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Quand il apercut la belle Lisa, il se leva brusquement, rougissant d'avoir ete surpris, vautre de la sorte. Il etait toujours tres-timide, tres-gene devant elle. Et lorsqu'elle lui demanda si monsieur Gavard etait la:

-Non, je ne sais pas, balbutia-t-il; il etait la tout a l'heure, mais il est reparti.

Elle souriait en le regardant, elle avait une grande amitie pour lui. Comme elle laissait pendre une main, elle sentit un frolement tiede, elle poussa un petit cri. Sous la table d'etalage, dans une caisse, des lapins vivants allongeaient le cou, flairaient ses jupes.

-Ah! dit-elle en riant, ce sont tes lapins qui me chatouillent.

Elle se baissa, voulut caresser un lapin blanc qui se refugia dans un coin de la caisse. Puis, se relevant:

-Et rentrera-t-il bientot, monsieur Gavard?

Marjolin repondit de nouveau qu'il ne savait pas. Ses mains tremblaient un peu. Il reprit d'une voix hesitante:

-Peut-etre qu'il est a la resserre... Il m'a dit, je crois, qu'il descendait.

-J'ai envie de l'attendre, alors, reprit Lisa. On pourrait lui faire savoir que je suis la... A moins que je ne descende. Tiens! c'est une idee. Il y cinq ans que je me promets de voir les resserres... Tu vas me conduire, n'est-ce pas? tu m'expliqueras.

Il etait devenu tres-rouge. Il sortit precipitamment de la boutique, marchant devant elle, abandonnant l'etalage, repetant:

-Certainemeut... Tout ce que vous voudrez, madame Lisa.

Mais, en bas, l'air noir de la cave suffoqua la belle charcutiere. Elle restait sur la derniere marche, levant les yeux, regardant la voute, a bandes de briques blanches et rouges, faite d'arceaux ecrases, pris dans des nervures de fonte et soutenus par des colonnettes. Ce qui l'arretait la, plus encore que l'obscurite, c'etait une odeur chaude, penetrante, une exhalaison de betes vivantes, dont les alcalis la piquaient au nez et a la gorge.

-Ca seul tres-mauvais, murmura-t-elle. Ce ne serait pas sain, de vivre ici.

-Moi, je me porte bien, repondit Marjolin etonne. L'odeur n'est pas mauvaise, quand on y est habitue. Puis, on a chaud l'hiver; on est tres a son aise.

Elle le suivit, disant que ce fumet violent de volaille la repugnait, qu'elle ne mangerait certainement pas de poulet de deux mois. Cependant, les resserres, les etroites cabines, ou les marchands gardent les betes vivantes, allongeaient leurs ruelles regulieres, coupees a angles droits. Les becs de gaz etaient rares, les ruelles dormaient, silencieuses, pareilles a un coin de village, quand la province est au lit. Marjolin fit toucher a Lisa le grillage a mailles serrees, tendu sur des cadres de fonte. Et, tout en longeant une rue, elle lisait les noms des locataires, ecrits sur des plaques bleues.

-Monsieur Gavard est tout an fond, dit le jeune homme, qui marchait toujours.

Ils tournerent a gauche, ils arriverent dans une impasse, dans un trou d'ombre, ou pas un filet de lumiere ne glissait, Gavard n'y etait pas.

-Ca ne fait rien, reprit Marjolin. Je vais tout de meme vous montrer nos betes. J'ai une clef de la resserre.

La belle Lisa entra derriere lui dans cette nuit epaisse. La, elle le trouva tout a coup au milieu de ses jupes; elle crut qu'elle s'etait trop avancee contre lui, elle se recula; et elle riait, elle disait:

-Si tu t'imagines que je vais les voir, tes betes, dans ce four-la.

Il ne repondit pas tout de suite; puis, il balbutia qu'il y avait toujours une bougie dans la resserre. Mais il n'en finissait plus, il ne pouvait trouver le trou de la serrure. Comme elle l'aidait, elle sentit une haleine chaude sur son cou. Quand il eut ouvert enfin la porte et allume la bougie, elle le vit si frissonnant, qu'elle s'ecria:

-Grand beta! peut-on se mettre dans un etat pareil, parce qu'une porte ne veut pas s'ouvrir! Tu es une demoiselle, avec tes gros poings.

Elle entra dans la resserre. Gavard avait loue deux compartiments, dont i1 avait fait un seul poulailler, en enlevant la cloison. Par terre, dans le fumier, les grosses betes, les oies, les dindons, les canards, pataugeaient; en haut, sur les trois rangs des etageres, des boites plates a claire-voie contenaient des poules et des lapins. Le grillage de la resserre etait tout poussiereux, tendu de toiles d'araignee, a ce point qu'il semblait garni de stores gris; l'urine des lapins rongeait les panneaux du bas; la fiente de la volaille tachait les planches d'eclaboussures blanchatres. Mais Lisa ne voulut pas desobliger Marjolin, en montrant davantage son degout. Elle fourra les doigts entre les barreaux des boites, pleurant sur le sort de ces malheureuses poules entassees qui ne pouvaient pas meme se tenir debout. Elle caressa un canard accroupi dans un coin, la patte cassee, tandis que le jeune homme lui disait qu'on le tuerait le soir meme, de peur qu'il ne mourut pendant la nuit.

-Mais, demanda-t-elle, comment font-ils pour manger?

Alors il lui expliqua que la volaille ne veut pas manger sans lumiere. Les marchands sont obliges d'allumer une bougie et d'attendre la, jusqu'a ce que les betes aient fini.

-Ca m'amuse, continua-t-il; je les eclaire pendant des heures. Il faut voir les coups de bec qu'ils donnent. Puis, lorsque je cache la bougie avec la main, ils restent tous le cou en l'air, comme si le soleil s'etait couche... C'est qu'il est bien defendu de leur laisser la bougie et de s'en aller. Une marchande, la mere Palette, que vous connaissez, a failli tout bruler, l'autre jour; une poule avait du faire tomber la lumiere dans la paille.

-Eh bien, dit Lisa, elle n'est pas genee, la volaille, s'il faut lui allumer les lustres a chaque repas!

Cela le fit rire. Elle etait sortie de la resserre, s'essuyant les pieds, remontant un peu sa robe, pour la garer des ordures. Lui, souffla la bougie, referma la porte. Elle eut peur de rentrer ainsi dans la nuit, a cote de ce grand garcon; elle s'en alla en avant, pour ne pas le sentir de nouveau dans ses jupes. Quand il l'eut rejointe:

-Je suis contente tout de meme d'avoir vu ca. Il y a, sous ces Halles, des choses qu'on ne soupconnerait jamais. Je te remercie... Je vais remonter bien vite; on ne doit plus savoir ou je suis passee, a la boutique. Si monsieur Gavard revient, dis-lui que j'ai a lui parler tout de suite.

-Mais, dit Marjolin, il est sans doute aux pierres d'abatage... Nous pouvons voir, si vous voulez.

Elle ne repondit pas, oppressee par cet air tiede qui lui chauffait le visage. Elle etait toute rose, et son corsage tendu, si mort d'ordinaire, prenait un frisson. Cela l'inquieta, lui donna un malaise, d'entendre derriere elle le pas presse de Marjolin; qui lui semblait comme haletant. Elle s'effaca, le laissa passer le premier. Le village, les ruelles noires dormaient toujours. Lisa s'apercut que son compagnon prenait au plus long. Quand ils deboucherent en face de la voie ferree, il lui dit qu'il avait voulu lui montrer le chemin de fer; et ils resterent la un instant, regardant a travers les gros madriers de la palissade. Il offrit de lui faire visiter la voie. Elle refusa, en disant que ce n'etait pas la peine, qu'elle voyait bien ce que c'etait. Comme ils revenaient, ils trouverent la mere Palette devant sa resserre, otant les cordes d'un large panier carre, dans lequel on entendait un bruit furieux d'ailes et de pattes. Lorsqu'elle eut defait le dernier noeud, brusquement, de grands cous d'oie parurent, faisant ressort, soulevant le couvercle. Les oies s'echapperent, effarouchees, la tete lancee en avant, avec des sifflements, des claquements de bec qui emplirent l'ombre de la cave d'une effroyable musique. Lisa ne put s'empecher de rire, malgre les lamentations de la marchande de volailles, desesperee, jurant comme un charretier, ramenant par le cou deux oies qu'elle avait reussi a rattraper. Marjolin s'etait mis a la poursuite d'une troisieme oie. On l'entendit courir le long des rues, depiste, s'amusant a cette chasse; puis il y eut un bruit de bataille, tout au fond, et il revint, portant la bete. La mere Palette, une vieille femme jaune, la prit entre ses bras, la garda un moment sur son ventre, dans la pose de la Leda antique.