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«Quand ils me verront, quand ils verront la bannière de France, ils se rallieront à moi, car ils comprendront que j'ai votre appui. Les couleurs de l'uniforme français vaudront près de moi le million que M. de Mazarin nous aura refusé.

«(Car il savait bien que je le refuserais, ce million.) Je vaincrai avec ces cinq cents gentilshommes, Sire, et tout l'honneur en sera pour vous. Voilà ce qu'il a dit, ou à peu près, n'est-ce pas? en entourant ces paroles de métaphores brillantes, d'images pompeuses, car ils sont bavards dans la famille! Le père a parlé jusque sur l'échafaud.

La sueur de la honte coulait au front de Louis. Il sentait qu'il n'était pas de sa dignité d'entendre ainsi insulter son frère, mais il ne savait pas encore comment on voulait, surtout en face de celui devant qui il avait vu tout plier, même sa mère. Enfin il fit un effort.

– Mais, dit-il, monsieur le cardinal, ce n'est pas cinq cents hommes, c'est deux cents.

– Vous voyez bien que j'avais deviné ce qu'il demandait.

– Je n'ai jamais nié, monsieur, que vous n'eussiez un œil profond, et c'est pour cela que j'ai pensé que vous ne refuseriez pas à mon frère Charles une chose aussi simple et aussi facile à accorder que celle que je vous demande en son nom, monsieur le cardinal, ou plutôt au mien.

– Sire, dit Mazarin, voilà trente ans que je fais de la politique. J'en ai fait d'abord avec M. le cardinal de Richelieu, puis tout seul.

«Cette politique n'a pas toujours été très honnête, il faut l'avouer; mais elle n'a jamais été maladroite. Or, celle que l'on propose en ce moment à Votre Majesté est malhonnête et maladroite à la fois.

– Malhonnête, monsieur!

– Sire, vous avez fait un traité avec M. Cromwell.

– Oui; et dans ce traité même M. Cromwell a signé au-dessus de moi.

– Pourquoi avez-vous signé si bas, Sire? M. Cromwell a trouvé une bonne place, il l'a prise; c'était assez son habitude. J'en reviens donc à M. Cromwell. Vous avez fait un traité avec lui, c'est-à-dire avec l'Angleterre, puisque quand vous avez signé ce traité M. Cromwell était l'Angleterre.

– M. Cromwell est mort.

– Vous croyez cela, Sire?

– Mais sans doute, puisque son fils Richard lui a succédé et a abdiqué même.

– Eh bien! voilà justement! Richard a hérité à la mort de Cromwell, et l'Angleterre à l'abdication de Richard. Le traité faisait partie de l'héritage, qu'il fût entre les mains de M. Richard ou entre les mains de l'Angleterre. Le traité est donc bon toujours, valable autant que jamais. Pourquoi l'éluderiez-vous, Sire? Qu'y a-t-il de changé? Charles II veut aujourd'hui ce que nous n'avons pas voulu il y a dix ans; mais c'est un cas prévu. Vous êtes l'allié de l'Angleterre, Sire, et non celui de Charles II. C'est malhonnête sans doute, au point de vue de la famille, d'avoir signé un traité avec un homme qui a fait couper la tête au beau-frère du roi votre père, et d'avoir contracté une alliance avec un Parlement qu'on appelle là-bas un Parlement Croupion; c'est malhonnête, j'en conviens, mais ce n'était pas maladroit au point de vue de la politique, puisque, grâce à ce traité, j'ai sauvé à Votre Majesté, mineure encore, les tracas d'une guerre extérieure, que la Fronde… vous vous rappelez la Fronde, Sire (le jeune roi baissa la tête), que la Fronde eût fatalement compliqués. Et voilà comme quoi je prouve à Votre Majesté que changer de route maintenant sans prévenir nos alliés serait à la fois maladroit et malhonnête. Nous ferions la guerre en mettant les torts de notre côté; nous la ferions, méritant qu'on nous la fît, et nous aurions l'air de la craindre, tout en la provoquant; car une permission à cinq cents hommes, à deux cents hommes, à cinquante hommes, à dix hommes, c'est toujours une permission. Un Français, c'est la nation; un uniforme, c'est l'armée. Supposez, par exemple, Sire, que vous avez la guerre avec la Hollande, ce qui tôt ou tard arrivera certainement, ou avec l'Espagne, ce qui arrivera peut-être si votre mariage manque (Mazarin regarda profondément le roi), et il y a mille causes qui peuvent faire manquer votre mariage; eh bien! approuveriez-vous l'Angleterre d'envoyer aux Provinces-Unies ou à l'infante un régiment, une compagnie, une escouade même de gentilshommes anglais? Trouveriez-vous qu'elle se renferme honnêtement dans les limites de son traité d'alliance?

Louis écoutait; il lui semblait étrange que Mazarin invoquât la bonne foi, lui l'auteur de tant de supercheries politiques qu'on appelait des mazarinades.

– Mais enfin, dit le roi, sans autorisation manifeste, je ne puis empêcher des gentilshommes de mon État de passer en Angleterre si tel est leur bon plaisir.

– Vous devez les contraindre à revenir, Sire, ou tout au moins protester contre leur présence en ennemis dans un pays allié.

– Mais enfin, voyons, vous, monsieur le cardinal, vous un génie si profond, cherchons un moyen d'aider ce pauvre roi sans nous compromettre.

– Et voilà justement ce que je ne veux pas, mon cher Sire, dit Mazarin. L'Angleterre agirait d'après mes désirs qu'elle n'agirait pas mieux; je dirigerais d'ici la politique d'Angleterre que je ne la dirigerais pas autrement.

«Gouvernée ainsi qu'on la gouverne, l'Angleterre est pour l'Europe un nid éternel à procès. La Hollande protège Charles II: laissez faire la Hollande; ils se fâcheront, ils se battront; ce sont les deux seules puissances maritimes; laissez-les détruire leurs marines l'une par l'autre; nous construirons la nôtre avec les débris de leurs vaisseaux, et encore quand nous aurons de l'argent pour acheter des clous.

– Oh! que tout ce que vous me dites là est pauvre et mesquin, monsieur le cardinal!

– Oui, mais comme c'est vrai, Sire, avouez-le. Il y a plus: j'admets un moment la possibilité de manquer à votre parole et d'éluder le traité; cela se voit souvent, qu'on manque à sa parole et qu'on élude un traité, mais c'est quand on a quelque grand intérêt à le faire ou quand on se trouve par trop gêné par le contrat; eh bien! vous autoriseriez l'engagement qu'on vous demande; la France, sa bannière, ce qui est la même chose, passera le détroit et combattra; la France sera vaincue.

– Pourquoi cela?

– Voilà ma foi un habile général, que Sa Majesté Charles II, et Worcester nous donne de belles garanties!

– Il n'aura plus affaire à Cromwell, monsieur.

– Oui, mais il aura affaire à Monck, qui est bien autrement dangereux.

«Ce brave marchand de bière dont nous parlons était un illuminé, il avait des moments d'exaltation, d'épanouissement, de gonflement, pendant lesquels il se fendait comme un tonneau trop plein; par les fentes alors s'échappaient toujours quelques gouttes de sa pensée, et à l'échantillon on connaissait la pensée tout entière. Cromwell nous a ainsi, plus de dix fois, laissé pénétrer dans son âme, quand on croyait cette âme enveloppée d'un triple airain, comme dit Horace. Mais Monck! Ah! Sire, Dieu vous garde de faire jamais de la politique avec M. Monck! C'est lui qui m'a fait depuis un an tous les cheveux gris que j'ai!