et du medecin. Cette conversation dolente genait beaucoup Florent. Les premieres fois, il ne comprit pas, Enfin, comme la pauvre dame pleurait toujours, en disant que, jadis, ils etaient heureux avec les dix-huit cents francs de la place d'inspecteur, il lui offrit timidement de lui remettre quelque chose, en cachette de son mari. Elle se defendit, et sans transition, d'elle-meme, elle assura que cinquante francs lui suffiraient. Mais, dans le courant du mois, elle ecrivait souvent a celui qu'elle nommait leur sauveur; elle avait une petite anglaise fine, des phrases faciles et humbles, dont elle emplissait juste trois pages, pour demander dix francs; si bien que les cent cinquante francs de l'employe passaient entierement au menage Verlaque. Le mari l'ignorait sans doute, la femme lui baisait les mains. Cette bonne action etait sa grande jouissance; il la cachait comme un plaisir defendu qu'il prenait en egoiste.

-Ce diable de Verlaque se moque de vous, disait parfois Gavard. Il se dorlote, maintenant que vous lui faites des rentes.

Il finit par repondre, un jour:

-C'est arrange, je ne lui abandonne plus que vingt-cinq francs.

D'ailleurs, Florent n'avait aucun besoin. Les Quenu lui donnaient toujours la table et le coucher. Les quelques francs qui lui restaient suffisaient a payer sa consommation, le soir, chez monsieur Lebigre. Peu a peu, sa vie s'etait reglee comme une horloge: il travaillait dans sa chambre; continuait ses lecons au petit Muche, deux fois par semaine, de huit a neuf heures; accordait une soiree a la belle Lisa, pour ne pas la lacher; et passait le reste de son temps dans le cabinet vitre, en compagnie de Gavard et de ses amis.

Chez les Mehudin, il arrivait avec sa douceur un peu roide de professeur. Le vieux logis lui plaisait. En bas, il passait dans les odeurs fades du marchand d'herbes cuites; des bassines d'epinards, des terrines d'oseille, refroidissaient, au fond d'une petite cour. Puis, il montait l'escalier tournant, gras d'humidite, dont les marches, tassees et creusees, penchaient d'une facon inquietante. Les Mehudin occupaient tout le second etage. Jamais la mere n'avait voulu demenager, lorsque l'aisance etait venue, malgre les supplications des deux filles, qui revaient d'habiter une maison neuve, dans une rue large. La vieille s'entetait, disait qu'elle avait vecu la, qu'elle mourrait la. D'ailleurs, elle se contentait d'un cabinet noir, laissant les chambres a Claire et a la Normande. Celle-ci, avec son autorite d'ainee, s'etait emparee de la piece qui donnait sur la rue; c'etait la grande chambre, la belle chambre. Claire en fut si vexee, qu'elle refusa la piece voisine, dont la fenetre ouvrait sur la cour; elle voulut aller coucher, de l'autre cote du palier, dans une sorte de galetas qu'elle ne fit pas meme blanchir a la chaux. Elle avait sa clef, elle etait libre; a la moindre contrariete, elle s'enfermait chez elle.

Quand Florent se presentait, les Mehudin achevaient de diner. Muche lui sautait au cou. Il restait un instant assis, avec l'enfant bavardant entre les jambes. Puis, lorsque la toile ciree etait essuyee, la lecon commencait, sur un coin de la table. La belle Normande lui faisait un bon accueil. Elle tricotait ou raccommodait du linge, approchant sa chaise, travaillant a la meme lampe; souvent, elle laissait l'aiguille pour ecouter la lecon, qui la surprenait. Elle eut bientot une grande estime pour ce garcon si savant, qui paraissait doux comme une femme en parlant au petit, et qui avait une patience angelique a repeter toujours les memes conseils. Elle ne le trouvait plus laid du tout. Si bien qu'elle devint comme jalouse de la belle Lisa. Elle avancait sa chaise davantage, regardait Florent d'un sourire embarrassant.

-Mais, maman, tu me pousses le coude, tu m'empeches d'ecrire! disait Muche en colere. Tiens! voila un pate, maintenant! Recule-toi donc!