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-Hein! ca t'amuse, grande bete, dit Cadine qui riait aussi. Ils sont droles, les pigeons, quand ils rentrent la tete, comme ca, entre les epaules, pour qu'on ne leur trouve pas le cou... Allez, ce n'est pas bon, ces animaux-la; ca vous pincerait, si ca pouvait.

Et, riant plus haut de la hate de plus en plus fievreuse de Marjolin, elle ajouta:

-J'ai essaye, mais je ne vais pas si vite que lui... Un jour, il en a saigne cent en dix minutes.

Le cadre de bois s'emplissait; on entendait les gouttes de sang tomber dans la caisse. Alors Claude, en se tournant, vit Florent tellement pale, qu'il se hata de l'emmener. En haut, il le fit asseoir sur une marche de l'escalier.

-Eh bien, quoi donc! dit-il en lui tapant dans les mains. Voila que vous vous evanouissez comme une femme.

-C'est l'odeur de la cave, murmura Florent un peu honteux.

Ces pigeons, auxquels on fait avaler du grain et de l'eau salee, qu'on assomme et qu'on egorge, lui avaient rappele les ramiers des Tuilleries, marchant avec leurs robes de satin changeant dans l'herbe jaune de soleil. Il les voyait roucoulant sur le bras de marbre du lutteur antique, au milieu du grand silence du jardin, tandis que, sous l'ombre noire des marronniers, des petites filles jouent au cerceau. Et c'etait alors que cette grosse brute blonde faisant son massacre, tapant du manche et trouant de la pointe, au fond de cette cave nauseabonde, lui avait donne froid dans les os; il s'etait senti tomber, les jambes molles, les paupieres battantes.

-Diable! reprit Claude quand il fut remis, vous ne feriez pas un bon soldat... Ah bien! ceux qui vous ont envoye a Cayenne, sont encore de jolis messieurs, d'avoir eu peur de vous. Mais, mon brave, si vous vous mettez jamais d'une emeute, vous n'oserez pas tirer un coup de pistolet; vous aurez trop peur de tuer quelqu'un.

Florent se leva, sans repondre. Il etait devenu tres-sombre, avec des rides desesperees qui lui coupaient la face. Il s'en alla, laissant Claude redescendre dans la cave; et, en se rendant a la poissonnerie, il songeait de nouveau au plan d'attaque, aux bandes armees qui envahiraient le Palais-Bourbon. Dans les Champs-Elysees, le canon gronderait; les grilles seraient brisees; il y aurait du sang sur les marches, des eclaboussures de cervelle contre les colonnes. Ce fut une vision rapide de bataille. Lui, au milieu, tres-pale, ne pouvait regarder, se cachait la figure entre les mains.

Comme il traversait la rue du Pont-Neuf, il crut apercevoir, au coin du pavillon aux fruits, la face bleme d'Auguste qui tendait le cou. Il devait guetter quelqu'un, les yeux arrondis par une emotion extraordinaire d'imbecile. Il disparut brusquement, il rentra en courant a la charcuterie.

-Qu'a-t-il donc? pensa Florent. Est-ce que je lui fais peur?

Dans cette matinee, il s'etait passe de tres-graves evenements chez les Quenu-Gradelle. Au point du jour, Auguste accourut tout effare reveiller la patronne, en lui disant que la police venait prendre monsieur Florent. Puis, balbutiant davantage, il lui conta confusement que celui-ci etait sorti, qu'il avait du se sauver. La belle Lisa, en camisole, sans corset, se moquant du monde, monta vivement a la chambre de son beau-frere, ou elle prit la photographie de la Normande, apres avoir regarde si rien ne les compromettait. Elle redescendait, lorsqu'elle rencontra les agents de police au second etage. Le commissaire la pria de les accompagner. Il l'entretint un instant a voix basse, s'installant avec ses hommes dans la chambre, lui recommandant d'ouvrir la boutique comme d'habitude, de facon a ne donner l'eveil a personne. Une souriciere etait tendue.

Le seul souci de la belle Lisa, en cette aventure, etait le coup que le pauvre Quenu allait recevoir. Elle craignait, en outre, qu'il fit tout manquer par ses larmes, s'il apprenait que la police se trouvait la. Aussi exigea-t-elle d'Auguste le serment le plus absolu de silence. Elle revint mettre son corset, conta a Quenu endormi une histoire. Une demi-heure plus tard, elle etait sur le seuil de la charcuterie, peignee, sanglee, vernie, la face rose. Auguste faisait tranquillement l'etalage. Quenu parut un instant sur le trottoir, baillant legerement, achevant de s'eveiller dans l'air frais du matin. Rien n'indiquait le drame qui se nouait en, haut.

Mais le commissaire donna lui-meme l'eveil au quartier, en allant faire une visite domiciliaire chez les Mehudin, rue Pirouette. Il avait les notes les plus precises. Dans les lettres anonymes recues a la prefecture, on affirmait que Florent couchait le plus souvent avec la belle Normande.

Peut-etre s'etait-il refugie la. Le commissaire, accompagne de deux hommes vint secouer la porte, au nom de la loi. Les Mehudin se levaient a peine. La vieille ouvrit, furieuse, puis subitement calmee et ricanant, lorsqu'elle sut de quoi il s'agissait. Elle s'etait assise, rattachant ses vetements, disant a ces messieurs:

-Nous sommes d'honnetes gens, nous n'avons rien a craindre, vous pouvez chercher.

Comme la Normande n'ouvrait pas assez vite la porte de sa chambre, le commissaire la fit enfoncer. Elle s'habillait, la gorge libre, montrant ses epaules superbes, un jupon entre les dents. Cette entree brutale, qu'elle ne s'expliquait pas, l'exaspera; elle lacha le jupon, voulut se jeter sur les hommes, en chemise, plus rouge de colere que de honte. Le commissaire, en face de cette grande femme nue, s'avancait, protegeant ses hommes, repetant de sa voix froide:

-Au nom de la loi! au nom de la loi!

Alors, elle tomba dans un fauteuil, sanglottante, secouee par une crise, a se sentir trop faible, a ne pas comprendre ce qu'on voulait d'elle. Ses cheveux s'etaient denoues, sa chemise ne lui venait pas aux genoux, les agents avaient des regards de cote pour la voir. Le commissaire de police lui jeta un chale qu'il trouva pendu au mur. Elle ne s'en enveloppa meme pas; elle pleurait plus fort, en regardant les hommes fouiller brutalement dans son lit, tater de la main les oreillers, visiter les draps.

-Mais qu'est-ce que j'ai fait? finit-elle par begayer. Qu'est-ce que vous cherchez donc dans mon lit?

Le commissaire prononca le nom de Florent, et comme la vieille Mehudin etait restee sur le seuil de la chambre;

-Ah! la coquine, c'est elle! s'ecria la jeune femme, en voulant s'elancer sur sa mere.

Elle l'aurait battue. On la retint, on l'enveloppa de force dans le chale. Elle se debattait, elle disait d'une voix suffoquee:

-Pour qui donc me prend-on!..... Ce Florent n'est jamais entre ici, entendez-vous. Il n'y a rien eu entre nous. On cherche a me faire du tort dans le quartier, mais qu'on vienne me dire quelque chose en face, vous verrez. On me mettra en prison, apres; ca m'est egal... Ah bien! Florent, j'ai mieux que lui! Je peux epouser qui je veux, je les ferai crever de rage, celles qui vous envoient.

Ce flot de paroles la calmait. Sa fureur se tournait contre Florent, qui etait la cause de tout. Elle s'adressa au commissaire, se justifiant:

-Je ne savais pas, monsieur. Il avait l'air tres-doux, il nous a trompees. Je n'ai pas voulu ecouter ce qu'on disait, parce qu'on est si mechant... Il venait donner des lecons au petit, puis il s'en allait. Je le nourrissais, je lui faisais souvent cadeau d'un beau poisson. C'est tout... Ah! non, par exemple, on ne me reprendra plus a etre bonne comme ca!