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– De l'or, c'est plus commode. Mais comment allons-nous arranger cela? Voyons.

– Oh! mon Dieu, de la façon la plus simple: vous me donnez un reçu, voilà tout.

– Non pas, non pas, dit vivement d'Artagnan, il faut de l'ordre en toutes choses.

– C'est aussi mon opinion… mais avec vous, monsieur d'Artagnan…

– Et si je meurs là-bas, si je suis tué d'une balle de mousquet, si je crève pour avoir bu de la bière?

– Monsieur, je vous prie de croire qu'en ce cas je serais tellement affligé de votre mort, que je ne penserais point à l'argent.

– Merci, Planchet, mais cela n'empêche. Nous allons, comme deux clercs de procureur, rédiger ensemble une convention, une espèce d'acte qu'on pourrait appeler un acte de société.

– Volontiers, monsieur.

– Je sais bien que c'est difficile à rédiger, mais nous essaierons.

Planchet alla chercher une plume, de l'encre et du papier.

D'Artagnan prit la plume, la trempa dans l'encre et écrivit:

«Entre messire d'Artagnan, ex-lieutenant des mousquetaires du roi, actuellement demeurant rue Tiquetonne, Hôtel de la Chevrette,

Et le sieur Planchet, épicier, demeurant rue des Lombards, à l'enseigne du Pilon-d'Or,

A été convenu ce qui suit:

Une société au capital de quarante mille livres est formée à l'effet d'exploiter une idée apportée par M. d'Artagnan. Le sieur Planchet, qui connaît cette idée et qui l'approuve en tous points, versera vingt mille livres entre les mains de M. d'Artagnan. Il n'en exigera ni remboursement ni intérêt avant le retour d'un voyage que M. d'Artagnan va faire en Angleterre.

De son côté, M. d'Artagnan s'engage à verser vingt mille livres qu'il joindra aux vingt mille déjà versées par le sieur Planchet. Il usera de ladite somme de quarante mille livres comme bon lui semblera, s'engageant toutefois à une chose qui va être énoncée ci-dessous.

Le jour où M. d'Artagnan aura rétabli par un moyen quelconque Sa Majesté le roi Charles II sur le trône d'Angleterre, il versera entre les mains de M. Planchet la somme de…»

– La somme de cent cinquante mille livres, dit naïvement Planchet voyant que d'Artagnan s'arrêtait.

– Ah! diable! non, dit d'Artagnan, le partage ne peut passe faire par moitié, ce ne serait pas juste.

– Cependant, monsieur, nous mettons moitié chacun, objecta timidement Planchet.

– Oui, mais écoute la clause, mon cher Planchet, et si tu ne la trouves pas équitable en tout point quand elle sera écrite, eh bien! nous la rayerons.

Et d'Artagnan écrivit:

«Toutefois, comme M. d'Artagnan apporte à l'association, outre le capital de vingt mille livres, son temps, son idée, son industrie et sa peau, choses qu'il apprécie fort, surtout cette dernière, M. d'Artagnan gardera, sur les trois cent mille livres, deux cent mille livres pour lui, ce qui portera sa part aux deux tiers.»

– Très bien, dit Planchet.

– Est-ce juste? demanda d'Artagnan.

– Parfaitement juste, monsieur.

– Et tu seras content moyennant cent mille livres?

– Peste! je crois bien. Cent mille livres pour vingt mille livres!

– Et à un mois, comprends bien.

– Comment, à un mois?

– Oui, je ne te demande qu'un mois.

– Monsieur, dit généreusement Planchet, je vous donne six semaines.

– Merci, répondit fort civilement le mousquetaire.

Après quoi, les deux associés relurent l'acte.

– C'est parfait, monsieur, dit Planchet, et feu M. Coquenard, le premier époux de Mme la baronne du Vallon, n'aurait pas fait mieux.

– Tu trouves? Eh bien! alors, signons.

Et tous deux apposèrent leur parafe.

– De cette façon, dit d'Artagnan, je n'aurai obligation à personne.

– Mais moi, j'aurai obligation à vous, dit Planchet.

– Non, car si tendrement que j'y tienne, Planchet, je puis laisser ma peau là-bas, et tu perdras tout. À propos, peste! cela me fait penser au principal, une clause indispensable, je l'écris: «Dans le cas où M. d'Artagnan succomberait à l'œuvre; la liquidation se trouvera faite et le sieur Planchet donne dès à présent quittance à l'ombre de messire d'Artagnan des vingt mille livres par lui versées dans la caisse de ladite association.»

Cette dernière clause fit froncer le sourcil à Planchet; mais lorsqu'il vit l'œil si brillant, la main si musculeuse, l'échine si souple et si robuste de son associé, il reprit courage, et sans regret, haut la main, il ajouta un trait à son parafe. D'Artagnan en fit autant. Ainsi fut rédigé le premier acte de société connu; peut-être a-t-on un peu abusé depuis de la forme et du fond.

– Maintenant, dit Planchet en versant un dernier verre de vin d'Anjou à d'Artagnan, maintenant, allez dormir, mon cher maître.

– Non pas, répliqua d'Artagnan, car le plus difficile maintenant reste à faire, et je vais rêver à ce plus difficile.

– Bah! dit Planchet, j'ai si grande confiance en vous, monsieur d'Artagnan, que je ne donnerais pas mes cent mille livres pour quatre-vingt-dix mille.

– Et le diable m'emporte! dit d'Artagnan, je crois que tu aurais raison.

Sur quoi d'Artagnan prit une chandelle, monta à sa chambre et se coucha.

Chapitre XXI – Où d'Artagnan se prépare à voyager pour la maison Planchet et Compagnie

D'Artagnan rêva si bien toute la nuit, que son plan fut arrêté dès le lendemain matin.

– Voilà! dit-il en se mettant sur son séant dans son lit et en appuyant son coude sur son genou et son menton dans sa main, voilà! Je chercherai quarante hommes bien sûrs et bien solides, recrutés parmi des gens un peu compromis, mais ayant des habitudes de discipline. Je leur promettrai cinq cents livres pour un mois, s'ils reviennent; rien, s'ils ne reviennent pas, ou moitié pour leurs collatéraux. Quant à la nourriture et au logement, cela regarde les Anglais, qui ont des bœufs au pâturage, du lard au saloir, des poules au poulailler et du grain en grange. Je me présenterai au général Monck avec ce corps de troupe. Il m'agréera. J'aurai sa confiance, et j'en abuserai le plus vite possible.

Mais, sans aller plus loin, d'Artagnan secoua la tête et s'interrompit.

– Non, dit-il, je n'oserais raconter cela à Athos; le moyen est donc peu honorable. Il faut user de violence, continua-t-il, il le faut bien certainement, sans avoir en rien engagé ma loyauté. Avec quarante hommes je courrai la campagne comme partisan. Oui, mais si je rencontre, non pas quarante mille Anglais, comme disait Planchet, mais purement et simplement quatre cents? Je serai battu, attendu que, sur mes quarante guerriers, il s'en trouvera dix au moins de véreux, dix qui se feront tuer tout de suite par bêtise.

«Non, en effet, impossible d'avoir quarante hommes sûrs; cela n'existe pas. Il faut savoir se contenter de trente. Avec dix hommes de moins j'aurai le droit d'éviter la rencontre à main armée, à cause du petit nombre de mes gens, et si la rencontre a lieu, mon choix est bien plus certain sur trente hommes que sur quarante. En outre, j'économise cinq mille francs, c'est-à-dire le huitième de mon capital, cela en vaut la peine. C'est dit, j'aurai donc trente hommes. Je les diviserai en trois bandes, nous nous éparpillerons dans le pays avec injonction de nous réunir à un moment donné; de cette façon, dix par dix, nous ne donnons pas le moindre soupçon, nous passons inaperçus. Oui, oui, trente, c'est un merveilleux nombre. Il y a trois dizaines; trois, ce nombre divin. Et puis, vraiment, une compagnie de trente hommes, lorsqu'elle sera réunie, cela aura encore quelque chose d'imposant. Ah! malheureux que je suis, continua d'Artagnan, il faut trente chevaux; c'est ruineux. Où diable avais-je la tête en oubliant les chevaux? On ne peut songer cependant à faire un coup pareil sans chevaux. Eh bien! soit! ce sacrifice, nous le ferons, quitte à prendre les chevaux dans le pays; ils n'y sont pas mauvais, d'ailleurs.