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– Oui.

– Et avait écrit sur ce papier?

– Oui.

– Eh bien! ce crayon était de mine de plomb, dur par conséquent: il a marqué en noir sur la première feuille et, sur la seconde, a tracé son empreinte en blanc.

– Après?

– Colbert, en déchirant la première feuille, n'a pas songé à la seconde.

– Eh bien?

– Eh bien! sur la seconde on pouvait lire ce qui avait été écrit sur la première; Mme Vanel l'a lu et m'a envoyé chercher.

– Ah!

– Puis, après s'être assurée que j'étais pour vous une amie dévouée, elle m'a donné le papier et m'a dit le secret de cette maison.

– Et ce papier? dit Fouquet en se troublant quelque peu.

– Le voilà, monsieur; lisez, dit la marquise.

Fouquet lut: «Noms des traitants à faire condamner par la Chambre de justice: d'Emerys, ami de M. F…; Lyodot, ami de M. F…; de Vanin, indif.»

– D'Emerys! Lyodot! s'écria Fouquet en relisant.

– Amis de M. F., indiqua du doigt la marquise.

– Mais que veulent dire ces mots: «À faire condamner par la Chambre de justice»?

– Dame! fit la marquise, c'est clair, ce me semble. D'ailleurs, vous n'êtes pas au bout. Lisez, lisez.

Fouquet continua: «Les deux premiers, à mort, le troisième à renvoyer, avec MM. d'Hautemont et de La Valette, dont les biens seront seulement confisqués.»

– Grand Dieu! s'écria Fouquet, à mort, à mort, Lyodot et d'Emerys! Mais, quand même la Chambre de justice les condamnerait à mort, le roi ne ratifiera pas leur condamnation, et l'on n'exécute pas sans la signature du roi.

– Le roi a fait M. Colbert intendant.

– Oh! s'écria Fouquet, comme s'il entrevoyait sous ses pieds un abîme aperçu, impossible! impossible! Mais qui a passé un crayon sur les traces de celui de M. Colbert.

– Moi. J'avais peur que le premier trait ne s'effaçât.

– Oh! je saurai tout.

– Vous ne saurez rien, monsieur; vous méprisez trop votre ennemi pour cela.

– Pardonnez-moi, chère marquise, excusez-moi; oui, M. Colbert est mon ennemi, je le crois; oui, M. Colbert est un homme à craindre, je l'avoue. Mais… mais, j'ai le temps, et puisque vous voilà, puisque vous m'avez assuré de votre dévouement, puisque vous m'avez laissé entrevoir votre amour, puisque nous sommes seuls…

– Je suis venue pour vous sauver, monsieur Fouquet, et non pour me perdre, dit la marquise en se relevant; ainsi, gardez-vous…

– Marquise, en vérité, vous vous effrayez par trop, et à moins que cet effroi ne soit un prétexte…

– C'est un cœur profond que ce M. Colbert! gardez-vous…

Fouquet se redressa à son tour.

– Et moi? demanda-t-il.

– Oh! vous, vous n'êtes qu'un noble cœur. Gardez-vous! gardez-vous!

– Ainsi?

– J'ai fait ce que je devais faire, mon ami, au risque de me perdre de réputation. Adieu!

– Non pas adieu, au revoir!

– Peut-être, dit la marquise.

Et, donnant sa main à baiser à Fouquet, elle s'avança si résolument vers la porte que Fouquet n'osa lui barrer le passage. Quant à Fouquet, il reprit, la tête inclinée et avec un nuage au front, la route de ce souterrain le long duquel couraient les fils de métal qui communiquaient d'une maison à l'autre, transmettant, au revers des deux glaces, les désirs et les appels des deux correspondants.

Chapitre LV – L'abbé Fouquet

Fouquet se hâta de repasser chez lui par le souterrain et de faire jouer le ressort du miroir. À peine fut-il dans son cabinet, qu'il entendit heurter à la porte; en même temps une voix bien connue criait:

– Ouvrez, monseigneur, je vous prie, ouvrez.

Fouquet, par un mouvement rapide, rendit un peu d'ordre à tout ce qui pouvait déceler son agitation et son absence; il éparpilla les papiers sur le bureau, prit une plume dans sa main, et à travers la porte, pour gagner du temps:

– Qui êtes-vous? demanda-t-il.

– Quoi! Monseigneur ne me reconnaît pas? répondit la voix.

«Si fait, dit en lui-même Fouquet, si fait, mon ami, je te reconnais à merveille!»

Et tout haut:

– N'êtes-vous pas Gourville?

– Mais oui, monseigneur.

Fouquet se leva jeta un dernier regard sur une de ses glaces, alla à la porte, poussa le verrou, et Gourville entra.

– Ah! monseigneur, monseigneur, dit-il, quelle cruauté!

– Pourquoi?

– Voilà un quart d'heure que je vous supplie d'ouvrir et que vous ne me répondez même pas.

– Une fois pour toutes, vous savez bien que je ne veux pas être dérangé lorsque je travaille. Or, bien que vous fassiez exception, Gourville, je veux, pour les autres, que ma consigne soit respectée.

– Monseigneur, en ce moment, consignes, portes, verrous et murailles, j'eusse tout brisé, renversé, enfoncé.

– Ah! ah! il s'agit donc d'un grand événement? demanda Fouquet.

– Oh! je vous en réponds, monseigneur! dit Gourville.

– Et quel est cet événement? reprit Fouquet un peu ému du trouble de son plus intime confident.

– Il y a une Chambre de justice secrète, monseigneur.

– Je le sais bien; mais s'assemble-t-elle, Gourville?

– Non seulement elle s'assemble, mais encore elle a rendu un arrêt… monseigneur.

– Un arrêt! fit le surintendant avec un frissonnement et une pâleur qu'il ne put cacher. Un arrêt! Et contre qui?

– Contre deux de vos amis.

– Lyodot, d'Emerys, n'est-ce pas?

– Oui, monseigneur.

– Mais arrêt de quoi?

– Arrêt de mort.

– Rendu! Oh! vous vous trompez, Gourville, et c'est impossible.

– Voici la copie de cet arrêt que le roi doit signer aujourd’hui, si toutefois il ne l'a point signé déjà.

Fouquet saisit avidement le papier, le lut et le rendit à Gourville.

– Le roi ne signera pas, dit-il.

Gourville secoua la tête.

– Monseigneur, M. Colbert est un hardi conseiller; ne vous y fiez pas.

– Encore M. Colbert! s'écria Fouquet; çà! pourquoi ce nom vient-il à tout propos tourmenter depuis deux ou trois jours mes oreilles? C'est par trop d'importance, Gourville, pour un sujet si mince. Que M. Colbert paraisse, je le regarderai; qu'il lève la tête, je l'écraserai; mais vous comprenez qu'il me faut au moins une aspérité pour que mon regard s'arrête, une surface pour que mon pied se pose.

– Patience, monseigneur; car vous ne savez pas ce que vaut Colbert… Étudiez-le vite; il en est de ce sombre financier comme des météores que l'œil ne voit jamais complètement avant leur invasion désastreuse; quand on les sent, on est mort.

– Oh! Gourville, c'est beaucoup, répliqua Fouquet en souriant; permettez-moi, mon ami, de ne pas m'épouvanter avec cette facilité; météore, M. Colbert! Corbleu! nous entendrons le météore… Voyons, des actes, et non des mots. Qu'a-t-il fait?