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-Tiens! reprit mademoiselle Saget, la belle Normande achete quelque chose... Qu'est-ce donc qu'elle achete? C'est une andouille, je crois... Ah! voila! Vous n'avez pas vu, vous autres? La belle Lisa vient de lui rendre la photographie, en lui mettant l'andouille dans la main.

Puis, il y eut encore des salutations. La belle Lisa, depassant meme les amabilites reglees a l'avance, voulut accompagner la belle Normande jusque sur le trottoir. La, elles rirent toutes les deux, se montrerent au quartier en bonnes amies. Ce fut une veritable joie pour les Halles; les marchandes revinrent a leur banc, en declarant que tout s'etait tres-bien passe.

Mais mademoiselle Saget retint madame Lecoeur et la Sarriette. Le drame se nouait a peine. Elles couvaient toutes trois des yeux la maison d'en face, avec une aprete de curiosite qui cherchait a voir a travers les pierres. Pour patienter, elles causerent encore de la belle Normande.

-La voila sans homme, dit madame Lecoeur.

-Elle a monsieur Lebigre, fit remarquer la Sarriette, qui se mit a rire.

-Oh! monsieur Lebigre, il ne voudra plus.

Mademoiselle Saget haussa les epaules, en murmurant:

-Vous ne le connaissez guere. Il se moque pas mal de tout ca. C'est un homme qui sait faire ses affaires, et la Normande est riche. Dans deux mois, ils seront ensemble, vous verrez. Il y a longtemps que la mere Mehudin travaille a ce mariage.

-N'importe, reprit la marchande de beurre, le commissaire ne l'en a

pas moins trouvee couchee avec ce Florent

-Mais non, je ne vous ai pas dit ca... Le grand maigre venait de partir. J'etais la, quand on a regarde dans le lit. Le commissaire a tate avec la main. Il y avait deux places toutes chaudes...

La vieille reprit haleine, et d'une voix indignee:

-Ah! voyez-vous, ce qui m'a fait le plus de mal, c'est d'entendre toutes les horreurs que ce gueux apprenait au petit Muche. Non, vous ne pouvez pas croire... Il y en avait un gros paquet.

-Quelles horreurs? demanda la Sarriette allechee.

-Est-ce qu'on sait! Des saletes, des cochonneries. Le commissaire a dit que ca suffisait pour le faire pendre ... C'est un monstre, cet homme-la. Aller s'attaquer a un enfant, s'il est permis! Le petit Muche ne vaut pas grand'chose mais ce n'est pas une raison pour le fourrer avec les rouges, ce marmot, n'est-ce pas?

-Bien sur, repondirent les deux autres.

-Enfin, on est en train de mettre bon ordre a tout ce micmac. Je vous le disais, vous vous rappelez: " Il y a un micmac chez les Quenu qui ne sent pas bon. " Vous voyez si j'avais le nez fin ... Dieu merci, le quartier va pouvoir respirer un peu. Ca demandait un fier coup de balai; car, ma parole d'honneur, on finissait par avoir peur d'etre assassine en plein jour. On ne vivait plus. C'etaient des cancans, des facheries, des tueries. Et ca pour un seul homme, pour ce Florent... Voila la belle Lisa et la belle Normande remises; c'est tres-bien de leur part, elles devaient ca a la tranquillite de tous. Maintenant, le reste marchera bon train, vous allez voir ... Tiens, ce pauvre monsieur Quenu qui rit la-bas.

Quenu, en effet, etait de nouveau sur le trottoir, debordant dans son tablier blanc, plaisantant avec la petite bonne de madame Taboureau. Il etait tres-gaillard, ce matin-la. Il pressait les mains de la petite bonne, lui cassait les poignets a la faire crier, dans sa belle humeur de charcutier. Lisa avait toutes les peines du monde a le renvoyer a la cuisine. Elle marchait d'impatience dans la boutique, craignant que Florent n'arrivat, appelant son mari pour eviter une rencontre.

-Elle se fait du mauvais sang, dit mademoiselle Saget. Ce pauvre monsieur Quenu ne sait rien. Rit-il comme un innocent!... Vous savez que madame Taboureau disait qu'elle se facherait avec les Quenu, s'ils se deconsideraient davantage en gardant leur Florent chez eux.

-En attendant, ils gardent l'heritage, fit remarquer madame Lecoeur.

-Eh! non, ma bonne... L'autre a eu sa part.

-Vrai... Comment le savez-vous?

-Pardieu! ca se voit, reprit la vieille, apres une courte hesitation, et sans donner d'autre preuve. Il a meme pris plus que sa part. Les Quenu en seront pour plusieurs milliers de francs... Il faut dire qu'avec des vices, ca va vite... Ah! vous ignorez, peut-etre: il avait une autre femme...

-Ca ne m'etonne pas, interrompit la Sarriette; ces hommes maigres sont de fiers hommes.

-Oui, et pas jeune encore, cette femme. Vous savez, quand un homme en veut, il en veut; il en ramasserait par terre... Madame Verlaque, la femme de l'ancien inspecteur, vous la connaissez bien, cette dame toute jaune...

Mais les deux autres se recrierent. Ce n'etait pas possible. Madame Verlaque etait abominable. Alors mademoiselle Saget s'emporta.

-Quand je vous le dis! Accusez-moi de mentir, n'est-ce pas?... On a des preuves, on a trouve des lettres de cette femme, tout un paquet de lettres, dans lesquelles elle lui demandait de l'argent, des dix et vingt francs a la fois. C'est clair, enfin... A eux deux, ils auront fait mourir le mari.

La Sarriette et madame Lecoeur furent convaincues. Mais elles perdaient patience. Il y avait plus d'une heure qu'elles attendaient sur le trottoir. Elles disaient que, pendant ce temps, on les volait peut-etre, a leurs bancs. Alors, ma demoiselle Saget les retenait avec une nouvelle histoire Florent ne pouvait pas s'etre sauve; il allait revenir; ce serait tres-interessant, de le voir arreter. Et elle donnait des details minutieux sur la souriciere, tandis que la marchande de beurre et la marchande de fruits continuaient a examiner la maison de haut en bas, epiant chaque ouverture, s'attendant a voir des chapeaux de sergents de ville a toutes les fentes. La maison, calme et muette, baignait beatement dans le soleil du matin.

-Si l'on dirait que c'est plein de police! murmura madame Lecoeur.

-Ils sont dans la mansarde, la-haut, dit la vieille. Voyez-vous, ils ont laisse la fenetre comme ils l'ont trouvee... Ah! regardez, il y en a un, je crois, cache derriere le grenadier, sur la terrasse.

Elles tendirent le cou, elles ne virent rien.

-Non, c'est l'ombre, expliqua la Sarriette. Les petits rideaux eux-memes ne remuent pas. Ils ont du s'asseoir tous dans la chambre et ne plus bouger.

A ce moment, elles apercurent Gavard qui sortait du pavillon de la maree, l'air preoccupe. Elles se regarderent avec des yeux luisants, sans parler. Elles s'etaient rapprochees, droites dans leurs jupes tombantes. Le marchand de volailles vint a elles.

-Est-ce que vous avez vu passer Florent? demanda-t-il. Elles ne repondirent pas.

-J'ai besoin de lui parler tout de suite, continua Gavard. Il n'est pas a la poissonnerie. Il doit etre remonte chez lui... Vous l'auriez vu, pourtant.

Les trois femmes etaient un peu pales. Elles se regardaient toujours, d'un air profond, avec de legers tressaillements aux coins des levres. Comme son beau-frere hesitait:

-Il n'y a pas cinq minutes que nous sommes la, dit nettement madame Lecoeur. Il aura passe auparavant.

-Alors, je monte, je risque les cinq etages, reprit Gavard en riant.

La Sarriette fit un mouvement, comme pour l'arreter; mais sa tante lui prit le bras, la ramena, en lui soufflant a l'oreille:

-Laisse donc, grande bete! C'est bien fait pour lui. Ca lui apprendra a nous marcher dessus.

-Il n'ira plus dire que je mange de la viande gatee, murmura plus bas encore mademoiselle Saget.

Puis, elles n'ajouterent rien. La Sarriette etait tres-rouge; les deux autres restaient toutes jaunes. Elles tournaient la tete maintenant, genees par leurs regards, embarrassees de leurs mains, qu'elles cacherent sous leurs tabliers. Leurs yeux finirent par se lever instinctivement sur la maison, suivant Gavard a travers les pierres, le voyant monter les cinq etages. Quand elles le crurent dans la chambre, elles s'examinerent de nouveau, avec des coups d'oeil de cote. La Sarriette eut un rire nerveux. Il leur sembla un instant que les rideaux de la fenetre remuaient, ce qui les fit croire a quelque lutte. Mais la facade de la maison gardait sa tranquillite tiede; un quart d'heure s'ecoula, d'une paix absolue, pendant lequel une emotion croissante les prit a la gorge. Elles defaillaient, lorsqu'un homme, sortant de l'allee, courut enfin chercher un fiacre. Cinq minutes plus tard, Gavard descendait, suivi de deux agents. Lisa, qui etait venue sur le trottoir, en apercevant le fiacre, se hata de rentrer dans la charcuterie.