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– Et pourquoi ne l'avez-vous point voulu?

– Parce que je ne suis ni envoyé, ni ambassadeur, ni représentant du roi de France, et qu'il ne me convient pas de me montrer ainsi près d'un autre roi que Dieu ne m'a pas donné pour maître.

– Mordioux! vous vous montriez bien près du roi son père.

– C'est autre chose, ami: celui-là allait mourir.

– Et cependant ce que vous avez fait pour celui-ci…

– Je l'ai fait parce que je devais le faire. Mais, vous le savez, je déplore toute ostentation. Que le roi Charles II, qui n'a plus besoin de moi, me laisse donc maintenant dans mon repos et dans mon ombre, c'est tout ce que je réclame de lui.

D'Artagnan soupira.

– Qu'avez-vous? lui dit Athos, on dirait que cet heureux retour du roi à Londres vous attriste, mon ami, vous qui cependant avez fait au moins autant que moi pour Sa Majesté.

– N'est-ce pas, répondit d'Artagnan en riant de son rire gascon, que j'ai fait aussi beaucoup pour Sa Majesté, sans que l'on s'en doute?

– Oh! oui s'écria Athos; et le roi le sait bien, mon ami.

– Il le sait, fit amèrement le mousquetaire; par ma foi! je ne m'en doutais pas, et je tâchais même en ce moment de l'oublier.

– Mais lui, mon ami, n'oubliera point, je vous en réponds.

– Vous me dites cela pour me consoler un peu, Athos.

– Et de quoi?

– Mordioux! de toutes les dépenses que j'ai faites. Je me suis ruiné, mon ami, ruiné pour la restauration de ce jeune prince qui vient de passer en cabriolant sur son cheval isabelle.

– Le roi ne sait pas que vous vous êtes ruiné, mon ami, mais il sait qu'il vous doit beaucoup.

– Cela m'avance-t-il en quelque chose, Athos? dites! car enfin, je vous rends justice, vous avez noblement travaillé. Mais, moi qui, en apparence, ai fait manquer votre combinaison, c'est moi qui en réalité l'ai fait réussir. Suivez bien mon calcuclass="underline" vous n'eussiez peut-être pas, par la persuasion et la douceur, convaincu le général Monck, tandis que moi je l'ai si rudement mené, ce cher général, que j'ai fourni à votre prince l'occasion de se montrer généreux; cette générosité lui a été inspirée par le fait de ma bienheureuse bévue, Charles se la voit payer par la restauration que Monck lui a faite.

– Tout cela, cher ami, est d'une vérité frappante, répondit Athos.

– Et bien! toute frappante qu'est cette vérité, il n'en est pas moins vrai, cher ami, que je m'en retournerai, fort chéri de M. Monck, qui m'appelle my dear captain toute la journée, bien que je ne sois ni son cher, ni capitaine, et fort apprécié du roi, qui a déjà oublié mon nom; il n'en est pas moins vrai, dis-je, que je m'en retournerai dans ma belle patrie, maudit par les soldats que j'avais levés dans l'espoir d'une grosse solde, maudit du brave Planchet, à qui j'ai emprunté une partie de sa fortune.

– Comment cela? et que diable vient faire Planchet dans tout ceci?

– Eh! oui, mon cher: ce roi si pimpant, si souriant, si adoré, M. Monck se figure l'avoir rappelé, vous vous figurez l'avoir soutenu, je me figure l'avoir ramené, le peuple se figure l'avoir reconquis, lui-même se figure avoir négocié de façon à être restauré, et rien de tout cela n'est vrai, cependant: Charles II, roi d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande, a été remis sur son trône par un épicier de France qui demeure rue des Lombards et qu'on appelle Planchet. Ce que c'est que la grandeur! «Vanité! dit l'Écriture; vanité! tout est vanité!»

Athos ne put s'empêcher de rire de la boutade de son ami.

– Cher d'Artagnan, dit-il en lui serrant affectueusement la main, ne seriez-vous plus philosophe? N'est-ce plus pour vous une satisfaction que de m'avoir sauvé la vie comme vous le fîtes en arrivant si heureusement avec Monck, quand ces damnés parlementaires voulaient me brûler vif?

– Voyons, voyons, dit d'Artagnan, vous l'aviez un peu méritée, cette brûlure, mon cher comte.

– Comment! pour avoir sauvé le million du roi Charles?

– Quel million?

– Ah! c'est vrai, vous n'avez jamais su cela, vous, mon ami; mais il ne faut pas m'en vouloir, ce n'était pas mon secret. Ce mot Remember! que le roi Charles a prononcé sur l'échafaud…

– Et qui veut dire Souviens-toi?

– Parfaitement. Ce mot signifiait: Souviens-toi qu'il y a un million enterré dans les caves de Newcastle, et que ce million appartient à mon fils.

– Ah! très bien, je comprends. Mais ce que je comprends aussi, et ce qu'il y a d'affreux, c'est que, chaque fois que Sa Majesté Charles II pensera à moi, il se dira: «Voilà un homme qui a cependant manqué me faire perdre ma couronne. Heureusement j'ai été généreux, grand, plein de présence d'esprit.» Voilà ce que dira de moi et de lui ce jeune gentilhomme au pourpoint noir très râpé, qui vint au château de Blois, son chapeau à la main, me demander si je voulais bien lui accorder entrée chez le roi de France.

– D'Artagnan! d'Artagnan! dit Athos en posant sa main sur l'épaule du mousquetaire, vous n'êtes pas juste.

– J'en ai le droit.

– Non, car vous ignorez l'avenir.

D'Artagnan regarda son ami entre les yeux et se mit à rire.

– En vérité, mon cher Athos, dit-il, vous avez des mots superbes que je n'ai connus qu'à vous et à M. le cardinal Mazarin.

Athos fit un mouvement.

– Pardon, continua d'Artagnan en riant, pardon si je vous offense. L'avenir! hou! les jolis mots que les mots qui promettent, et comme ils remplissent bien la bouche à défaut d'autre chose! Mordioux! après en avoir tant trouvé qui promettent, quand donc en trouverai-je un qui donne? Mais laissons cela, continua d'Artagnan. Que faites-vous ici, mon cher Athos? êtes-vous trésorier du roi?

– Comment! trésorier du roi?

– Oui, puisque le roi possède un million, il lui faut un trésorier. Le roi de France, qui est sans un sou, a bien un surintendant des finances, M. Fouquet. Il est vrai qu'en échange M. Fouquet a bon nombre de millions, lui.

– Oh! notre million est dépensé depuis longtemps, dit à son tour en riant Athos.

– Je comprends, il a passé en satin, en pierreries, en velours et en plumes de toute espèce et de toute couleur. Tous ces princes et toutes ces princesses avaient grand besoin de tailleurs et de lingères… Eh! Athos, vous souvenez-vous de ce que nous dépensâmes pour nous équiper, nous autres, lors de la campagne de La Rochelle, et pour faire aussi notre entrée à cheval? Deux ou trois mille livres, par ma foi! mais un corsage de roi est plus ample, et il faut un million pour en acheter l'étoffe. Au moins, dites, Athos, si vous n'êtes pas trésorier, vous êtes bien en cour?

– Foi de gentilhomme, je n'en sais rien, répondit simplement Athos.

– Allons donc! vous n'en savez rien?

– Non, je n'ai pas revu le roi depuis Douvres.

– Alors, c'est qu'il vous a oublié aussi, mordioux! c'est régalant!

– Sa Majesté a eu tant d'affaires!

– Oh! s'écria d'Artagnan avec une de ces spirituelles grimaces comme lui seul savait en faire, voilà, sur mon honneur, que je me reprends d'amour pour monsignor Giulio Mazarini. Comment! mon cher Athos, le roi ne vous a pas revu?

– Non.