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D'Artagnan s'approche d'eux, et les voyant pâles et mourants:

– Consolez-vous, pauvres gens, dit-il, vous ne subirez pas le supplice affreux dont ces misérables vous menaçaient. Le roi vous a condamnés à être pendus. Vous ne serez que pendus. Çà! qu'on les pende, et voilà tout.

Il n'y a plus rien à l'Image-de-Notre-Dame. Le feu a été éteint avec deux tonnes de vin à défaut d'eau. Les conjurés ont fui par le jardin. Les archers entraînent les patients aux potences.

L'affaire ne fut pas longue à partir de ce moment.

L'exécuteur, peu soucieux d'opérer selon les formes de l'art, se hâte et expédie les deux malheureux en une minute.

Cependant on s'empresse autour de d'Artagnan; on le félicite, on le caresse. Il essuie son front ruisselant de sueur, son épée ruisselante de sang, hausse les épaules en voyant Menneville qui se tord à ses pieds dans les dernières convulsions de l'agonie. Et tandis que Raoul détourne les yeux avec compassion, il montre aux mousquetaires les potences chargées de leurs tristes fruits.

– Pauvres diables! dit-il, j'espère qu'ils sont morts en me bénissant, car je leur en ai sauvé de belles.

Ces mots vont atteindre Menneville au moment où lui-même va rendre le dernier soupir. Un soupir sombre et ironique voltige sur ses lèvres. Il veut répondre, mais l'effort qu'il fait achève de briser sa vie. Il expire.

– Oh! tout cela est affreux, murmura Raoul; partons, monsieur le chevalier.

– Tu n'es pas blessé? demande d'Artagnan.

– Non, merci.

– Eh bien! tu es un brave, mordioux! C'est la tête du père et le bras de Porthos. Ah! s'il avait été ici, Porthos, il en aurait vu de belles.

Puis, par manière de se souvenir:

– Mais où diable peut-il être, ce brave Porthos? murmura d’Artagnan.

– Venez, chevalier, venez, insista Raoul.

– Une dernière minute, mon ami, que je prenne mes trente-sept pistoles et demie, je suis à toi. La maison est d'un bon produit, ajouta d'Artagnan en rentrant à l'Image-de-Notre-Dame; mais décidément, dût-elle être moins productive, je l'aimerais mieux dans un autre quartier.

Chapitre LXIII – Comment le diamant de M. d'Emerys passa entre les mains de d'Artagnan

Tandis que cette scène bruyante et ensanglantée se passait sur la Grève, plusieurs hommes, barricadés derrière la porte de communication du jardin, remettaient leurs épées au fourreau, aidaient l'un d'eux à monter sur son cheval tout sellé qui attendait dans le jardin, et, comme une volée d'oiseaux effarés, s'enfuyaient dans toutes les directions, les uns escaladant les murs, les autres se précipitant par les portes avec toute l'ardeur de la panique.

Celui qui monta sur le cheval et qui lui fit sentir l'éperon avec une telle brutalité que l'animal faillit franchir la muraille, ce cavalier, disons-nous, traversa la place Baudoyer, passa comme l'éclair devant la foule des rues, écrasant, culbutant, renversant tout, et dix minutes après arriva aux portes de la surintendance, plus essoufflé encore que son cheval. L'abbé Fouquet, au bruit retentissant des fers sur le pavé, parut à une fenêtre de la cour, et avant même que le cavalier eût mis pied à terre:

– Eh bien! Danicamp? demanda-t-il, à moitié penché hors de la fenêtre.

– Eh bien! c'est fini, répondit le cavalier.

– Fini! cria l'abbé; alors ils sont sauvés?

– Non pas, monsieur, répliqua le cavalier. Ils sont pendus.

– Pendus! répéta l'abbé pâlissant.

Une porte latérale s'ouvrit soudain, et Fouquet apparut dans la chambre, pâle, égaré, les lèvres entrouvertes par un cri de douleur et de colère.

Il s'arrêta sur le seuil, écoutant ce qui se disait de la cour à la fenêtre.

– Misérables! dit l'abbé, vous ne vous êtes donc pas battus!

– Comme des lions.

– Dites comme des lâches.

– Monsieur!

– Cent hommes de guerre, l'épée à la main, valent dix mille archers dans une surprise. Où est Menneville, ce fanfaron, ce vantard qui ne devait revenir que mort ou vainqueur?

– Eh bien! monsieur, il a tenu parole. Il est mort.

– Mort! qui l'a tué?

– Un démon déguisé en homme, un géant armé de dix épées flamboyantes, un enragé qui a d'un seul coup éteint le feu, éteint l'émeute, et fait sortir cent mousquetaires du pavé de la place de Grève.

Fouquet souleva son front tout ruisselant de sueur.

– Oh! Lyodot et d'Emerys! murmura-t-il, morts! morts! morts! et moi déshonoré.

L'abbé se retourna, et apercevant son frère écrasé, livide:

– Allons! allons! dit-il, c'est un coup du sort, monsieur, il ne faut pas nous lamenter ainsi. Puisque cela ne s'est point fait, c'est que Dieu…

– Taisez-vous, l'abbé! taisez-vous! cria Fouquet; vos excuses sont des blasphèmes. Faites monter ici cet homme, et qu'il raconte les détails de l'horrible événement.

– Mais, mon frère…

– Obéissez, monsieur!

L'abbé fit un signe, et une demi-minute après on entendit les pas de l'homme dans l'escalier.

En même temps, Gourville apparut derrière Fouquet, pareil à l'ange gardien du surintendant, appuyant un doigt sur ses lèvres pour lui enjoindre de s'observer au milieu des élans mêmes de sa douleur. Le ministre reprit toute la sérénité que les forces humaines peuvent laisser à la disposition d'un cœur à demi brisé par la douleur. Danicamp parut.

– Faites votre rapport, dit Gourville.

– Monsieur, répondit le messager, nous avions reçu l'ordre d'enlever les prisonniers et de crier: «Vive Colbert!» en les enlevant.

– Pour les brûler vifs, n'est-ce pas, l'abbé? interrompit Gourville.

– Oui! oui! l'ordre avait été donné à Menneville. Menneville savait ce qu'il en fallait faire, et Menneville est mort.

Cette nouvelle parut rassurer Gourville au lieu de l'attrister.

– Pour les brûler vifs? répéta le messager, comme s'il eût douté que cet ordre, le seul qui lui eût été donné au reste, fût bien réel.

– Mais certainement pour les brûler vifs, reprit brutalement l'abbé.

– D'accord, monsieur, d'accord, reprit l'homme en cherchant des yeux sur la physionomie des deux interlocuteurs ce qu'il y avait de triste ou d'avantageux pour lui à raconter selon la vérité.

– Maintenant, racontez, dit Gourville.

– Les prisonniers, continua Danicamp, devaient donc être amenés à la Grève, et le peuple en fureur voulait qu'ils fussent brûlés au lieu d'être pendus.

– Le peuple a ses raisons, dit l'abbé; continuez.

– Mais, reprit l'homme, au moment où les archers venaient d’être enfoncés, au moment où le feu prenait dans une des maisons de la place destinée à servir de bûcher aux coupables, un furieux, ce démon, ce géant dont je vous parlais, et qu'on nous avait dit être le propriétaire de la maison en question, aidé d'un jeune homme qui l'accompagnait, jeta par la fenêtre ceux qui activaient le feu, appela au secours les mousquetaires qui se trouvaient dans la foule, sauta lui-même du premier étage dans la place, et joua si désespérément de l'épée, que la victoire fut rendue aux archers, les prisonniers repris et Menneville tué. Une fois repris, les condamnés furent exécutés en trois minutes.