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– Vous êtes donc sorcier.

– Pas le moins du monde.

– Comment le savez-vous, alors?

– Ah! voilà! par un moyen bien simple! j’ai entendu M. Fouquet le dire lui-même au roi.

– Lui dire quoi?

– Qu’il avait fait fortifier Belle-Île à son intention, et qu’il lui faisait cadeau de Belle-Île.

– Ah! vous avez entendu M. Fouquet dire cela au roi?

– En toutes lettres. Il a même ajouté: «Belle-Île a été fortifiée par un ingénieur de mes amis, homme de beaucoup de mérite, que je demanderai la permission de présenter au roi.» – «Son nom?» a demandé le roi. «Le baron du Vallon», a répondu M. Fouquet. «C’est bien, a répondu le roi, vous me le présenterez.»

– Le roi a répondu cela?

– Foi de d’Artagnan!

– Oh! oh! fit Porthos. Mais pourquoi ne m’a-t-on pas présenté, alors?

– Ne vous a-t-on point parlé de cette présentation?

– Si fait, mais je l’attends toujours.

– Soyez tranquille, elle viendra.

– Hum! hum! grogna Porthos.

D’Artagnan fit semblant de ne pas entendre, et, changeant la conversation:

– Mais vous habitez un lieu bien solitaire, cher ami, ce me semble? demanda-t-il.

– J’ai toujours aimé l’isolement. Je suis mélancolique, répondit Porthos avec un soupir.

– Tiens! c’est étrange, fit d’Artagnan, je n’avais pas remarqué cela.

– C’est depuis que je me livre à l’étude, dit Porthos d’un air soucieux.

– Mais les travaux de l’esprit n’ont pas nui à la santé du corps, j’espère?

– Oh! nullement.

– Les forces vont toujours bien?

– Trop bien, mon ami, trop bien.

– C’est que j’avais entendu dire que, dans les premiers jours de votre arrivée…

– Oui, je ne pouvais plus remuer, n’est-ce pas?

– Comment, fit d’Artagnan avec un sourire, et à propos de quoi ne pouviez-vous plus remuer?

Porthos comprit qu’il avait dit une bêtise et voulut se reprendre.

– Oui, je suis venu de Belle-Île ici sur de mauvais chevaux, dit-il, et cela m’avait fatigué.

– Cela ne m’étonne plus, que, moi qui venais derrière vous, j’en aie trouvé sept ou huit de crevés sur la route.

– Je suis lourd, voyez-vous, dit Porthos.

– De sorte que vous étiez moulu?

– La graisse m’a fondu, et cette fonte m’a rendu malade.

– Ah! pauvre Porthos!… Et Aramis, comment a-t-il été pour vous dans tout cela?

– Très bien… Il m’a fait soigner par le propre médecin de M. Fouquet. Mais figurez-vous qu’au bout de huit jours je ne respirais plus.

– Comment cela?

– La chambre était trop petite: j’absorbais trop d’air.

– Vraiment?

– À ce que l’on m’a dit, du moins… Et l’on m’a transporté dans un autre logement.

– Où vous respiriez, cette fois?

– Plus librement, oui; mais pas d’exercice, rien à faire. Le médecin prétendait que je ne devais pas bouger; moi, au contraire, je me sentais plus fort que jamais. Cela donna naissance à un grave accident.

– À quel accident?

– Imaginez-vous, cher ami, que je me révoltai contre les ordonnances de cet imbécile de médecin et que je résolus de sortir, que cela lui convint ou ne lui convînt pas. En conséquence, j’ordonnai au valet qui me servait d’apporter mes habits.

– Vous étiez donc tout nu, mon pauvre Porthos?

– Non pas, j’avais une magnifique robe de chambre, au contraire. Le laquais obéit; je me revêtis de mes habits, qui étaient devenus trop larges; mais, chose étrange, mes pieds étaient devenus trop larges, eux.

– Oui, j’entends bien.

– Et mes bottes étaient devenues trop étroites.

– Vos pieds étaient restés enflés.

– Tiens! vous avez deviné.

– Parbleu! Et c’est là l’accident dont vous me vouliez entretenir?

– Ah bien! oui! Je ne fis pas la même réflexion que vous. Je me dis: «Puisque mes pieds ont entré dix fois dans mes bottes, il n’y a aucune raison pour qu’ils n’y entrent pas une onzième.»

– Cette fois, mon cher Porthos, permettez-moi de vous le dire, vous manquiez de logique.

– Bref, j’étais donc placé en face d’une cloison; j’essayais de mettre ma botte droite; je tirais avec les mains, je poussais avec le jarret, faisant des efforts inouïs, quand, tout à coup, les deux oreilles de mes bottes demeurèrent dans mes mains; mon pied partit comme une catapulte.

– Catapulte! Comme vous êtes fort sur les fortifications, cher Porthos!

– Mon pied partit donc comme une catapulte et rencontra la cloison, qu’il effondra. Mon ami, je crus que, comme Samson, j’avais démoli le temple. Ce qui tomba du coup de tableaux, de porcelaines, de vases de fleurs, de tapisseries, de bâtons de rideaux, c’est inouï.

– Vraiment!

– Sans compter que de l’autre côté de la cloison était une étagère chargée de porcelaines.

– Que vous renversâtes?

– Que je lançai à l’autre bout de l’autre chambre.

Porthos se mit à rire.

– En vérité, comme vous dites, c’est inouï!

Et d’Artagnan se mit à rire comme Porthos.

Porthos, aussitôt, se mit à rire plus fort que d’Artagnan.

– Je cassai, dit Porthos d’une voix entrecoupée par cette hilarité croissante, pour plus de trois mille francs de porcelaines, oh! oh! oh!…

– Bon! dit d’Artagnan.

– J’écrasai pour plus de quatre mille francs de glaces, oh! oh! oh!…

– Excellent!

– Sans compter un lustre qui me tomba juste sur la tête et qui fut brisé en mille morceaux, oh! oh! oh!…

– Sur la tête? dit d’Artagnan, qui se tenait les côtes.

– En plein!

– Mais vous eûtes la tête cassée?

– Non, puisque je vous dis, au contraire, que c’est le lustre qui se brisa comme verre qu’il était.

– Ah! le lustre était de verre?

– De verre de Venise; une curiosité, mon cher, un morceau qui n’avait pas son pareil, une pièce qui pesait deux cents livres.