– Regarde.
Le sergent descendit les trois ou quatre marches qui le séparaient de Monck et apparut sous la voûte.
– Tu vois, lui dit Monck, là-bas où est ce gentilhomme?
– Oui, mon général.
– Tu vois ces deux barils?
– Parfaitement.
– Ce sont deux barils contenant, l'un de la poudre, l'autre des balles; je voudrais faire transporter ces barils dans le petit bourg qui est au bord de la rivière, et que je compte faire occuper demain par deux cents mousquets. Tu comprends que la commission est secrète, car c'est un mouvement qui peut décider du gain de la bataille.
– Oh! mon général, murmura le sergent.
– Bien! Fais donc attacher ces deux barils sur le cheval, et qu'on les escorte, deux hommes et toi, jusqu'à la maison de ce gentilhomme, qui est mon ami; mais tu comprends, que nul ne le sache.
– Je passerais par le marais si je connaissais un chemin, dit le sergent.
– J'en connais un, moi, dit Athos; il n'est pas large, mais il est solide, ayant été fait sur pilotis, et, avec de la précaution, nous arriverons.
– Faites ce que ce cavalier vous ordonnera, dit Monck.
– Oh! oh! les barils sont lourds, dit le sergent, qui essaya d'en soulever un.
– Ils pèsent quatre cents livres chacun, s'ils contiennent ce qu'ils doivent contenir, n'est-ce pas, monsieur?
– À peu près, dit Athos.
Le sergent alla chercher le chevalet les hommes. Monck, resté seul avec Athos, affecta de ne plus lui parler que de choses indifférentes, tout en examinant distraitement le caveau. Puis, entendant le pas du chevaclass="underline"
– Je vous laisse avec vos hommes, monsieur, dit-il, et retourne au camp. Vous êtes en sûreté.
– Je vous reverrai donc, milord? demanda Athos.
– C'est chose dite, monsieur, et avec grand plaisir.
Monck tendit la main à Athos.
– Ah! milord, si vous vouliez! murmura Athos.
– Chut! monsieur, dit Monck, il est convenu que nous ne parlerons plus de cela.
Et, saluant Athos, il remonta, croisant au milieu de l'escalier ses hommes qui descendaient. Il n'avait pas fait vingt pas hors de l'abbaye, qu'un petit coup de sifflet lointain et prolongé se fit entendre. Monck dressa l'oreille; mais ne voyant plus rien, il continua sa route. Alors, il se souvint du pêcheur et le chercha des yeux, mais le pêcheur avait disparu. S'il eût cependant regardé avec plus d'attention qu'il ne le fit, il eût vu cet homme courbé en deux, se glissant comme un serpent le long des pierres et se perdant au milieu de la brume, rasant la surface du marais; il eût vu également, essayant de percer cette brume, un spectacle qui eût attiré son attention: c'était la mâture de la barque du pêcheur qui avait changé de place, et qui se trouvait alors au plus près du bord de la rivière. Mais Monck ne vit rien et, pensant n'avoir rien à craindre, il s'engagea sur la chaussée déserte qui conduisait à son camp. Ce fut alors que cette disparition du pêcheur lui parut étrange, et qu'un soupçon réel commença d'assiéger son esprit. Il venait de mettre aux ordres d'Athos le seul poste qui pût le protéger. Il avait un mille de chaussée à traverser pour regagner son camp.
Le brouillard montait avec une telle intensité, qu'à peine pouvait-on distinguer les objets à une distance de dix pas.
Monck crut alors entendre comme le bruit d'un aviron qui battait sourdement le marais à sa droite.
– Qui va là? cria-t-il.
Mais personne ne répondit. Alors il arma son pistolet, mit l’épée à la main, et pressa le pas sans cependant vouloir appeler personne. Cet appel, dont l'urgence n'était pas absolue, lui paraissait indigne de lui.
Chapitre XXVII – Le lendemain
Il était sept heures du matin: les premiers rayons du jour éclairaient les étangs, dans lesquels le soleil se reflétait comme un boulet rougi, lorsque Athos, se réveillant et ouvrant la fenêtre de sa chambre à coucher qui donnait sur les bords de la rivière, aperçut à quinze pas de distance à peu près le sergent et les hommes qui l'avaient accompagné la veille, et qui, après avoir déposé les barils chez lui, étaient retournés au camp par la chaussée de droite.
Pourquoi, après être retournés au camp, ces hommes étaient-ils revenus? Voilà la question qui se présenta soudainement à l'esprit d'Athos.
Le sergent, la tête haute, paraissait guetter le moment où le gentilhomme paraîtrait pour l'interpeller. Athos, surpris de retrouver là ceux qu'il avait vus s'éloigner la veille, ne put s'empêcher de leur témoigner son étonnement.
– Cela n'a rien de surprenant, monsieur, dit le sergent, car hier le général m'a recommandé de veiller à votre sûreté, et j'ai dû obéir à cet ordre.
– Le général est au camp? demanda Athos.
– Sans doute, monsieur, puisque vous l'avez quitté hier s'y rendant.
– Eh bien! attendez-moi; j'y vais aller pour rendre compte de la fidélité avec laquelle vous avez rempli votre mission et pour reprendre mon épée, que j'oubliai hier sur la table.
– Cela tombe à merveille, dit le sergent, car nous allions vous en prier.
Athos crut remarquer un certain air de bonhomie équivoque sur le visage de ce sergent; mais l'aventure du souterrain pouvait avoir excité la curiosité de cet homme, et il n'était pas surprenant alors qu'il laissât voir sur son visage un peu des sentiments qui agitaient son esprit. Athos ferma donc soigneusement les portes, et il en confia les clefs à Grimaud, lequel avait élu son domicile sous l'appentis même qui conduisait au cellier où les barils avaient été enfermés.
Le sergent escorta le comte de La Fère jusqu'au camp. Là, une garde nouvelle attendait et relaya les quatre hommes qui avaient conduit Athos.
Cette garde nouvelle était commandée par l'aide de camp Digby, lequel, durant le trajet, attacha sur Athos des regards si peu encourageants, que le Français se demanda d'où venaient à son endroit cette vigilance et cette sévérité, quand la veille il avait été si parfaitement libre.
Il n'en continua pas moins son chemin vers le quartier général, renfermant en lui-même les observations que le forçaient de faire les hommes et les choses. Il trouva sous la tente du général où il avait été introduit la veille trois officiers supérieurs; c'étaient le lieutenant de Monck et deux colonels. Athos reconnut son épée; elle était encore sur la table du général, à la place où il l'avait laissée la veille.
Aucun des officiers n'avait vu Athos, aucun par conséquent ne le connaissait. Le lieutenant de Monck demanda alors, à l'aspect d'Athos, si c'était bien là le même gentilhomme avec lequel le général était sorti de la tente.
– Oui, Votre Honneur, dit le sergent, c'est lui-même.
– Mais, dit Athos avec hauteur, je ne le nie pas, ce me semble; et maintenant, messieurs, à mon tour, permettez-moi de vous demander à quoi bon toutes ces questions, et surtout quelques explications sur le ton avec lequel vous les demandez.
– Monsieur, dit le lieutenant, si nous vous adressons ces questions, c'est que nous avons le droit de les faire, et si nous vous les faisons avec ce ton, c'est que ce ton convient, croyez-moi, à la situation.
– Messieurs, dit Athos, vous ne savez pas qui je suis, mais ce que je dois vous dire, c'est que je ne reconnais ici pour mon égal que le général Monck. Où est-il? Qu'on me conduise devant lui, et s'il a, lui, quelque question à m'adresser, je lui répondrai, et à sa satisfaction, je l'espère. Je le répète, messieurs, où est le général?