– Et où l’a-t-on mené? demanda Porthos.
– Probablement à la Bastille.
– Qui vous le fait croire?
– En chemin, nous avons questionné des gens qui ont vu passer le carrosse, et d’autres encore qui l’ont vu entrer à la Bastille.
– Oh! oh! murmura Porthos, et il fit deux pas.
– Que décidez-vous? demanda Raoul.
– Moi? Rien. Seulement, je ne veux pas qu’Athos reste à la Bastille.
Raoul s’approcha du digne Porthos.
– Savez-vous que c’est par ordre du roi que l’arrestation s’est faite?
Porthos regarda le jeune homme comme pour lui dire: «Qu’est-ce que cela me fait, à moi?» Ce muet langage parut si éloquent à Raoul, qu’il n’en demanda pas davantage. Il remonta à cheval. Déjà Porthos, aidé de Grimaud, en avait fait autant.
– Dressons notre plan, dit Raoul.
– Oui, répliqua Porthos, notre plan, c’est cela, dressons-le.
Raoul poussa un grand soupir et s’arrêta soudain.
– Qu’avez-vous? demanda Porthos; une faiblesse?
– Non, l’impuissance! Avons-nous la prétention, à trois, d’aller prendre la Bastille?
– Ah! si d’Artagnan était là, répondit Porthos, je ne dis pas.
Raoul fut saisi d’admiration à la vue de cette confiance héroïque à force d’être naïve. C’étaient donc bien là ces hommes célèbres qui, à trois ou quatre, abordaient des armées ou attaquaient des châteaux! Ces hommes qui avaient épouvanté la mort, et qui survivant à tout un siècle en débris, étaient plus forts encore que les plus robustes d’entre les jeunes.
– Monsieur, dit-il à Porthos, vous venez de me faire naître une idée: il faut absolument voir M. d’Artagnan.
– Sans doute.
– Il doit être rentré chez lui, après avoir conduit mon père à la Bastille.
– Informons-nous d’abord à la Bastille, dit Grimaud, qui parlait peu, mais bien.
En effet, ils se hâtèrent d’arriver devant la forteresse. Un de ces hasards, comme Dieu les donne aux gens de grande volonté, fit que Grimaud aperçut tout à coup le carrosse qui tournait la grande porte du pont-levis. C’était au moment où d’Artagnan, comme on l’a vu, revenait de chez le roi.
En vain Raoul poussa-t-il son cheval pour joindre le carrosse et voir quelles personnes étaient dedans. Les chevaux étaient déjà arrêtés de l’autre côté de cette grande porte, qui se referma, tandis qu’un garde française en faction heurta du mousquet le nez du cheval de Raoul.
Celui-ci fit volte-face, trop heureux de savoir à quoi s’en tenir sur la présence de ce carrosse qui avait renfermé son père.
– Nous le tenons, dit Grimaud.
– En attendant un peu, nous sommes sûrs qu’il sortira, n’est-ce pas, mon ami?
– À moins que d’Artagnan aussi ne soit prisonnier répliqua Porthos; auquel cas tout est perdu.
Raoul ne répondit rien. Tout était admissible. Il donna le conseil à Grimaud de conduire les chevaux dans la petite rue Jean-Beausire, afin d’éveiller moins de soupçons, et lui-même, avec sa vue perçante, il guetta la sortie de d’Artagnan ou celle du carrosse.
C’était le bon parti. En effet, vingt minutes ne s’étaient pas écoulées, que la porte se rouvrit et que le carrosse reparut. Un éblouissement empêcha Raoul de distinguer quelles figures occupaient cette voiture. Grimaud jura qu’il avait vu deux personnes, et que son maître était une des deux. Porthos regardait tour à tour Raoul et Grimaud, espérant comprendre leur idée.
– Il est évident, dit Grimaud, que, si M. le comte est dans ce carrosse, c’est qu’on le met en liberté, ou qu’on le mène à une autre prison.
– Nous l’allons bien voir par le chemin qu’il prendra, dit Porthos.
– Si on le met en liberté, dit Grimaud, on le conduira chez lui.
– C’est vrai, dit Porthos.
– Le carrosse n’en prend pas le chemin, dit Raoul.
Et, en effet, les chevaux venaient de disparaître dans le faubourg Saint Antoine.
– Courons, dit Porthos; nous attaquerons le carrosse sur la route, et nous dirons à Athos de fuir.
– Rébellion! murmura Raoul.
Porthos lança à Raoul un second regard, digne pendant du premier. Raoul n’y répondit qu’en serrant les flancs de son cheval.
Peu d’instants après, les trois cavaliers avaient rattrapé le carrosse et le suivaient de si près, que l’haleine des chevaux humectait la caisse de la voiture.
D’Artagnan, dont les sens veillaient toujours, entendit le trot des chevaux. C’était au moment où Raoul disait à Porthos de dépasser le carrosse, pour voir quelle était la personne qui accompagnait Athos. Porthos obéit, mais il ne put rien voir; les mantelets étaient baissés.
La colère et l’impatience gagnaient Raoul. Il venait de remarquer ce mystère de la part des compagnons d’Athos, et il se décidait aux extrémités.
D’un autre côté, d’Artagnan avait parfaitement reconnu Porthos; il avait, sous le cuir des mantelets, reconnu également Raoul, et communiqué au comte le résultat de son observation. Ils voulaient voir si Raoul et Porthos pousseraient les choses au dernier degré.
Cela ne manqua pas. Raoul, le pistolet au poing, fondit sur le premier cheval du carrosse en commandant au cocher d’arrêter.
Porthos saisit le cocher et l’enleva de dessus son siège.
Grimaud tenait déjà la portière du carrosse arrêté.
Raoul ouvrit ses bras en criant:
– Monsieur le comte! monsieur le comte!
– Eh bien! c’est vous, Raoul? dit Athos ivre de joie.
– Pas mal! ajouta d’Artagnan avec un éclat de rire.
Et tous deux embrassèrent le jeune homme et Porthos, qui s’étaient emparés d’eux.
– Mon brave Porthos, excellent ami! s’écria Athos; toujours vous!
– Il a encore vingt ans! dit d’Artagnan. Bravo, Porthos!
– Dame! répondit Porthos un peu confus, nous avons cru que l’on vous arrêtait.
– Tandis que, reprit Athos, il ne s’agissait que d’une promenade dans le carrosse de M. d’Artagnan.
– Nous vous suivons depuis la Bastille, répliqua Raoul avec un ton de soupçon et de reproche.
– Où nous étions allés souper avec ce bon M. de Baisemeaux. Vous rappelez-vous Baisemeaux, Porthos?
– Pardieu! très bien.
– Et nous y avons vu Aramis.
– À la Bastille?
– À souper.
– Ah! s’écria Porthos en respirant.