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On laissa faire d’Artagnan.

Perrons, salons, jardins, tout fut passé en revue par le mousquetaire. Il marcha un quart d’heure dans cette maison plus que royale, qui comptait autant de merveilles que de meubles, autant de serviteurs que de colonnes et de portes.

«Décidément, se dit-il, cette maison n’a d’autres limites que les limites de la terre. Est-ce que Porthos aurait eu la fantaisie de s’en retourner à Pierrefonds, sans sortir de chez M. Fouquet?»

Enfin, il arriva dans une partie reculée du château, ceinte d’un mur de pierres de taille sur lesquelles grimpait une profusion de plantes grasses ruisselantes de fleurs, grosses et solides comme des fruits.

De distance en distance, sur le mur d’enceinte, s’élevaient des statues dans des poses timides ou mystérieuses. C’étaient des vestales cachées sous le péplum aux grands plis; des veilleurs agiles enfermés dans leurs voiles de marbre et couvant le palais de leurs furtifs regards.

Un Hermès, le doigt sur la bouche, une Iris aux ailes éployées, une Nuit tout arrosée de pavots, dominaient les jardins et les bâtiments qu’on entrevoyait derrière les arbres; toutes ces statues se profilaient en blanc sur les hauts cyprès, qui dardaient leurs cimes noires vers le ciel.

Autour de ces cyprès s’étaient enroulés des rosiers séculaires, qui attachaient leurs anneaux fleuris à chaque fourche des branches et semaient sur les ramures inférieures et sur les statues des pluies de fleurs embaumées.

Ces enchantements parurent au mousquetaire l’effort suprême de l’esprit humain. Il était dans une disposition d’esprit à poétiser. L’idée que Porthos habitait un pareil Eden lui donna de Porthos une idée plus haute, tant il est vrai que les esprits les plus élevés ne sont point exempts de l’influence de l’entourage.

D’Artagnan trouva la porte; à la porte, une espèce de ressort qu’il découvrit et qu’il fit jouer. La porte s’ouvrit.

D’Artagnan entra, referma la porte et pénétra dans un pavillon bâti en rotonde, et dans lequel on n’entendait d’autre bruit que celui des cascades et des chants d’oiseaux.

À la porte du pavillon, il rencontra un laquais.

– C’est ici, dit sans hésitation d’Artagnan, que demeure M. le baron du Vallon, n’est-ce pas.

– Oui, monsieur, répondit le laquais.

– Prévenez-le que M. le chevalier d’Artagnan, capitaine aux mousquetaires de Sa Majesté, l’attend.

D’Artagnan fut introduit dans un salon.

D’Artagnan ne demeura pas longtemps dans l’attente: un pas bien connu ébranla le parquet de la salle voisine, une porte s’ouvrit ou plutôt s’enfonça, et Porthos vint se jeter dans les bras de son ami avec une sorte d’embarras qui ne lui allait pas mal.

– Vous ici? s’écria-t-il.

– Et vous? répliqua d’Artagnan. Ah! sournois!

– Oui, dit Porthos en souriant d’un sourire embarrassé, oui, vous me trouvez chez M. Fouquet, et cela vous étonne un peu, n’est-ce pas?

– Non pas; pourquoi ne seriez-vous pas des amis de M. Fouquet? M. Fouquet a bon nombre d’amis, surtout parmi les hommes d’esprit.

Porthos eut la modestie de ne pas prendre le compliment pour lui.

– Puis, ajouta-t-il, vous m’avez vu à Belle-Île.

– Raison de plus pour que je sois porté à croire que vous êtes des amis de M. Fouquet.

– Le fait est que je le connais, dit Porthos avec un certain embarras.

– Ah! mon ami, dit d’Artagnan, que vous êtes coupable envers moi!

– Comment cela? s’écria Porthos.

– Comment! vous accomplissez un ouvrage aussi admirable que celui des fortifications de Belle-Île, et vous ne m’en avertissez pas.

Porthos rougit.

– Il y a plus, continua d’Artagnan, vous me voyez là-bas; vous savez que je suis au roi, et vous ne devinez pas que le roi, jaloux de connaître quel est l’homme de mérite qui accomplit une œuvre dont on lui fait les plus magnifiques récits, vous ne devinez pas que le roi m’a envoyé pour savoir quel était cet homme?

– Comment! le roi vous avait envoyé pour savoir…

– Pardieu! Mais ne parlons plus de cela.

– Corne de bœuf! dit Porthos, au contraire, parlons-en; ainsi, le roi savait que l’on fortifiait Belle-Île?

– Bon! est-ce que le roi ne sait pas tout?

– Mais il ne savait pas qui le fortifiait?

– Non; seulement, il se doutait, d’après ce qu’on lui avait dit des travaux, que c’était un illustre homme de guerre.

– Diable! dit Porthos, si j’avais su cela.

– Vous ne vous seriez pas sauvé de Vannes, n’est-ce pas?

– Non. Qu’avez-vous dit quand vous ne m’avez plus trouvé?

– Mon cher, j’ai réfléchi.

– Ah! oui, vous réfléchissez, vous… Et à quoi cela vous a-t-il mené de réfléchir?

– À deviner toute la vérité.

– Ah! vous avez deviné?

– Oui.

– Qu’avez-vous deviné? Voyons, dit Porthos en s’accommodant dans un fauteuil et prenant des airs de sphinx.

– J’ai deviné, d’abord, que vous fortifiiez Belle-Île.

– Ah! cela n’était pas bien difficile, vous m’avez vu à l’œuvre.

– Attendez donc; mais j’ai deviné encore quelque chose, c’est que vous fortifiiez Belle-Île par ordre de M. Fouquet.

– C’est vrai.

– Ce n’est pas le tout. Quand je suis en train de deviner, je ne m’arrête pas en route.

– Ce cher d’Artagnan!

– J’ai deviné que M. Fouquet voulait garder le secret le plus profond sur ces fortifications.

– C’était son intention, en effet, à ce que je crois, dit Porthos.

– Oui; mais savez-vous pourquoi il voulait garder ce secret?

– Dame! pour que la chose ne fût pas sue, dit Porthos.

– D’abord. Mais ce désir était soumis à l’idée d’une galanterie…

– En effet, dit Porthos, j’ai entendu dire que M. Fouquet était fort galant.

– À l’idée d’une galanterie qu’il voulait faire au roi.

– Oh! oh!

– Cela vous étonne?

– Oui.

– Vous ne saviez pas cela?

– Non.

– Eh bien! je le sais, moi.