– Convenu.
– Vous me prêtez un de vos chevaux?
– Le meilleur.
– Non, je préfère le plus doux; je n’ai jamais été excellent cavalier, vous le savez, et, dans l’épicerie, je me suis encore rouillé; et puis…
– Et puis quoi?
– Et puis, ajouta Planchet avec un autre clin d’œil, et puis je ne veux pas me fatiguer.
– Et pourquoi? se hasarda à demander d’Artagnan.
– Parce que je ne m’amuserais plus, répondit Planchet.
Et là-dessus il se leva de dessus son sac de maïs en s’étirant et en faisant craquer tous ses os, les uns après les autres avec une sorte d’harmonie.
– Planchet! Planchet! s’écria d’Artagnan, je déclare qu’il n’est point sur la terre de sybarite qui puisse vous être comparé. Ah! Planchet, on voit bien que nous n’avons pas encore mangé l’un près de l’autre un tonneau de sel.
– Et pourquoi cela, monsieur?
– Parce que je ne te connaissais pas encore, dit d’Artagnan, et que, décidément, j’en reviens à croire définitivement ce que j’avais pensé un instant le jour où, à Boulogne, tu as étranglé, ou peu s’en faut, Lubin, le valet de M. de Wardes; Planchet, c’est que tu es un homme de ressource.
Planchet se mit à rire d’un rire plein de fatuité, donna le bonsoir au mousquetaire, et descendit dans son arrière-boutique, qui lui servait de chambre à coucher.
D’Artagnan reprit sa première position sur sa chaise, et son front, déridé un instant, devint plus pensif que jamais.
Il avait déjà oublié les folies et les rêves de Planchet.
«Oui, se dit-il en ressaisissant le fil de ses pensées, interrompues par cet agréable colloque auquel nous venons de faire participer le public; oui, tout est là:
«1° savoir ce que Baisemeaux voulait à Aramis;
«2° savoir pourquoi Aramis ne me donne point de ses nouvelles;
«3° savoir où est Porthos.
«Sous ces trois points gît le mystère.
«Or, continua d’Artagnan, puisque nos amis ne nous avouent rien, ayons recours à notre pauvre intelligence. On fait ce qu’on peut, mordioux! ou malaga! comme dit Planchet.»
Chapitre CXLI – La lettre de M. de Baisemeaux
D’Artagnan, fidèle à son plan, alla dès le lendemain matin rendre visite à M. de Baisemeaux.
C’était jour de propreté à la Bastille: les canons étaient brossés, fourbis, les escaliers grattés; les porte-clefs semblaient occupés du soin de polir leurs clefs elles-mêmes.
Quant aux soldats de la garnison, ils se promenaient dans leurs cours, sous prétexte qu’ils étaient assez propres.
Le commandant Baisemeaux reçut d’Artagnan d’une façon plus que polie; mais il fut avec lui d’une réserve tellement serrée, que toute la finesse de d’Artagnan ne lui tira pas une syllabe.
Plus il se retenait dans ses limites, plus la défiance de d’Artagnan croissait.
Ce dernier crut même remarquer que le commandant agissait en vertu d’une recommandation récente.
Baisemeaux n’avait pas été au Palais-Royal, avec d’Artagnan, l’homme froid et impénétrable que celui-ci trouva dans le Baisemeaux de la Bastille.
Quand d’Artagnan voulut le faire parler sur les affaires si pressantes d’argent qui avaient amené Baisemeaux à la recherche d’Aramis et le rendaient expansif malgré tout ce soir-là, Baisemeaux prétexta des ordres à donner dans la prison même, et laissa d’Artagnan se morfondre si longtemps à l’attendre, que notre mousquetaire, certain de ne point obtenir un mot de plus, partit de la Bastille sans que Baisemeaux fût revenu de son inspection.
Mais il avait un soupçon, d’Artagnan, et, une fois le soupçon éveillé, l’esprit de d’Artagnan ne dormait plus.
Il était aux hommes ce que le chat est aux quadrupèdes, l’emblème de l’inquiétude à la fois et de l’impatience.
Un chat inquiet ne demeure pas plus en place que le flocon de soie qui se balance à tout souffle d’air. Un chat qui guette est mort devant son poste d’observation, et ni la faim ni la soif ne savent le tirer de sa méditation.
D’Artagnan, qui brûlait d’impatience, secoua tout à coup ce sentiment comme un manteau trop lourd. Il se dit que la chose qu’on lui cachait était précisément celle qu’il importait de savoir.
En conséquence, il réfléchit que Baisemeaux ne manquerait pas de faire prévenir Aramis, si Aramis lui avait donné une recommandation quelconque. C’est ce qui arriva.
Baisemeaux avait à peine eu le temps matériel de revenir du donjon, que d’Artagnan s’était mis en embuscade près de la rue du Petit-Musc, de façon à voir tous ceux qui sortiraient de la Bastille.
Après une heure de station à la Herse-d’Or, sous l’auvent où l’on prenait un peu d’ombre, d’Artagnan vit sortir un soldat de garde.
Or, c’était le meilleur indice qu’il pût désirer. Tout gardien ou porte-clefs a ses jours de sortie et même ses heures à la Bastille, puisque tous sont astreints à n’avoir ni femme ni logement dans le château; ils peuvent donc sortir sans exciter la curiosité.
Mais un soldat caserné est renfermé pour vingt-quatre heures lorsqu’il est de garde, on le sait bien, et d’Artagnan le savait mieux que personne. Ce soldat ne devait donc sortir en tenue de service que pour un ordre exprès et pressé.
Le soldat, disons-nous, partit de la Bastille, et lentement, lentement, comme un heureux mortel à qui, au lieu d’une faction devant un insipide corps de garde, ou sur un bastion non moins ennuyeux, arrive la bonne aubaine d’une liberté jointe à une promenade, ces deux plaisirs comptant comme service. Il se dirigea vers le faubourg Saint-Antoine, humant l’air, le soleil, et regardant les femmes.
D’Artagnan le suivit de loin. Il n’avait pas encore fixé ses idées là-dessus.
«Il faut tout d’abord, pensa-t-il, que je voie la figure de ce drôle. Un homme vu est un homme jugé.»
D’Artagnan doubla le pas, et, ce qui n’était pas bien difficile, devança le soldat.
Non seulement il vit sa figure, qui était assez intelligente et résolue, mais encore il vit son nez, qui était un peu rouge.
«Le drôle aime l’eau-de-vie», se dit-il.
En même temps qu’il voyait le nez rouge, il voyait dans la ceinture du soldat un papier blanc.