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Néanmoins, le premier mouvement des deux hommes fut de se jeter dans les bras l'un de l'autre.

Ce qu'ils voulaient cacher aux assistants, ce n'était pas leur amitié, c'étaient leurs noms.

Mais après l'embrassade vint la réflexion.

«Pourquoi diantre Porthos est-il à Belle-Île et lève-t-il des pierres?» se dit d'Artagnan.

Seulement d'Artagnan se fit cette question tout bas. Moins fort en diplomatie que son ami, Porthos pensa tout haut.

– Pourquoi diable êtes-vous à Belle-Île? demanda-t-il à d'Artagnan; et qu'y venez-vous faire?

Il fallait répondre sans hésiter.

Hésiter à répondre à Porthos eût été un échec dont l'amour propre de d'Artagnan n'eût jamais pu se consoler.

– Pardieu! mon ami, je suis à Belle-Île parce que vous y êtes.

– Ah bah! fit Porthos, visiblement étourdi de l'argument et cherchant à s'en rendre compte avec cette lucidité de déduction que nous lui connaissons.

– Sans doute, continua d'Artagnan, qui ne voulait pas donner à son ami le temps de se reconnaître; j'ai été pour vous voir à Pierrefonds.

– Vraiment?

– Oui.

– Et vous ne m'y avez pas trouvé?

– Non, mais j'ai trouvé Mouston.

– Il va bien?

– Peste!

– Mais enfin, Mouston ne vous a pas dit que j'étais ici.

– Pourquoi ne me l'eût-il pas dit? Ai-je par hasard démérité de la confiance de Mouston?

– Non; mais il ne le savait pas.

– Oh! voilà une raison qui n'a rien d'offensant pour mon amour-propre au moins.

– Mais comment avez-vous fait pour me rejoindre?

– Eh! mon cher, un grand seigneur comme vous laisse toujours trace de son passage, et je m'estimerais bien peu si je ne savais pas suivre les traces de mes amis.

Cette explication, toute flatteuse qu'elle était, ne satisfit pas entièrement Porthos.

– Mais je n'ai pu laisser de traces, étant venu déguisé, dit Porthos.

– Ah! vous êtes venu déguisé? fit d'Artagnan.

– Oui.

– Et comment cela?

– En meunier.

– Est-ce qu'un grand seigneur comme vous, Porthos, peut affecter des manières communes au point de tromper les gens?

– Eh bien! je vous jure, mon ami, que tout le monde y a été trompé, tant j'ai bien joué mon rôle.

– Enfin, pas si bien que je ne vous aie rejoint et découvert.

– Justement. Comment m'avez-vous rejoint et découvert?

– Attendez donc. J'allais vous raconter la chose. Imaginez-vous que Mouston…

– Ah! c'est ce drôle de Mouston, dit Porthos en plissant les deux arcs de triomphe qui lui servaient de sourcils.

– Mais attendez donc, attendez donc. Il n'y a pas de la faute de Mouston, puisqu'il ignorait lui-même où vous étiez.

– Sans doute. Voilà pourquoi j'ai si grande hâte de comprendre.

– Oh! comme vous êtes impatient, Porthos!

– Quand je ne comprends pas, je suis terrible.

– Vous allez comprendre. Aramis vous a écrit à Pierrefonds, n'est-ce pas?

– Oui.

– Il vous a écrit d'arriver avant l'équinoxe?

– C'est vrai.

– Eh bien! voilà, dit d'Artagnan, espérant que cette raison suffirait à Porthos.

Porthos parut se livrer à un violent travail d'esprit.

– Oh! oui, dit-il, je comprends. Comme Aramis me disait d'arriver avant l'équinoxe, vous avez compris que c'était pour le rejoindre. Vous vous êtes informé où était Aramis, vous disant: «où sera Aramis, sera Porthos.» Vous avez appris qu'Aramis était en Bretagne, et vous vous êtes dit: «Porthos est en Bretagne.»

– Eh! justement. En vérité, Porthos, je ne sais comment vous ne vous êtes pas fait devin. Alors, vous comprenez: en arrivant à La Roche-Bernard, j'ai appris les beaux travaux de fortification que l'on faisait à Belle-Île. Le récit qu'on m'en a fait a piqué ma curiosité. Je me suis embarqué sur un bâtiment pêcheur, sans savoir le moins du monde que vous étiez ici. Je suis venu. J'ai vu un gaillard qui remuait une pierre qu'Ajax n'eût pas ébranlée. Je me suis écrié: «Il n'y a que le baron de Bracieux qui soit capable d'un pareil tour de force.» Vous m'avez entendu, vous vous êtes retourné, vous m'avez reconnu, nous nous sommes embrassés, et, ma foi, si vous le voulez bien, cher ami, nous nous embrasserons encore.

– Voilà comment tout s'explique, en effet, dit Porthos.

Et il embrassa d'Artagnan avec une si grande amitié, que le mousquetaire en perdit la respiration pendant cinq minutes.

– Allons, allons, plus fort que jamais, dit d'Artagnan, et toujours dans les bras, heureusement.

Porthos salua d'Artagnan avec un gracieux sourire.

Pendant les cinq minutes où d'Artagnan avait repris sa respiration, il avait réfléchi qu'il avait un rôle fort difficile à jouer. Il s'agissait de toujours questionner sans jamais répondre. Quand la respiration lui revint, son plan de campagne était fait.

Chapitre LXX – Où les idées de d'Artagnan, d'abord fort troublées, commencent à s'éclaircir un peu

D'Artagnan prit aussitôt l'offensive.

– Maintenant que je vous ai tout dit, cher ami, ou plutôt que vous avez tout deviné, dites-moi ce que vous faites ici, couvert de poussière et de boue?

Porthos essuya son front, et regardant autour de lui avec orgueiclass="underline"

– Mais il me semble, dit-il, que vous pouvez le voir, ce que je fais ici!

– Sans doute, sans doute; vous levez des pierres.

– Oh! pour leur montrer ce que c'est qu'un homme, aux fainéants! dit Porthos avec mépris. Mais vous comprenez…

– Oui, vous ne faites pas votre état de lever des pierres, quoiqu'il y en ait beaucoup qui en font leur état et qui ne les lèvent pas comme vous. Voilà donc ce qui me faisait vous demander tout à l'heure: «Que faites-vous ici, baron?»

– J'étudie la topographie, chevalier.

– Vous étudiez la topographie?

– Oui; mais vous-même, que faites-vous sous cet habit bourgeois?

D'Artagnan reconnut qu'il avait fait une faute en se laissant aller à son étonnement. Porthos en avait profité pour riposter avec une question.

Heureusement d'Artagnan s'attendait à cette question.

– Mais, dit-il, vous savez que je suis bourgeois, en effet; l'habit n'a donc rien d'étonnant, puisqu'il est en rapport avec la condition.

– Allons donc, vous, un mousquetaire!

– Vous n'y êtes plus, mon bon ami; j'ai donné ma démission.

– Bah!

– Ah! mon Dieu, oui!

– Et vous avez abandonné le service?

– Je l'ai quitté.

– Vous avez abandonné le roi?

– Tout net.

Porthos leva les bras au ciel comme fait un homme qui apprend une nouvelle inouïe.

– Oh! par exemple, voilà qui me confond, dit-il.

– C'est pourtant ainsi.

– Et qui a pu vous déterminer à cela?