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– Oh! oh! dit-il, d'où vient cette fougue? Qu'est-il arrivé, et quelle est l'Ariane qui m'attend avec une pareille impatience? Voyons.

Alors il appuya le bout de son doigt sur le clou parallèle à celui qu'il avait tiré. Aussitôt la glace joua comme le battant d'une porte et découvrit un placard assez profond, dans lequel le surintendant disparut comme dans une vaste boîte. Là, il poussa un nouveau ressort, qui ouvrit, non pas une planche, mais un bloc de muraille, et sortit par cette tranchée, laissant la porte se refermer d'elle-même.

Alors Fouquet descendit une vingtaine de marches qui s'enfonçaient en tournoyant sous la terre, et trouva un long souterrain dallé et éclairé par des meurtrières imperceptibles. Les parois de ce souterrain étaient couvertes de dalles, et le sol de tapis. Ce souterrain passait sous la rue même qui séparait la maison de Fouquet du parc de Vincennes. Au bout du souterrain tournoyait un escalier parallèle à celui par lequel Fouquet était descendu. Il monta cet autre escalier, entra par le moyen d'un ressort posé dans un placard semblable à celui de son cabinet, et, de ce placard, il passa dans une chambre absolument vide, quoique meublée avec une suprême élégance.

Une fois entré, il examina soigneusement si la glace fermait sans laisser de trace, et, content sans doute de son observation, il alla ouvrir, à l'aide d'une petite clé de vermeil, les triples tours d'une porte située en face de lui.

Cette fois, la porte ouvrait sur un beau cabinet meublé somptueusement et dans lequel se tenait assise sur des coussins une femme d'une beauté suprême, qui, au bruit des verrous, se précipita vers Fouquet.

– Ah! mon Dieu! s'écria celui-ci reculant d'étonnement: madame la marquise de Bellière, vous, vous ici!

– Oui, murmura la marquise; oui, moi, monsieur.

– Marquise, chère marquise, ajouta Fouquet prêt à se prosterner. Ah! mon Dieu! mais comment donc êtes-vous venue? Et moi qui vous ai fait attendre!

– Bien longtemps, monsieur, oh! oui, bien longtemps.

– Je suis assez heureux pour que cette attente vous ait duré, marquise?

– Une éternité, monsieur; oh! j'ai sonné plus de vingt fois; n'entendiez vous pas?

– Marquise, vous êtes pâle, vous êtes tremblante.

– N'entendiez-vous donc pas qu'on vous appelait?

– Oh! si fait, j'entendais bien, madame; mais je ne pouvais venir. Comment supposer que ce fût vous, après vos rigueurs, après vos refus? Si j'avais pu soupçonner le bonheur qui m'attendait, croyez-le bien, marquise, j'eusse tout quitté pour venir tomber à vos genoux, comme je le fais en ce moment.

La marquise regarda autour d'elle.

– Sommes-nous bien seuls, monsieur? demanda-t-elle.

– Oh! oui, madame, je vous en réponds.

– En effet, dit la marquise tristement.

– Vous soupirez?

– Que de mystères, que de précautions, dit la marquise avec une légère amertume et comme on voit que vous craignez de laisser soupçonner vos amours!

– Aimeriez-vous mieux que je les affichasse?

– Oh! non, et c'est d'un homme délicat, dit la marquise en souriant.

– Voyons, voyons, marquise, pas de reproches, je vous en supplie!

– Des reproches, ai-je le droit de vous en faire?

– Non, malheureusement non; mais, dites-moi, vous, que depuis un an j'aime sans retour et sans espoir…

– Vous vous trompez: sans espoir, c'est vrai; mais sans retour, non.

– Oh! pour moi, à l'amour, il n'y a qu'une preuve, et cette preuve, je l'attends encore.

– Je viens vous l'apporter, monsieur.

Fouquet voulut entourer la marquise de ses bras, mais elle se dégagea d'un geste.

– Vous tromperez-vous donc toujours, monsieur, et n'accepterez-vous pas de moi la seule chose que je veuille vous donner, le dévouement?

– Ah! vous ne m'aimez pas, alors; le dévouement n'est qu'une vertu, l'amour est une passion.

– Écoutez-moi, monsieur, je vous en supplie; je ne serais pas venue ici sans un motif grave, vous le comprenez bien.

– Peu m'importe le motif, puisque vous voilà, puisque je vous parle, puisque je vous vois.

– Oui, vous avez raison, le principal est que j'y sois, sans que personne m'ait vue, et que je puisse vous parler.

Fouquet se laissa tomber à deux genoux.

– Parlez, parlez, madame, dit-il, je vous écoute.

La marquise regardait Fouquet à ses genoux, et il y avait dans les regards de cette femme une étrange expression d'amour et de mélancolie.

– Oh! murmura-t-elle enfin, que je voudrais être celle qui a le droit de vous voir à chaque minute, de vous parler à chaque instant! Que je voudrais être celle qui veille sur vous, celle qui n'a pas besoin de mystérieux ressorts pour appeler, pour faire apparaître comme un sylphe l'homme qu'elle aime, pour le regarder une heure, et puis le voir disparaître dans les ténèbres, d'un mystère encore plus étrange à sa sortie qu'il n'était à son arrivée. Oh!… c'est une femme bien heureuse.

– Par hasard, marquise, dit Fouquet en souriant, parleriez-vous de ma femme?

– Oui, certes, j'en parle.

– Eh bien! n'enviez pas son sort, marquise; de toutes les femmes avec lesquelles je suis en relations, Mme Fouquet est celle qui me voit le moins, qui me parle le moins et qui a le moins de confidences avec moi.

– Au moins, monsieur, n'en est-elle pas réduite à appuyer, comme je l'ai fait, la main sur un ornement de glace pour vous faire venir; au moins ne lui répondez-vous pas par ce bruit mystérieux, effrayant, d'un timbre dont le ressort vient je ne sais d'où; au moins ne lui avez-vous jamais défendu de chercher à percer le secret de ces communications, sous peine de voir se rompre à jamais votre liaison avec elle, comme vous le défendez à celles qui sont venues ici avant moi et qui y viendront après moi.

– Ah! chère marquise, que vous êtes injuste et que vous savez peu ce que vous faites en récriminant contre le mystère! c'est avec le mystère seulement que l'on peut aimer sans trouble, c'est avec l'amour sans trouble qu'on peut être heureux. Mais revenons à vous, à ce dévouement dont vous me parliez, ou plutôt trompez-moi, marquise, et me laissez croire que ce dévouement, c'est de l'amour.

– Tout à l'heure, reprit la marquise en passant sur ses yeux cette main modelée sur les plus suaves contours de l'antique, tout à l'heure j'étais prête à parler, mes idées étaient nettes, hardies; maintenant, je suis tout interdite, toute troublée, toute tremblante; je crains de venir vous apporter une mauvaise nouvelle.

– Si c'est à cette mauvaise nouvelle que je dois votre présence, marquise, que cette mauvaise nouvelle soit la bienvenue; ou plutôt, marquise, puisque vous voilà, puisque vous m'avouez que je ne vous suis pas tout à fait indifférent, laissons de côté cette mauvaise nouvelle, et ne parlons que de vous.

– Non, non, au contraire, demandez-la-moi; exigez que je vous la dise à l'instant, que je ne me laisse détourner par aucun sentiment; Fouquet, mon ami, il y va d'un intérêt immense.

– Vous m'étonnez, marquise; je dirai même plus, vous me faites presque peur, vous, si sérieuse, si réfléchie, vous qui connaissez si bien le monde où nous vivons. C'est donc grave.

– Oh! très grave, écoutez!