Выбрать главу

-Ah! bien, dit-elle, si tu n'avais pas ete la!... L'autre jour, je me suis battue avec une; j'avais mon couteau, je lui ai coupe le cou.

Marjolin etait tout essouffle. Lorsqu'ils arriverent aux pierres d'abatage, dans la clarte plus vive du gaz, Lisa le vit en sueur, les yeux luisant d'une flamme qu'elle ne leur connaissait pas. D'ordinaire, il baissait les paupieres devant elle, ainsi qu'une fille. Elle le trouva tres-bel homme comme ca, avec ses larges epaules, sa grande figure rose, dans les boucles de ses cheveux blonds. Elle le regardait si complaisamment, de cet air d'admiration sans danger qu'on peut temoigner aux garcons trop jeunes, qu'une fois encore il redevint timide.

-Tu vois bien que monsieur Gavard n'est pas la, dit-elle. Tu me fais perdre mon temps.

Alors, d'une voix rapide, il lui expliqua l'abatage, les cinq enormes bancs de pierre, s'allongeant du cote de la rue Rambuteau, sous la clarte jaune des soupiraux et des becs de gaz. Une femme saignait des poulets, a un bout; ce qui l'amena a lui faire remarquer que la femme plumait la volaille presque vivante, parce que c'est plus facile. Puis, il voulut qu'elle prit des poignees de plumes sur les bancs de pierre, dans les tas enormes qui trainaient; il lui disait qu'on les triait et qu'on les vendait, jusqu'a neuf sous la livre, selon la finesse. Elle dut aussi enfoncer la main au fond des grands paniers pleins de duvet. Il tourna ensuite les robinets des fontaines, placees a chaque pilier. Il ne tarissait pas en details: le sang coulait le long des bancs, faisait des mares sur les dalles; des cantonniers, toutes les deux heures, lavaient a grande eau, enlevaient avec des brosses rudes les taches rouges. Quand Lisa se pencha au-dessus de la bouche d'egout qui sert a l'ecoulement, ce fut encore toute une histoire; il raconta que, les jours d'orage, l'eau envahissait la cave par cette bouche; une fois meme, elle s'etait elevee a trente centimetres, il avait fallu faire refugier la volaille a l'autre extremite de la cave, qui va en pente. Il riait encore du vacarme de ces betes effarouchees. Cependant, il avait fini, il ne trouvait plus rien, lorsqu'il se rappela le ventilateur. Il la mena tout au fond, lui fit lever les yeux, et elle apercut l'interieur d'une des tourelles d'angle, une sorte de large tuyau de degagement, ou l'air nauseabond des resserres montait.

Marjolin se tut, dans ce coin empeste par l'afflux des odeurs. C'etait une rudesse alcaline de guano. Mais lui, semblait eveille et fouette. Ses narines battirent, il respira fortement, comme retrouvant des hardiesses d'appetit. Depuis un quart d'heure qu'il etait dans le sous-sol avec la belle Lisa, ce fumet, cette chaleur de betes vivantes le grisait. Maintenant il n'avait plus de timidite, il etait plein du rut qui chauffait le fumier des poulaillers, sous la voute ecrasee, noire d'ombre.

-Allons, dit la belle Lisa, tu es un brave enfant, de m'avoir montre tout ca... Quand tu viendras a la charcuterie, je te donnerai quelque chose.

Elle lui avait pris le menton, comme elle faisait souvent, sans voir qu'il avait grandi. Elle etait un peu emue, a la verite; emue par cette promenade sous terre, d'une emotion tres-douce, qu'elle aimait a gouter, en chose permise et ne tirant pas a consequence. Elle oublia peut-etre sa main un peu plus longtemps que de coutume, sous ce menton d'adolescent, si delicat a toucher. Alors, a cette caresse, lui, cedant a une poussee de l'instinct, s'assurant d'un regard oblique que personne n'etait la, se ramassa, se jeta sur la belle Lisa, avec une force de taureau. Il l'avait prise par les epaules. Il la culbuta dans un grand panier de plumes, ou elle tomba comme une masse, les jupes aux genoux. Et il allait la prendre a la taille, ainsi qu'il prenait Cadine, d'une brutalite d'animal qui vole et qui s'emplit, lorsque, sans crier, toute pale de cette attaque brusque, elle sortit du panier d'un bond. Elle leva le bras, comme elle avait vu faire aux abattoirs, serra son poing de belle femme, assomma Marjolin d'un seul coup, entre les deux yeux. Il s'affaissa, sa tete se fendit contre l'angle d'une pierre d'abatage. A ce moment, un chant de coq, rauque et prolonge, monta des tenebres.

La belle Lisa resta toute froide. Ses levres s'etaient pincees, sa gorge avait repris ces rondeurs muettes qui la faisaient rassembler a un ventre. Sur sa tete, elle entendait le sourd roulement des Halles. Par les soupiraux de la rue Rambuteau, dans le grand silence etouffe de la cave, tombaient les bruits du trottoir. Et elle pensait que ces gros bras seuls l'avaient sauvee. Elle secoua les quelques plumes collees a ses jupes. Puis, craignant d'etre surprise, sans regarder Marjolin, elle s'en alla. Dans l'escalier, quand elle eut passe la grille, la clarte du plein jour lui fut un grand soulagement.

Elle rentra a la charcuterie, tres-calme, un peu pale.

-Tu as ete bien longtemps, dit Quenu.

-Je n'ai pas trouve Gavard, je l'ai cherche partout, repondit-elle tranquillement. Nous mangerons notre gigot sans lui.

Elle fit emplir le pot de saindoux qu'elle trouva vide, coupa des cotelettes pour son amie madame Taboureau, qui lui avait envoye sa petite bonne. Les coups de couperet qu'elle donna sur l'etau lui rappelerent Marjolin, en bas, dans la cave. Mais elle ne se reprochait rien. Elle avait agi en femme honnete. Ce n'etait pas pour ce gamin qu'elle irait compromettre sa paix; elle etait trop a l'aise, entre son mari et sa fille. Cependant, elle regarda Quenu; il avait a la nuque une peau rude, une couenne rougeatre, et son menton rase etait d'une rugosite de bois noueux; tandis que la nique et le menton de l'autre semblaient du velours rose. Il n'y fallait plus penser, elle ne le toucherait plus la, puisqu'il songeait a des choses impossibles. C'etait un petit plaisir permis qu'elle regrettait, en se disant que les enfants grandissent vraiment trop vite.

Comme de legeres flammes remontaient a ses joues, Quenu la trouva " diablement portante. " Il s'etait assis un instant aupres d'elle dans le comptoir, il repetait:

-Tu devrais sortir plus souvent. Ca te fait du bien... Si tu veux, nous irons au theatre, un de ces soirs, a la Gaiete, ou madame Taboureau a vu cette piece qui est si bien...

Lisa sourit, dit qu'on verrait ca. Puis, elle disparut de nouveau. Quenu pensa qu'elle etait trop bonne de courir ainsi apres cet animal de Gavard. Il ne l'avait pas vue prendre l'escalier. Elle venait de monter, a la chambre de Florent, dont la clef restait accrochee a un clou de la cuisine.

Elle esperait savoir quelque chose dans cette chambre, puisqu'elle ne comptait plus sur le marchand de volailles. Elle fit lentement le tour, examina le lit, la cheminee, les quatre coins. La fenetre de la petite terrasse etait ouverte, le grenadier en boutons baignait dans la poussiere d'or du soleil couchant. Alors, il lui sembla que sa fille de boutique n'avait pas quitte cette piece, qu'elle y avait encore couche la nuit precedente; elle n'y sentait pas l'homme. Ce fut un etonnement, car elle s'attendait a trouver des caisses suspectes, des meubles a grosses serrures. Elle alla tater la robe d'ete d'Augustine, toujours pendue a la muraille. Puis, elle s'assit enfin devant la table, lisant une page commencee ou le mot " revolution " revenait deux fois. Elle fut effrayee, ouvrit le tiroir, qu'elle vit plein de papiers. Mais son honnetete se reveilla, en face de ce secret, si mal garde par cette mechante table de bois blanc. Elle restait penchee au-dessus des papiers, essayant de comprendre sans toucher, tres-emue, lorsque le chant aigu du pinson, dont un rayon oblique frappait la cage, la fit tressaillir. Elle repoussa le tiroir. C'etait tres-mal ce qu'elle allait faire la.