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Gavard etait bleme. En haut, on l'avait fouille, on avait trouve sur lui son pistolet et sa boite de cartouches. A la rudesse du commissaire, au mouvement qu'il venait de faire en entendant son nom, il se jugeait perdu. C'etait un denoument terrible, auquel il n'avait jamais nettement songe. Les Tuileries ne lui pardonneraient pas. Ses jambes flechissaient, comme si le peloton d'execution l'eut attendu. Lorsqu'il vit la rue, pourtant, il trouva assez de force dans sa vantardise pour marcher droit. Il eut meme un dernier sourire, en pensant que les Halles le voyaient et qu'il mourrait bravement.

Cependant, la Sarriette et madame Lecoeur etaient accourues. Quand elles eurent demande une explication, la marchande de beurre se mit a sangloter, tandis que la niece, tres-emue, embrassait son oncle. Il la tint serree entre ses bras, en lui remettant une clef et en lui murmurant a l'oreille:

-Prends tout, et brule les papiers.

Il monta en fiacre, de l'air dont il serait monte sur l'echafaud. Quand la voiture eut disparu au coin de la rue Pierre-Lescot, madame Lecoeur apercut la Sarriette qui cherchait a cacher la clef dans sa poche.

-C'est inutile, ma petite, lui dit-elle les dents serrees, j'ai vu qu'il te la mettait dans la main... Aussi vrai qu'il n'y a qu'un Dieu, j'irai tout lui dire a la prison, si tu n'es pas gentille avec moi.

-Mais ma tante, je suis gentille, repondit la Sarriette avec un sourire embarrasse.

-Allons tout de suite chez lui, alors. Ce n'est pas la peine de laisser aux argousins le temps de mettre leurs pattes dans ses armoires.

Mademoiselle Saget qui avait ecoute, avec des regards flamboyants, les suivit, courut derriere elles, de toute la longueur de ses petites jambes. Elle se moquait bien d'attendre Florent, maintenant. De la rue Rambuteau a la rue de la Cossonnerie, elle se fit tres-humble; elle etait pleine d'obligeance, elle offrait de parler la premiere a la portiere, madame Leonce.

-Nous verrons, nous verrons, repetait brievement la marchande de beurre.

Il fallut en effet parlementer. Madame Leonce ne voulait pas laisser monter ces dames a l'appartement de son locataire. Elle avait la mine tres-austere, choquee par le fichu mal noue de la Sarriette.. Mais quand la vieille demoiselle lui eut dit quelques mots tout bas, et qu'on lui eut montre la clef, elle se decida. En haut, elle ne livra les pieces qu'une a une, exasperee, le coeur saignant comme si elle avait du indiquer elle-meme a des voleurs l'endroit ou son argent se trouvait cache.

-Allez, prenez tout, s'ecria-t-elle, en se jetant dans un fauteuil.

La Sarriette essayait deja la clef a toutes les armoires. Madame Lecoeur, d'un air soupconneux, la suivait de si pres, etait tellement sur elle, qu'elle lui dit:

-Mais, ma tante, vous me genez. Laissez-moi les bras libres, au moins.

Enfin, une armoire s'ouvrit, en face de la fenetre, entre la cheminee et le lit. Les quatre femmes pousserent un soupir. Sur la planche du milieu, il y avait une dizaine de mille francs en pieces d'or, methodiquement rangees par petites piles. Gavard, dont la fortune etait prudemment deposee chez un notaire, gardait cette somme en reserve pour " le coup de chien. " Comme il le disait avec solennite, il tenait pret son apport dans la revolution. Il avait vendu quelques titres, goutant une jouissance particuliere a regarder les dix mille francs chaque soir, les couvant des yeux, en leur trouvant la mine gaillarde et insurrectionnelle. La nuit, il revait qu'on se battait dans son armoire; il y entendait des coups de fusil, des paves arraches et roulant, des voix de vacarme et de triomphe: c'etait son argent qui faisait de l'opposition.

La Sarriette avait tendu les mains, avec un cri de joie.

-Bas les griffes! ma petite, dit madame Lecoeur d'une vois rauque.

Elle etait plus jaune encore, dans le reflet de l'or, la face marbree par la bile, les yeux brules par la maladie de foie qui la minait sourdement. Derriere elle, mademoiselle Saget se haussait sur la pointe des pieds, en extase, regardant jusqu'au fond de l'armoire. Madame Leonce, elle aussi, s'etait levee, machant des paroles sourdes.

-Mon oncle m'a dit de tout prendre, reprit nettement la jeune femme.

-Et moi qui l'ai soigne, cet homme, je n'aurai rien, alors, s'ecria la portiere.

Madame Lecoeur etouffait; elle les repoussa, se cramponna a l'armoire, en begayant:

-C'est mon bien, je suis sa plus proche parente, vous etes des voleuses, entendez-vous... J'aimerais mieux tout jeter par la fenetre.

Il y eut un silence, pendant lequel elles se regarderent toutes les quatre avec des regards louches. Le foulard de la Sarriette s'etait tout a fait denoue; elle montrait la gorge, adorable de vie, la bouche humide, les narines roses. Madame Lecoeur s'assombrit encore en la voyant si belle de desir.

-Ecoute, lui dit-elle d'une voix plus sourde, ne nous battons pas... Tu es sa niece, je veux bien partager... Nous allons prendre une pile, chacune a notre tour.

Alors, elles ecarterent les deux autres. Ce fut la marchande de beurre qui commenca. La pile disparut dans ses jupes. Puis, la Sarriette prit une pile egalement. Elles se surveillaient, pretes a se donner des tapes sur les mains. Leurs doigts s'allongeaient regulierement, des doigts horribles et noueux, des doigts blancs et d'une souplesse de soie. Elles s'emplirent les poches. Lorsqu'il ne resta plus qu'une pile, la jeune femme ne voulut pas que sa tante l'eut, puisque c'etait elle qui avait commence. Elle la partagea brusquement entre mademoiselle Saget et madame Leonce, qui les avaient regardees empocher l'or avec des pietinements de fievre.

-Merci, gronda la portiere, cinquante francs, pour l'avoir dorlote avec de la tisane et du bouillon! Il disait qu'il n'avait pas de famille, ce vieil enjoleur.

Madame Lecoeur, avant de fermer l'armoire, voulut la visiter de haut en bas. Elle contenait tous les livres politiques defendus a la frontiere, les pamphlets de Bruxelles, les histoires scandaleuses des Bonaparte, les caricatures etrangeres ridiculisant l'empereur. Un des grands regals de Gavard etait de s'enfermer parfois avec un ami pour lui montrer ces choses compromettantes.

-Il m'a bien recommande de bruler les papiers, fit remarquer la Sarriette.

-Bah! nous n'avons pas de feu, ca serait trop long... Je flaire la police. Il faut deguerpir.

Et elles s'en allerent toutes quatre. Elles n'etaient pas au bas de l'escalier, que la police se presenta. Madame Leonce dut remonter, pour accompagner ces messieurs. Les trois autres, serrant les epaules, se haterent de gagner la rue. Elles marchaient vite, a la file, la tante et la niece genees par le poids de leurs poches pleines. La Sarriette qui allait la premiere, se retourna, en remontant sur le trottoir de la rue Rambuteau, et dit avec son rire tendre:

-Ca me bat contre les cuisses.

Et madame Lecoeur lacha une obscenite, qui les amusa.

Elles goutaient une jouissance a sentir ce poids qui leur tirait les jupes, qui se pendait a elles comme des mains chaudes de caresses. Mademoiselle Saget avait garde les cinquante francs dans son poing ferme. Elle restait serieuse, batissait un plan pour tirer encore quelque chose de ces grosses poches qu'elle suivait. Comme elles se retrouvaient au coin de la poissonnerie:

-Tiens! dit la vieille, nous revenons au bon moment, voila le Florent qui va se faire pincer.

Florent, en effet, rentrait de sa longue course. Il alla changer de paletot dans son bureau, se mit a sa besogne quotidienne, surveillant le lavage des pierres, se promenant lentement le long des allees. Il lui sembla qu'on le regardait singulierement; les poissonnieres chuchotaient sur son passage, baissaient le nez, avec des yeux sournois. Il crut a quelque nouvelle vexation. Depuis quelque temps, ces grosses et terribles femmes ne lui laissaient pas une matinee de repos. Mais comme il passait devant le banc des Mehudin, il fut tres-surpris d'entendre la mere lui dire d'une voix doucereuse: