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-Je parie que c'est Muche, s'ecria la charcutiere; ah! le gredin d'enfant!

C'etait Muche, en effet. Pauline, qui etrennait justement ce jour-la une robe neuve, a raies bleues, avait voulu la montrer. Elle se tenait toute droite, devant la boutique, bien sage, les levres pincees par cette moue grave d'une petite femme de six ans qui craint de se salir. Ses jupes, tres-courtes, tres-empesees, bouffaient comme des jupes de danseuse, montrant ses bas blancs bien tires, ses bottines vernies, d'un bleu d'azur; tandis que son grand tablier, qui la decolletait, avait, aux epaules, un etroit volant brode, d'ou ses bras, adorables d'enfance, sortaient nus et roses. Elle portait des boutons de turquoise aux oreilles, une jeannette au cou, un ruban de velours bleu dans les cheveux, tres-bien peignee, avec l'air gras et tendre de sa mere, la grace parisienne d'une poupee neuve.

Muche, des Halles, l'avait apercue. Il mettait dans le ruisseau des petits poissons morts que l'eau emportait, et qu'il suivait le long du trottoir, en disant qu'ils nageaient. Mais la vue de Pauline, si belle, si propre, lui fit traverser la chaussee, sans casquette, la blouse dechiree, le pantalon tombant et montrant la chemise, dans le debraille d'un galopin de sept ans. Sa mere lui avait bien defendu de jouer jamais avec " cette grosse bete d'enfant que ses parents bourraient a la faire crever. " Il roda un instant, s'approcha, voulut toucher la jolie robe a raies bleues. Pauline, d'abord flattee, eut une moue de prude, recula, en murmurant d'un ton fache:

-Laisse-moi... Maman ne veut pas.

Cela fit rire le petit Muche, qui etait tres-degourdi et tres-entreprenant.

-Ah bien! dit-il, tu es joliment godiche!... Ca ne fait rien que ta maman ne veuille pas... Nous allons jouer a nous pousser, veux-tu?

Il devait nourrir l'idee mauvaise de salir Pauline. Celle-ci, en le voyant s'appreter a lui donner une poussee dans le dos, recula davantage, fit mine de rentrer. Alors, il fut tres doux; il remonta ses culottes, en homme du monde.

-Es-tu bete! c'est pour rire... Tu es bien gentille comme ca. Est-ce que c'est a ta maman, ta petite croix?

Elle se rengorgea; dit que c'etait a elle. Lui, doucement, l'amenait jusqu'au coin de la rue Pirouette; il lui touchait les jupes, en s'etonnant, en trouvant ca drolement raide; ce qui causait un plaisir infini a la petite. Depuis qu'elle faisait la belle sur le trottoir, elle etait tres-vexee de voir que personne ne la regardait. Mais, malgre les compliments de Muche, elle ne voulut pas descendre du trottoir.

-Quelle grue! s'ecria-t-il, en redevenant grossier. Je vas t'asseoir sur ton panier aux crottes, tu sais, madame Belles-fesses!

Elle s'effaroucha. Il l'avait prise par la main; et comprenant sa faute, se montrant de nouveau calin, fouillant vivement dans sa poche:

-J'ai un sou, dit-il.

La vue du sou calma Pauline. Il tenait le sou du bout des doigts, devant elle, si bien qu'elle descendit sur la chaussee, sans y prendre garde, pour suivre le sou. Decidement, le petit Muche etait en bonne fortune.

-Qu'est-ce que tu aimes? demanda-t-il.

Elle ne repondit pas tout de suite; elle ne savait pas, elle aimait trop de choses. Lui, nomma une foule de friandises: de la reglisse, de la melasse, des boules de gomme, du sucre en poudre. Le sucre en poudre fit beaucoup reflechir la petite; ou trempe un doigt, et on le suce; c'est tres bon. Elle restait toute serieuse. Puis, se decidant:

-Non, j'aime bien les cornets.

Alors, il lui prit le bras, il l'emmena, sans qu'elle resistat. Ils traverserent la rue Rambuteau, suivirent le large trottoir des Halles, allerent jusque chez un epicier de la rue de la Cossonnerie, qui avait la renommee des cornets. Les cornets sont de minces cornets de papier, ou les epiciers mettent les debris de leur etalage, les dragees cassees, les marrons glaces tombes en morceaux, les fonds suspects des bocaux de bonbons. Muche fit les choses galamment; il laissa choisir le cornet par Pauline, un cornet de papier bleu, ne le lui reprit pas, donna son sou. Sur le trottoir, elle vida les miettes de toutes sortes dans les deux poches de son tablier; et ces poches etaient si etroites, qu'elles furent pleines. Elle croquait doucement, miette par miette, ravie, mouillant son doigt, pour avoir la poussiere trop fine; si bien que cela fondait les bonbons, et que deux taches brunes marquaient deja les deux poches du tablier. Muche avait un rire sournois. Il la tenait par la taille, la chiffonnant a son aise, lui faisant tourner le coin de la rue Pierre-Lescot, du cote de la place des Innocents, en lui disant:

-Hein? tu veux bien jouer, maintenant?... C'est bon, ce que tu as dans tes poches. Tu vois que je ne voulais pas te faire de mal, grande bete.

Et lui-meme, il fourrait les doigts au fond des poches. Ils entrerent dans le square. C'etait la sans doute que le petit Muche revait de conduire sa conquete. Il lui fit les honneurs du square, comme d'un domaine a lui, tres-agreable, ou il galopinait pendant des apres-midi entieres. Jamais Pauline n'etait allee si loin; elle aurait sanglotte comme une demoiselle enlevee, si elle n'avait pas eu du sucre dans les poches. La fontaine, au milieu de la pelouse coupee de corbeilles, coulait, avec la dechirure de ses nappes; et les nymphes de Jean Goujon, toutes blanches dans le gris de la pierre, penchant leurs urnes, mettaient leur grace nue, au milieu de l'air noir du quartier Saint-Denis. Les enfants firent le tour, regardant l'eau tomber des six bassins, interesses par l'herbe, revant certainement de traverser la pelouse centrale, ou de se glisser sous les massifs de houx et de rhododendrons, dans la plate-bande longeant la grille du square. Cependant le petit Muche, qui etait parvenu a froisser la belle robe, par derriere, dit, avec son rire en dessous:

-Nous allons jouer a nous jeter du sable, veux-tu?

Pauline etait seduite. Ils se jeterent du sable, en fermant les yeux. Le sable entrait par le corsage decollete de la petite, coulait tout le long, jusque dans ses bas et ses bottines. Muche s'amusait beaucoup, a voir le tablier blanc devenir tout jaune. Mais il trouva sans doute que c'etait encore trop propre.

-Hein? si nous plantions des arbres, demanda-t-il tout a coup. C'est moi qui sais faire de jolis jardins!

-Vrai, des jardins! murmura Pauline pleine d'admiration.

Alors, comme le gardien du square n'etait pas la, il lui fit creuser des trous dans une plate bande. Elle etait a genoux, au beau milieu de la terre molle, s'allongeant sur le ventre, enfoncant jusqu'aux coudes ses adorables bras nus. Lui, cherchait des bouts de bois, cassait des branches. C'etait les arbres du jardin, qu'il plantait dans les trous de Pauline. Seulement, il ne trouvait jamais les trous assez profonds, il la traitait en mauvais ouvrier, avec des rudesses de patron. Quand elle se releva, elle etait noire des pieds a la tete; elle avait de la terre dans les cheveux, toute barbouillee, si drole avec ses bras de charbonnier, que Muche tapa dans ses mains, en s'ecriant:

-Maintenant, nous allons les arroser... Tu comprends, ca ne pousserait pas.

Ce fut le comble. Ils sortaient du square, ramassaient de l'eau au ruisseau, dans le creux de leurs mains, revenaient en courant arroser les bouts de bois. En route, Pauline, qui etait trop grosse et qui ne savait pas courir, laissait echapper toute l'eau entre ses doigts, le long de ses jupes; si bien qu'au sixieme voyage, elle semblait s'etre roulee dans le ruisseau. Muche la trouva tres-bien, quand elle fut tres-sale. Il la fit asseoir avec lui sous un rhododendron, a cote du jardin qu'ils avaient plante. Il lui racontait que ca poussait deja. Il lui avait pris la main, en l'appelant sa petite femme.

-Tu ne regrettes pas d'etre venue, n'est-ce pas? Au lieu de rester sur le trottoir, ou tu as l'air de l'ennuyer fameusement... Tu verras, je sais tout plein de jeux, dans les rues. Il faudra revenir, entends-tu. Seulement, on ne parle pas de ca a sa maman. On ne fait pas la bete... Si tu dis quelque chose, tu sais, je te tirerai les cheveux, quand je passerai devant chez toi.