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– Milord, vous avez sans doute entendu dire que le respect religieux de vos Écossais aime à donner en garde aux statues des morts les objets précieux qu'ils ont pu posséder pendant leur vie. Ainsi les soldats ont dû penser que sous le piédestal des statues qui ornaient la plupart de ces tombes un trésor était enfoui; ils ont donc brisé piédestal et statue. Mais la tombe du vénérable chanoine à qui nous avons affaire ne se distingue par aucun monument; elle est simple, puis elle a été protégée par la crainte superstitieuse que vos puritains ont toujours eue du sacrilège; pas un morceau de cette tombe n'a été écaillé.

– C'est vrai, dit Monck.

Athos saisit le levier.

– Voulez-vous que je vous aide? dit Monck.

– Merci, milord, je ne veux pas que Votre Honneur mette la main à une œuvre dont peut-être elle ne voudrait pas prendre la responsabilité si elle en connaissait les conséquences probables. Monck leva la tête.

– Que voulez-vous dire, monsieur? demanda-t-il.

– Je veux dire… Mais cet homme…

– Attendez, dit Monck, je comprends ce que vous craignez et vais faire une épreuve.

Monck se retourna vers le pêcheur, dont on apercevait la silhouette éclairée par le falot.

– Come here, friend, dit-il avec le ton du commandement.

Le pêcheur ne bougea pas.

– C'est bien, continua-t-il, il ne sait pas l'anglais. Parlez-moi donc anglais, s'il vous plaît, monsieur.

– Milord, répondit Athos, j'ai souvent vu des hommes, dans certaines circonstances, avoir sur eux-mêmes cette puissance de ne point répondre à une question faite dans une langue qu'ils comprennent. Le pêcheur est peut-être plus savant que nous le croyons. Veuillez le congédier, milord, je vous prie.

«Décidément, pensa Monck, il désire me tenir seul dans ce caveau. N'importe, allons jusqu'au bout, un homme vaut un homme, et nous sommes seuls…»

– Mon ami, dit Monck au pêcheur, remonte cet escalier que nous venons de descendre, et veille à ce que personne ne nous vienne troubler.

Le pêcheur fit un mouvement pour obéir.

– Laisse ton falot, dit Monck, il trahirait ta présence et pourrait te valoir quelque coup de mousquet effarouché.

Le pêcheur parut apprécier le conseil, déposa le falot à terre et disparut sous la voûte de l'escalier.

Monck alla prendre le falot, qu'il apporta au pied de la colonne.

– Ah çà! dit-il, c'est bien de l'argent qui est caché dans cette tombe?

– Oui, milord, et dans cinq minutes vous n'en douterez plus.

En même temps, Athos frappait un coup violent sur le plâtre, qui se fendait en présentant une gerçure au bec du levier. Athos introduisit la pince dans cette gerçure, et bientôt des morceaux tout entiers de plâtre cédèrent, se soulevant comme des dalles arrondies. Alors le comte de La Fère saisit les pierres et les écarta avec des ébranlements dont on n'aurait pas cru capables des mains aussi délicates que les siennes.

– Milord, dit Athos, voici bien la maçonnerie dont j'ai parlé à Votre Honneur.

– Oui, mais je ne vois pas encore les barils, dit Monck.

– Si j'avais un poignard, dit Athos en regardant autour de lui, vous les verriez bientôt, monsieur. Malheureusement, j'ai oublié le mien dans la tente de Votre Honneur.

– Je vous offrirais bien le mien, dit Monck, mais la lame me semble trop frêle pour la besogne à laquelle vous la destinez.

Athos parut chercher autour de lui un objet quelconque qui pût remplacer l'arme qu'il désirait. Monck ne perdait pas un des mouvements de ses mains, une des expressions de ses yeux.

– Que ne demandez-vous le coutelas du pêcheur? dit Monck. Il avait un coutelas.

– Ah! c'est juste, dit Athos, puisqu'il s'en est servi pour couper cet arbre.

Et il s'avança vers l'escalier.

– Mon ami, dit-il au pêcheur, jetez-moi votre coutelas, je vous prie, j'en ai besoin.

Le bruit de l'arme retentit sur les marches.

– Prenez, dit Monck, c'est un instrument solide, à ce que j’ai vu, et dont une main ferme peut tirer bon parti.

Athos ne parut accorder aux paroles de Monck que le sens naturel et simple sous lequel elles devaient être entendues et comprises. Il ne remarqua pas non plus, ou du moins il ne parut pas remarquer, que, lorsqu’il revint à Monck, Monck s'écarta en portant la main gauche à la crosse de son pistolet; de la droite il tenait déjà son dirk. Il se mit donc à l'œuvre, tournant le dos à Monck et lui livrant sa vie sans défense possible. Alors il frappa pendant quelques secondes si adroitement et si nettement sur le plâtre intermédiaire, qu'il le sépara en deux parties, et que Monck alors put voir deux barils placés bout à bout et que leur poids maintenait immobiles dans leur enveloppe crayeuse.

– Milord, dit Athos, vous voyez que mes pressentiments ne m’avaient point trompé.

– Oui, monsieur, dit Monck, et j'ai tout lieu de croire que vous êtes satisfait, n'est-ce pas?

– Sans doute; la perte de cet argent m'eût été on ne peut plus sensible; mais j'étais certain que Dieu, qui protège la bonne cause, n’aurait pas permis que l'on détournât cet or qui doit la faire triompher.

– Vous êtes, sur mon honneur, aussi mystérieux en paroles qu'en actions, monsieur, dit Monck. Tout à l'heure, je vous ai peu compris, quand vous m'avez dit que vous ne vouliez pas déverser sur moi la responsabilité de l'œuvre que nous accomplissons.

– J'avais raison de dire cela, milord.

– Et voilà maintenant que vous me parlez de la bonne cause. Qu'entendez-vous par ces mots, la bonne cause? Nous défendons en ce moment en Angleterre cinq ou six causes, ce qui n'empêche pas chacun de regarder la sienne non seulement comme la bonne, mais encore comme la meilleure. Quelle est la vôtre, monsieur? Parlez hardiment, que nous voyions si sur ce point, auquel vous paraissez attacher une grande importance, nous sommes du même avis.

Athos fixa sur Monck un de ces regards profonds qui semblent porter à celui qu'on regarde ainsi le défi de cacher une seule de ses pensées; puis, levant son chapeau, il commença d'une voix solennelle, tandis que son interlocuteur, une main sur le visage, laissait cette main longue et nerveuse enserrer sa moustache et sa barbe, en même temps que son œil vague et mélancolique errait dans les profondeurs du souterrain.

Chapitre XXVI – Le cœur et l'esprit

– Milord, dit le comte de La Fère, vous êtes un noble Anglais, vous êtes un homme loyal, vous parlez à un noble Français, à un homme de cœur. Cet or, contenu dans les deux barils que voici, je vous ai dit qu'il était à moi, j'ai eu tort; c'est le premier mensonge que j'aie fait de ma vie, mensonge momentané, il est vrai: cet or, c'est le bien du roi Charles II, exilé de sa patrie, chassé de son palais, orphelin à la fois de son père et de son trône, et privé de tout, même du triste bonheur de baiser à genoux la pierre sur laquelle la main de ses meurtriers a écrit cette simple épitaphe qui criera éternellement vengeance contre eux: «Ci-gît le roi Charles Ier

Monck pâlit légèrement, et un imperceptible frisson rida sa peau et hérissa sa moustache grise.

– Moi, continua Athos, moi, le comte de La Fère, le seul, le dernier fidèle qui reste au pauvre prince abandonné, je lui ai offert de venir trouver l'homme duquel dépend aujourd'hui le sort de la royauté en Angleterre, et je suis venu, et je me suis placé sous le regard de cet homme, et je me suis mis nu et désarmé dans ses mains en lui disant: «Milord, ici est la dernière ressource d'un prince que Dieu fit votre maître, que sa naissance fit votre roi; de vous, de vous seul dépendent sa vie et son avenir. Voulez-vous employer cet argent à consoler l'Angleterre des maux qu'elle a dû souffrir pendant l'anarchie, c'est-à-dire voulez-vous aider, ou, sinon aider, du moins laisser faire le roi Charles II?»