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– Milord, vous avez d'autant mieux fait de me recevoir, qu'il ne s'agit en rien ni de la bataille que vous allez livrer au général Lambert, ni de votre camp, et la preuve, c'est que j'ai détourné la tête pour ne pas voir vos hommes, et fermé les yeux pour ne pas compter vos tentes. Non, je viens vous parler, milord, pour moi.

– Parlez donc, monsieur, dit Monck.

– Tout à l'heure, continua Athos, j'avais l'honneur de dire à Votre Seigneurie que j'ai longtemps habité Newcastle: c'était au temps du roi Charles Ier et lorsque le feu roi fut livré à M. Cromwell par les Écossais.

– Je sais, dit froidement Monck.

– J'avais en ce moment une forte somme en or, et à la veille de la bataille, par pressentiment peut-être de la façon dont les choses se devaient passer le lendemain, je la cachai dans la principale cave du couvent de Newcastle, dans la tour dont vous voyez d'ici le sommet argenté par la lune.

«Mon trésor a donc été enterré là, et je venais prier Votre Honneur de permettre que je le retire avant que, peut-être, la bataille portant de ce côté, une mine ou quelque autre jeu de guerre détruise le bâtiment et éparpille mon or, ou le rende apparent de telle façon que les soldats s'en emparent.

Monck se connaissait en hommes; il voyait sur la physionomie de celui-ci toute l'énergie, toute la raison, toute la circonspection possibles; il ne pouvait donc attribuer qu'à une magnanime confiance la révélation du gentilhomme français, et il s'en montra profondément touché.

– Monsieur, dit-il, vous avez en effet bien auguré de moi. Mais la somme vaut-elle la peine que vous vous exposiez? Croyez-vous même qu'elle soit encore à l'endroit où vous l'avez laissée?

– Elle y est, monsieur, n'en doutez pas.

– Voilà pour une question; mais pour l'autre?… Je vous ai demandé si la somme était tellement forte que vous dussiez vous exposer ainsi.

– Elle est forte réellement, oui, milord, car c'est un million que j'ai renfermé dans deux barils.

– Un million! s'écria Monck, que cette fois à son tour Athos regardait fixement et longuement Monck s'en aperçut; alors sa défiance revint.

«Voilà, se dit-il, un homme qui me tend un piège…»

– Ainsi, monsieur, reprit-il, vous voudriez retirer cette somme, à ce que je comprends?

– S'il vous plaît, milord.

– Aujourd'hui?

– Ce soir même, et à cause des circonstances que je vous ai expliquées.

– Mais, monsieur, objecta Monck, le général Lambert est aussi près de l'abbaye où vous avez affaire que moi-même, pourquoi donc ne vous êtes-vous pas adressé à lui?

– Parce que, milord, quand on agit dans les circonstances importantes, il faut consulter son instinct avant toutes choses. Eh bien! le général Lambert ne m'inspire pas la confiance que vous m'inspirez.

– Soit, monsieur. Je vous ferai retrouver votre argent, si toutefois il y est encore, car, enfin, il peut n'y être plus. Depuis 1648, douze ans sont révolus, et bien des événements se sont passés.

Monck insistait sur ce point pour voir si le gentilhomme français saisirait l'échappatoire qui lui était ouverte; mais Athos ne sourcilla point.

– Je vous assure, milord, dit-il fermement, que ma conviction à l'endroit des deux barils est qu'ils n'ont changé ni de place ni de maître.

Cette réponse avait enlevé à Monck un soupçon, mais elle lui en avait suggéré un autre.

Sans doute ce Français était quelque émissaire envoyé pour induire en faute le protecteur du Parlement; l'or n'était qu'un leurre; sans doute encore, à l'aide de ce leurre, on voulait exciter la cupidité du général. Cet or ne devait pas exister. Il s'agissait, pour Monck, de prendre en flagrant délit de mensonge et de ruse le gentilhomme français, et de se tirer du mauvais pas même où ses ennemis voulaient l'engager, un triomphe pour sa renommée.

Monck, une fois fixé sur ce qu'il avait à faire:

– Monsieur, dit-il à Athos, sans doute vous me ferez l'honneur de partager mon souper ce soir!

– Oui, milord, répondit Athos en s'inclinant, car vous me faites un honneur dont je me sens digne par le penchant qui m'entraîne vers vous.

– C'est d'autant plus gracieux à vous d'accepter avec cette franchise, que mes cuisiniers sont peu nombreux et peu exercés, et que mes approvisionneurs sont rentrés ce soir les mains vides; si bien que, sans un pêcheur de votre nation qui s'est fourvoyé dans mon camp, le général Monck se couchait sans souper aujourd'hui. J'ai donc du poisson frais, à ce que m'a dit le vendeur.

– Milord, c'est principalement pour avoir l'honneur de passer quelques instants de plus avec vous.

Après cet échange de civilités, pendant lequel Monck n'avait rien perdu de sa circonspection, le souper, ou ce qui devait en tenir lieu, avait été servi sur une table de bois de sapin. Monck fit signe au comte de La Fère de s'asseoir à cette table et prit place en face de lui. Un seul plat, couvert de poisson bouilli, offert aux deux illustres convives, promettait plus aux estomacs affamés qu'aux palais difficiles.

Tout en soupant, c'est-à-dire en mangeant ce poisson arrosé de mauvaise ale, Monck se fit raconter les derniers événements de la Fronde, la réconciliation de M. de Condé avec le roi, le mariage probable de Sa Majesté avec l'infante Marie-Thérèse; mais il évita, comme Athos l'évitait lui-même, toute allusion aux intérêts politiques qui unissaient ou plutôt qui désunissaient en ce moment l'Angleterre, la France et la Hollande. Monck, dans cette conversation, se convainquit d'une chose, qu'il avait déjà remarquée aux premiers mots échangés, c'est qu'il avait affaire à un homme de haute distinction.

Celui-là ne pouvait être un assassin, et il répugnait à Monck de le croire un espion; mais il y avait assez de finesse et de fermeté à la fois dans Athos pour que Monck crût reconnaître en lui un conspirateur. Lorsqu'ils eurent quitté la table:

– Vous croyez donc à votre trésor, monsieur? demanda Monck.

– Oui, milord.

– Sérieusement?

– Très sérieusement.

– Et vous croyez retrouver la place à laquelle il a été enterré?

– À la première inspection.

– Eh bien! monsieur, dit Monck, par curiosité, je vous accompagnerai. Et il faut d'autant plus que je vous accompagne, que vous éprouveriez les plus grandes difficultés à circuler dans le camp sans moi ou l'un de mes lieutenants.

– Général, je ne souffrirais pas que vous vous dérangeassiez si je n'avais, en effet, besoin de votre compagnie; mais comme je reconnais que cette compagnie m'est non seulement honorable, mais nécessaire, j'accepte.

– Désirez-vous que nous emmenions du monde? demanda Monck à Athos.

– Général, c'est inutile, je crois, si vous-même n'en voyez pas la nécessité. Deux hommes et un cheval suffiront pour transporter les deux barils sur la felouque qui m'a amené.

– Mais il faudra piocher, creuser, remuer la terre, fendre des pierres, et vous ne comptez pas faire cette besogne vous-même, n'est-ce pas?

– Général, il ne faut ni creuser, ni piocher. Le trésor est enfoui dans le caveau des sépultures du couvent; sous une pierre, dans laquelle est scellé un gros anneau de fer, s'ouvre un petit degré de quatre marches. Les deux barils sont là, bout à bout, recouverts d'un enduit de plâtre ayant la forme d'une bière. Il y a en outre une inscription qui doit me servir à reconnaître la pierre; et comme je ne veux pas, dans une affaire de délicatesse et de confiance, garder de secrets pour Votre Honneur, voici cette inscription: