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– Alors, passons, dit le roi Charles II, qui vit que le comte n'en voulait pas dire davantage.

– Le roi d'Angleterre, après avoir, ainsi que j'ai dit, parlé au bourreau voilé, ajouta: «Tu ne me frapperas, entends-tu bien? que lorsque je tendrai les bras en disant: Remember

– En effet, dit Charles d'une voix sourde, je sais que c'est le dernier mot prononcé par mon malheureux père. Mais dans quel but, pour qui?

– Pour le gentilhomme français placé sous son échafaud.

– Pour lors à vous, monsieur?

– Oui, Sire, et chacune des paroles qu'il a dites, à travers les planches de l'échafaud recouvertes d'un drap noir, retentissent encore à mon oreille. Le roi mit donc un genou en terre.

«- Comte de La Fère, dit-il, êtes-vous là?

«- Oui, Sire, répondis-je.

«Alors le roi se pencha.

Charles II, lui aussi, tout palpitant d'intérêt, tout brûlant de douleur, se penchait vers Athos pour recueillir une à une les premières paroles que laisserait échapper le comte. Sa tête effleurait celle d'Athos.

– Alors, continua le comte, le roi se pencha.

«- Comte de La Fère, dit-il, je n'ai pu être sauvé par toi. Je ne devais pas l'être. Maintenant, dussé-je commettre un sacrilège, je te dirai: «Oui, j'ai parlé aux hommes; oui, j'ai parlé à Dieu, et je te parle à toi le dernier. Pour soutenir une cause que j'ai crue sacrée, j'ai perdu le trône de mes pères et diverti l'héritage de mes enfants.»

Charles II cacha son visage entre ses mains, et une larme dévorante glissa entre ses doigts blancs et amaigris.

«- Un million en or me reste, continua le roi. Je l'ai enterré dans les caves du château de Newcastle au moment où j'ai quitté cette ville.

Charles releva sa tête avec une expression de joie douloureuse qui eût arraché des sanglots à quiconque connaissait cette immense infortune.

– Un million! murmura-t-il, oh! comte!

«- Cet argent, toi seul sais qu'il existe, fais-en usage quand tu croiras qu'il en est temps pour le plus grand bien de mon fils aîné. Et maintenant, comte de La Fère, dites-moi adieu!

«- Adieu, adieu Sire! m'écriai-je.

Charles II se leva et alla appuyer son front brûlant à la fenêtre.

– Ce fut alors, continua Athos, que le roi prononça le mot «Remember!» adressé à moi. Vous voyez, Sire, que je me suis souvenu.

Le roi ne put résister à son émotion. Athos vit le mouvement de ses deux épaules qui ondulaient convulsivement. Il entendit les sanglots qui brisaient sa poitrine au passage. Il se tut, suffoqué lui-même par le flot de souvenirs amers qu'il venait de soulever sur cette tête royale. Charles II, avec un violent effort, quitta la fenêtre, dévora ses larmes et revint s'asseoir auprès d'Athos.

– Sire, dit celui-ci, jusqu'aujourd'hui j'avais cru que l'heure n'était pas encore venue d'employer cette dernière ressource, mais les yeux fixés sur l'Angleterre, je sentais qu'elle approchait. Demain j'allais m'informer en quel lieu du monde était Votre Majesté, et j'allais aller à elle. Elle vient à moi, c'est une indication que Dieu est pour nous.

– Monsieur, dit Charles d'une voix encore étranglée par l'émotion, vous êtes pour moi ce que serait un ange envoyé par Dieu; vous êtes mon sauveur suscité de la tombe par mon père lui-même; mais croyez-moi, depuis dix années les guerres civiles ont passé sur mon pays, bouleversant les hommes, creusant le sol; il n'est probablement pas plus resté d'or dans les entrailles de ma terre que d'amour dans les cœurs de mes sujets.

– Sire, l'endroit où Sa Majesté a enfoui le million est bien connu de moi, et nul, j'en suis bien certain, n'a pu le découvrir. D'ailleurs le château de Newcastle est-il donc entièrement écroulé; l'a-t-on démoli pierre à pierre et déraciné du sol jusqu'à sa dernière fibre?

– Non, il est encore debout, mais en ce moment le général Monck l'occupe et y campe. Le seul endroit où m'attend un secours, où je possède une ressource, vous le voyez, est envahi par mes ennemis.

– Le général Monck, Sire, ne peut avoir découvert le trésor dont je vous parle.

– Oui, mais dois-je aller me livrer à Monck pour le recouvrer, ce trésor? Ah! vous le voyez donc bien, comte, il faut en finir avec la destinée, puisqu'elle me terrasse à chaque fois que je me relève. Que faire avec Parry pour tout serviteur, avec Parry, que Monck a déjà chassé une fois?

– Non, non, comte, acceptons ce dernier coup.

– Ce que Votre Majesté ne peut faire, ce que Parry ne peut plus tenter, croyez-vous que moi je puisse y réussir?

– Vous, vous comte, vous iriez!

– Si cela plaît à Votre Majesté, dit Athos en saluant le roi, oui, j'irai, Sire.

– Vous si heureux ici, comte!

– Je ne suis jamais heureux, Sire, tant qu'il me reste un devoir à accomplir, et c'est un devoir suprême que m'a légué le roi votre père de veiller sur votre fortune et de faire un emploi royal de son argent. Ainsi, que Votre Majesté me fasse un signe, et je pars avec elle.

– Ah! monsieur, dit le roi, oubliant toute étiquette royale et se jetant au cou d'Athos, vous me prouvez qu'il y a un Dieu au ciel, et que ce Dieu envoie parfois des messagers aux malheureux qui gémissent sur cette terre.

Athos, tout ému de cet élan du jeune homme, le remercia avec un profond respect, et s'approchant de la fenêtre:

– Grimaud, dit-il, mes chevaux.

– Comment! ainsi, tout de suite? dit le roi. Ah! monsieur, vous êtes, en vérité, un homme merveilleux.

– Sire! dit Athos, je ne connais rien de plus pressé que le service de Votre Majesté. D'ailleurs, ajouta-t-il en souriant, c'est une habitude contractée depuis longtemps au service de la reine votre tante et au service du roi votre père. Comment la perdrais-je précisément à l'heure où il s'agit du service de Votre Majesté?

– Quel homme! murmura le roi.

Puis, après un instant de réflexion:

– Mais non, comte, je ne puis vous exposer à de pareilles privations. Je n'ai rien pour récompenser de pareils services.

– Bah! dit en riant Athos, Votre Majesté me raille, elle a un million. Ah! que ne suis je riche seulement de la moitié de cette somme, j'aurais déjà levé un régiment. Mais, Dieu merci! il me reste encore quelques rouleaux d'or et quelques diamants de famille. Votre Majesté, je l'espère, daignera partager avec un serviteur dévoué.

– Avec un ami. Oui, comte, mais à condition qu'à son tour cet ami partagera avec moi plus tard.

– Sire, dit Athos en ouvrant une cassette, de laquelle il tira de l'or et des bijoux, voilà maintenant que nous sommes trop riches. Heureusement que nous nous trouverons quatre contre les voleurs.

La joie fit affluer le sang aux joues pâles de Charles II. Il vit s'avancer jusqu'au péristyle deux chevaux d'Athos, conduits par Grimaud, qui s'était déjà botté pour la route.

– Blaisois, cette lettre au vicomte de Bragelonne. Pour tout le monde, je suis allé à Paris. Je vous confie la maison, Blaisois.

Blaisois s'inclina, embrassa Grimaud et ferma la grille.

Chapitre XVII – Où l'on cherche Aramis, et où l'on ne retrouve que Bazin

Deux heures ne s'étaient pas écoulées depuis le départ du maître de la maison, lequel à la vue de Blaisois, avait pris le chemin de Paris, lorsqu'un cavalier monté sur un bon cheval pie s'arrêta devant la grille, et, d'un holà! sonore, appela les palefreniers, qui faisaient encore cercle avec les jardiniers autour de Blaisois, historien ordinaire de la valetaille du château. Ce holà! connu sans doute de maître Blaisois lui fit tourner la tête et il s'écria: