Выбрать главу

L'étude du jeune roi, commencée depuis longtemps sans que l'on s'en doutât, continuait donc, et il regardait attentivement, pour tâcher de démêler quelque chose dans leur physionomie, les figures qui lui avaient d'abord paru les plus insignifiantes et les plus triviales. On servit une collation. Le roi, sans oser la réclamer de l'hospitalité de son oncle, l'attendait avec impatience. Aussi cette fois eut-il tous les honneurs dus, sinon à son rang, du moins à son appétit, quant au cardinal, il se contenta d'effleurer de ses lèvres flétries un bouillon servi dans une tasse d'or. Le ministre tout-puissant qui avait pris à la reine mère sa régence, au roi sa royauté, n'avait pu prendre à la nature un bon estomac. Anne d'Autriche, souffrant déjà du cancer dont six ou huit ans plus tard elle devait mourir, ne mangeait guère plus que le cardinal. Quant à Monsieur, encore tout ébouriffé du grand événement qui s'accomplissait dans sa vie provinciale, il ne mangeait pas du tout.

Madame seule, en véritable Lorraine, tenait tête à Sa Majesté; de sorte que Louis XIV, qui, sans partenaire, eût mangé à peu près seul, sut grand gré à sa tante d'abord, puis ensuite à M. de Saint-Remy, son maître d'hôtel, qui s'était réellement distingué.

La collation finie, sur un signe d'approbation de M. de Mazarin, le roi se leva, et sur l'invitation de sa tante, il se mit à parcourir les rangs de l'assemblée.

Les dames observèrent alors, il y a certaines choses pour lesquelles les femmes sont aussi bonnes observatrices à Blois qu'à Paris, les dames observèrent alors que Louis XIV avait le regard prompt et hardi, ce qui promettait aux attraits de bon aloi un appréciateur distingué. Les hommes, de leur côté, observèrent que le prince était fier et hautain, qu'il aimait à faire baisser les yeux qui le regardaient trop longtemps ou trop fixement, ce qui semblait présager un maître. Louis XIV avait accompli le tiers de sa revue à peu près, quand ses oreilles furent frappées d'un mot que prononça Son Éminence, laquelle s'entretenait avec Monsieur.

Ce mot était un nom de femme.

À peine Louis XIV eut-il entendu ce mot, qu'il n'entendit ou plutôt qu'il n'écouta plus rien autre chose, et que, négligeant l'arc du cercle qui attendait sa visite, il ne s'occupa plus que d'expédier promptement l'extrémité de la courbe.

Monsieur, en bon courtisan, s'informait près de Son Éminence de la santé de ses nièces. En effet, cinq ou six ans auparavant, trois nièces étaient arrivées d'Italie au cardinaclass="underline" c'étaient Mlles Hortense, Olympe et Marie de Mancini.

Monsieur s'informait donc de la santé des nièces du cardinal; il regrettait, disait-il, de n'avoir pas le bonheur de les recevoir en même temps que leur oncle; elles avaient certainement grandi en beauté et en grâce, comme elles promettaient de le faire la première fois que Monsieur les avait vues.

Ce qui avait d'abord frappé le roi, c'était un certain contraste dans la voix des deux interlocuteurs. La voix de Monsieur était calme et naturelle lorsqu'il parlait ainsi, tandis que celle de M. de Mazarin sauta d'un ton et demi pour lui répondre au-dessus du diapason de sa voix ordinaire.

On eût dit qu'il désirait que cette voix allât frapper au bout de la salle une oreille qui s'éloignait trop.

– Monseigneur, répliqua-t-il, Mlles de Mazarin ont encore toute une éducation à terminer, des devoirs à remplir, une position à apprendre. Le séjour d'une cour jeune et brillante les dissipe un peu.

Louis, à cette dernière épithète, sourit tristement. La cour était jeune, c'est vrai, mais l'avarice du cardinal avait mis bon ordre à ce qu’elle ne fût point brillante.

– Vous n'avez cependant point l'intention, répondait Monsieur, de les cloîtrer ou de les faire bourgeoises?

– Pas du tout, reprit le cardinal en forçant sa prononciation italienne de manière que, de douce et veloutée qu'elle était, elle devint aiguë et vibrante; pas du tout. J'ai bel et bien l'intention de les marier, et du mieux qu'il me sera possible.

– Les partis ne manqueront pas, monsieur le cardinal, répondait Monsieur avec une bonhomie de marchand qui félicite son confrère.

– Je l'espère, monseigneur, d'autant plus que Dieu leur a donné à la fois la grâce, la sagesse et la beauté.

Pendant cette conversation, Louis XIV, conduit par Madame, accomplissait, comme nous l'avons dit, le cercle des présentations.

– Mlle Arnoux, disait la princesse en présentant à Sa Majesté une grosse blonde de vingt-deux ans, qu'à la fête d'un village on eût prise pour une paysanne endimanchée, Mlle Arnoux, fille de ma maîtresse de musique.

Le roi sourit. Madame n'avait jamais pu tirer quatre notes justes de la viole ou du clavecin.

– Mlle Aure de Montalais, continua Madame, fille de qualité et bonne servante.

Cette fois ce n'était plus le roi qui riait, c'était la jeune fille présentée, parce que, pour la première fois de sa vie, elle s'entendait donner par Madame, qui d'ordinaire ne la gâtait point, une si honorable qualification.

Aussi Montalais, notre ancienne connaissance, fit-elle à Sa Majesté une révérence profonde, et cela autant par respect que par nécessité, car il s'agissait de cacher certaines contractions de ses lèvres rieuses que le roi eût bien pu ne pas attribuer à leur motif réel. Ce fut juste en ce moment que le roi entendit le mot qui le fit tressaillir.

– Et la troisième s'appelle? demandait Monsieur.

– Marie, monseigneur, répondait le cardinal.

Il y avait sans doute dans ce mot quelque puissance magique, car, nous l'avons dit, à ce mot le roi tressaillit, et, entraînant Madame vers le milieu du cercle, comme s'il eût voulu confidentiellement lui faire quelque question, mais en réalité pour se rapprocher du cardinaclass="underline"

– Madame ma tante, dit-il en riant et à demi-voix, mon maître de géographie ne m'avait point appris que Blois fût à une si prodigieuse distance de Paris.

– Comment cela, mon neveu? demanda Madame.

– C'est qu'en vérité il paraît qu'il faut plusieurs années aux modes pour franchir cette distance. Voyez ces demoiselles.

– Eh bien! je les connais.

– Quelques-unes sont jolies.

– Ne dites pas cela trop haut, monsieur mon neveu, vous les rendriez folles.

– Attendez, attendez, ma chère tante, dit le roi en souriant, car la seconde partie de ma phrase doit servir de correctif à la première. Eh bien! ma chère tante, quelques-unes paraissent vieilles et quelques autres laides, grâce à leurs modes de dix ans.