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Le roi lui souriait, et elle souriait au roi.

Tout le monde riait aux éclats quand elle avait parlé.

«Je connais cette femme, pensa le mousquetaire; qui donc est-elle?»

Et il se pencha vers son ami le fauconnier, à qui il adressa cette question.

Celui-ci allait répondre, quand le roi, apercevant d’Artagnan:

– Ah! comte, dit-il, vous voilà donc revenu. Pourquoi ne vous ai-je pas vu?

– Sire, répondit le capitaine, parce que Votre Majesté dormait quand je suis arrivé, et qu’elle n’était pas éveillée quand j’ai pris mon service ce matin.

– Toujours le même, dit à haute voix Louis satisfait. Reposez-vous, comte, je vous l’ordonne. Vous dînerez avec moi aujourd’hui.

Un murmure d’admiration enveloppa d’Artagnan comme une immense caresse. Chacun s’empressait autour de lui. Dîner avec le roi, c’était un honneur que Sa Majesté ne prodiguait pas comme Henri IV. Le roi fit quelques pas en avant, et d’Artagnan se sentit arrêté par un nouveau groupe au milieu duquel brillait Colbert.

– Bonjour, monsieur d’Artagnan, lui dit le ministre avec une affable politesse; avez-vous fait bonne route?

– Oui, monsieur, dit d’Artagnan en saluant sur le cou de son cheval.

– J’ai entendu le roi vous inviter à sa table pour ce soir, continua le ministre, et vous y trouverez un ancien ami à vous.

– Un ancien ami à moi? demanda d’Artagnan, plongeant avec douleur dans les flots sombres du passé, qui avaient englouti pour lui tant d’amitiés et tant de haines.

– M. le duc d’Alaméda, qui est arrivé ce matin d’Espagne, reprit Colbert.

– Le duc d’Alaméda? fit d’Artagnan en cherchant.

– Moi! fit un vieillard blanc comme la neige et courbé dans son carrosse, qu’il faisait ouvrir pour aller au-devant du mousquetaire.

– Aramis! cria d’Artagnan, frappé de stupeur.

Et il laissa, inerte qu’il était, le bras amaigri du vieux seigneur se pendre en tremblant à son cou.

Colbert, après avoir observé un instant en silence, poussa son cheval et laissa les deux anciens amis en tête à tête.

– Ainsi, dit le mousquetaire en prenant le bras d’Aramis, vous voilà, vous, l’exilé, le rebelle, en France?

– Et je dîne avec vous chez le roi, fit en souriant l’évêque de Vannes. Oui, n’est-ce pas, vous vous demandez à quoi sert la fidélité en ce monde? Tenez, laissons passer le carrosse de cette pauvre La Vallière. Voyez comme elle est inquiète! comme son œil flétri par les larmes suit le roi qui va là-bas à cheval!

– Avec qui?

– Avec Mlle de Tonnay-Charente, devenue Mme de Montespan, répondit Aramis.

– Elle est jalouse, elle est donc trompée?

– Pas encore, d’Artagnan, mais cela ne tardera pas.

Ils causèrent ensemble tout en suivant la chasse, et le cocher d’Aramis les conduisit si habilement, qu’ils arrivèrent au moment où le faucon, pillant l’oiseau, le forçait à s’abattre et tombait sur lui.

Le roi mit pied à terre, Mme de Montespan l’imita. On était arrivé devant une chapelle isolée, cachée de gros arbres dépouillés déjà par les premiers vents de l’automne. Derrière cette chapelle était un enclos fermé par une porte de treillage.

Le faucon avait forcé la proie à tomber dans l’enclos attenant à cette petite chapelle, et le roi voulut y pénétrer pour prendre la première plume selon l’usage.

Chacun fit cercle autour du bâtiment et des haies, trop petits pour recevoir tout le monde.

D’Artagnan retint Aramis, qui voulait descendre du carrosse comme les autres, et, d’une voix brève:

– Savez-vous, Aramis, dit-il, où le hasard nous a conduits?

– Non, répondit le duc.

– C’est ici que reposent des gens que j’ai connus, dit d’Artagnan, ému par un triste souvenir.

Aramis, sans rien deviner et d’un pas tremblant, pénétra dans la chapelle par une petite porte que lui ouvrit d’Artagnan.

– Où sont-ils ensevelis? dit-il.

– Là, dans l’enclos. Il y a une croix, vous voyez, sous ce petit cyprès. Le petit cyprès est planté sur leur tombe; n’y allez pas; le roi s’y rend en ce moment, le héron y est tombé.

Aramis s’arrêta et se cacha dans l’ombre. Ils virent alors, sans être vus, la pâle figure de La Vallière, qui, oubliée dans son carrosse, avait d’abord regardé mélancoliquement à sa portière; puis, emportée par la jalousie, s’était avancée dans la chapelle, où, appuyée sur un pilier, elle contemplait dans l’enclos le roi souriant, qui faisait signe à Mme de Montespan d’approcher et de ne pas avoir peur.

Mme de Montespan s’approcha; elle prit la main que lui offrait le roi, et celui-ci, arrachant la première plume du héron que le faucon venait d’étrangler, l’attacha au chapeau de sa belle compagne.

Elle, alors, souriant à son tour, baisa tendrement la main qui lui faisait ce présent.

Le roi rougit de plaisir; il regarda Mme de Montespan avec le feu du désir et de l’amour.

– Que me donnerez-vous en échange? dit-il.

Elle cassa un des panaches du cyprès et l’offrit au roi, enivré d’espoir.

– Mais, dit tout bas Aramis à d’Artagnan, le présent est triste, car ce cyprès ombrage une tombe.

– Oui, et cette tombe est celle de Raoul de Bragelonne, dit d’Artagnan tout haut; de Raoul, qui dort sous cette croix auprès d’Athos son père.

Un gémissement retentit derrière eux. Il virent une femme tomber évanouie. Mlle de La Vallière avait tout vu, et elle venait de tout entendre.

– Pauvre femme! murmura d’Artagnan, qui aida ses femmes à la déposer dans son carrosse, à elle désormais de souffrir.

Le soir, en effet, d’Artagnan s’asseyait à la table du roi auprès de M. Colbert et de M. le duc d’Alaméda.

Le roi fut gai. Il fit mille politesses à la reine, mille tendresses à Madame, assise à sa gauche et fort triste. On se fut cru au temps calme, alors que le roi guettait dans les yeux de sa mère l’aveu ou le désaveu de ce qu’il venait de dire.

De maîtresse, à ce dîner, il n’en fut pas question. Le roi adressa deux ou trois fois la parole à Aramis, en l’appelant M. l’ambassadeur, ce qui augmenta la surprise que ressentait déjà d’Artagnan de voir son ami le rebelle si merveilleusement bien en cour.

Le roi, en se levant de table, offrit la main à la reine, et fit un signe à Colbert, dont l’œil épiait celui du maître.

Colbert prit à part d’Artagnan et Aramis. Le roi se mit à causer avec sa sœur, tandis que Monsieur, inquiet, entretenait la reine d’un air préoccupé, sans quitter sa femme et son frère du coin des yeux.

La conversation entre Aramis, d’Artagnan et Colbert roula sur des sujets indifférents. Ils parlèrent des ministres précédents; Colbert raconta Mazarin et se fit raconter Richelieu.

D’Artagnan ne pouvait revenir de voir cet homme au sourcil épais, au front bas, contenir tant de bonne science et de joyeuse humeur. Aramis s’étonnait de cette légèreté d’esprit qui permettait à un homme grave de retarder avec avantage le moment d’une conversation plus sérieuse, à laquelle personne ne faisait allusion, bien que les trois interlocuteurs en sentissent l’imminence.