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– Il a commandé deux potences chez l'exécuteur de Paris, répondit simplement Gourville.

Fouquet leva la tête, et un éclair passa dans ses yeux.

– Vous êtes sûr de ce que vous dites? s'écria-t-il.

– Voici la preuve, monseigneur.

Et Gourville tendit au surintendant une note communiquée par l'un des secrétaires de l'Hôtel de Ville, qui était à Fouquet.

– Oui, c'est vrai, murmura le ministre, l'échafaud se dresse… mais le roi n'a pas signé, Gourville, le roi ne signera pas.

– Je le saurai tantôt, dit Gourville.

– Comment cela?

– Si le roi a signé, les potences seront expédiées ce soir à l'Hôtel de Ville, afin d'être tout à fait dressées demain matin.

– Mais non, non! s'écria encore une fois Fouquet; vous vous trompez tous, et me trompez à mon tour; avant-hier matin, Lyodot me vint voir; il y a trois jours je reçus un envoi de vin de Syracuse de ce pauvre d'Emerys.

– Qu'est-ce que cela prouve? répliqua Gourville, sinon que la Chambre de justice s'est assemblée secrètement, a délibéré en l'absence des accusés, et que toute la procédure était faite quand on les a arrêtés.

– Mais ils sont donc arrêtés?

– Sans doute.

– Mais où, quand, comment ont-ils été arrêtés?

– Lyodot, hier au point du jour; d'Emerys, avant-hier au soir, comme il revenait de chez sa maîtresse; leur disparition n'avait inquiété personne; mais tout à coup Colbert a levé le masque et fait publier la chose; on le crie à son de trompe en ce moment dans les rues de Paris, et, en vérité, monseigneur, il n'y a plus guère que vous qui ne connaissiez pas l'événement.

Fouquet se mit à marcher dans la chambre avec une inquiétude de plus en plus douloureuse.

– Que décidez-vous, monseigneur? dit Gourville.

– S'il en était ainsi, j'irais chez le roi, s'écria Fouquet. Mais, pour aller au Louvre, je veux passer auparavant à l'Hôtel de Ville. Si l'arrêt a été signé, nous verrons!

Gourville haussa les épaules.

– Incrédulité! dit-il, tu es la peste de tous les grands esprits!

– Gourville!

– Oui, continua-t-il, et tu les perds, comme la contagion tue les santés les plus robustes, c'est-à-dire en un instant.

– Partons, s'écria Fouquet; faites ouvrir, Gourville.

– Prenez garde, dit celui-ci, M. l'abbé Fouquet est là.

– Ah! mon frère, répliqua Fouquet d'un ton chagrin, il est là? il sait donc quelque mauvaise nouvelle qu'il est tout joyeux de m'apporter, comme à son habitude? Diable! si mon frère est là, mes affaires vont mal, Gourville; que ne me disiez-vous cela plus tôt, je me fusse plus facilement laissé convaincre.

– Monseigneur le calomnie, dit Gourville en riant; s'il vient, ce n'est pas dans une mauvaise intention.

– Allons, voilà que vous l'excusez, s'écria Fouquet; un garçon sans cœur, sans suite d'idées, un mangeur de tous biens.

– Il vous sait riche.

– Et il veut ma ruine.

– Non; il veut votre bourse. Voilà tout.

– Assez! Assez! Cent mille écus par mois pendant deux ans! Corbleu! c'est moi qui paie, Gourville, et je sais mes chiffres.

Gourville se mit à rire d'un air silencieux et fin.

– Oui, vous voulez dire que c'est le roi, fit le surintendant; ah! Gourville, voilà une vilaine plaisanterie; ce n'est pas le lieu.

– Monseigneur, ne vous fâchez pas.

– Allons donc! Qu'on renvoie l'abbé Fouquet, je n'ai pas le sou.

Gourville fit un pas vers la porte.

– Il est resté un mois sans me voir, continua Fouquet; pourquoi ne resterait-il pas deux mois?

– C'est qu'il se repent de vivre en mauvaise compagnie, dit Gourville, et qu'il vous préfère à tous ses bandits.

– Merci de la préférence. Vous faites un étrange avocat, Gourville, aujourd'hui… avocat de l'abbé Fouquet!

– Eh! mais toute chose et tout homme ont leur bon côté, leur côté utile, monseigneur.

– Les bandits que l'abbé solde et grise ont leur côté utile? Prouvez-le-moi donc.

– Vienne la circonstance, monseigneur, et vous serez bienheureux de trouver ces bandits sous votre main.

– Alors tu me conseilles de me réconcilier avec M. l'abbé? dit ironiquement Fouquet.

– Je vous conseille, monseigneur, de ne pas vous brouiller avec cent ou cent vingt garnements qui, en mettant leurs rapières bout à bout, feraient un cordon d'acier capable d'enfermer trois mille hommes.

Fouquet lança un coup d'œil profond à Gourville, et passant devant lui:

– C'est bien; qu'on introduise M. l'abbé Fouquet, dit-il aux valets de pied. Vous avez raison, Gourville.

Deux minutes après, l'abbé parut avec de grandes révérences sur le seuil de la porte.

C'était un homme de quarante à quarante-cinq ans, moitié homme d'Église, moitié homme de guerre, un spadassin greffé sur un abbé; on voyait qu'il n'avait pas d'épée au côté, mais on sentait qu'il avait des pistolets. Fouquet le salua en frère aîné, moins qu'en ministre.

– Qu'y a-t-il pour votre service, dit-il, monsieur l'abbé?

– Oh! oh! comme vous dites cela, mon frère!

– Je vous dis cela comme un homme pressé, monsieur.

L'abbé regarda malicieusement Gourville, anxieusement Fouquet, et dit:

– J'ai trois cents pistoles à payer à M. de Bregi ce soir… Dette de jeu, dette sacrée.

– Après? dit Fouquet bravement, car il comprenait que l'abbé Fouquet ne l'eût point dérangé pour une pareille misère.

– Mille à mon boucher, qui ne veut plus fournir.

– Après?

– Douze cents au tailleur d'habits… continua l'abbé: le drôle m'a fait reprendre sept habits de mes gens, ce qui fait que mes livrées sont compromises, et que ma maîtresse parle de me remplacer par un traitant, ce qui serait humiliant pour l'Église.

– Qu'y a-t-il encore? dit Fouquet.

– Vous remarquerez, monsieur, dit humblement l'abbé, que je n'ai rien demandé pour moi.

– C'est délicat, monsieur, répliqua Fouquet; aussi, comme vous voyez, j'attends.

– Et je ne demande rien; oh! non… Ce n'est pas faute pourtant de chômer… je vous en réponds.

Le ministre réfléchit un moment.

– Douze cents pistoles au tailleur d'habits, dit-il; ce sont bien des habits, ce me semble?

– J'entretiens cent hommes! dit fièrement l'abbé; c'est une charge, je crois.

– Pourquoi cent hommes? dit Fouquet; est-ce que vous êtes un Richelieu ou un Mazarin pour avoir cent hommes de garde? À quoi vous servent ces cent hommes? Parlez, dites!

– Vous me le demandez? s'écria l'abbé Fouquet; ah! comment pouvez vous faire une question pareille, pourquoi j'entretiens cent hommes? Ah!

– Mais oui, je vous fais cette question. Qu'avez-vous à faire de cent hommes? Répondez!

– Ingrat! continua l'abbé s'affectant de plus en plus.

– Expliquez-vous.

– Mais, monsieur le surintendant, je n'ai besoin que d'un valet de chambre, moi, et encore, si j'étais seul, me servirais-je moi-même; mais vous, vous qui avez tant d'ennemis… cent hommes ne me suffisent pas pour vous défendre. Cent hommes!… il en faudrait dix mille. J'entretiens donc tout cela pour que dans les endroits publics, pour que dans les assemblées, nul n'élève la voix contre vous; et sans cela, monsieur, vous seriez chargé d'imprécations, vous seriez déchiré à belles dents, vous ne dureriez pas huit jours, non, pas huit jours, entendez-vous?