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– Ah! très bien, pensa d’Artagnan; mais pourquoi Le Brun?

Aramis regardait d’Artagnan, qui avait l’air de regarder des gravures de Marc-Antoine.

– Et vous voulez lui faire faire un habit pareil à ceux des épicuriens? répondit Percerin.

Et, tout en disant cela d’une façon distraite, le digne tailleur cherchait à rattraper sa pièce de brocart.

– Un habit d’épicurien? demanda d’Artagnan d’un ton questionneur.

– Enfin, dit Aramis avec son plus charmant sourire, il est écrit que ce cher d’Artagnan saura tous nos secrets ce soir; oui, mon ami, oui. Vous avez bien entendu parler des épicuriens de M. Fouquet, n’est-ce pas?

– Sans doute. N’est-ce pas une espèce de société de poètes dont sont La Fontaine, Loret Pélisson, Molière, que sais-je? et qui tient son académie à Saint-Mandé?

– C’est cela justement. Eh bien, nous donnons un uniforme à nos poètes, et nous les enrégimentons au service du roi.

– Oh! très bien, je devine: une surprise que M. Fouquet fait au roi. Oh! soyez tranquille, si c’est là le secret de M. Le Brun, je ne le dirai pas.

– Toujours charmant, mon ami. Non, M. Le Brun n’a rien à faire de ce côté; le secret qui le concerne est bien plus important que l’autre encore!

– Alors, s’il est si important que cela, j’aime mieux ne pas le savoir, dit d’Artagnan en dessinant une fausse sortie.

– Entrez, monsieur Le Brun, entrez, dit Aramis en ouvrant de la main droite une porte latérale, et en retenant de la gauche d’Artagnan.

– Ma foi! je ne comprends plus, dit Percerin.

Aramis prit un temps, comme on dit en matière de théâtre.

– Mon cher monsieur Percerin, dit-il, vous faites cinq habits pour le roi, n’est-ce pas? Un en brocart, un en drap de chasse, un en velours, un en satin, et un en étoffe de Florence?

– Oui. Mais comment savez-vous tout cela, Monseigneur? demanda Percerin stupéfait.

– C’est tout simple, mon cher monsieur; il y aura chasse, festin, concert, promenade et réception; ces cinq étoffes sont d’étiquette.

– Vous savez tout, Monseigneur!

– Et bien d’autres choses encore, allez, murmura d’Artagnan.

– Mais, s’écria le tailleur avec triomphe, ce que vous ne savez pas, Monseigneur, tout prince de l’Église que vous êtes, ce que personne ne saura, ce que le roi seul, mademoiselle de La Vallière et moi savons, c’est la couleur des étoffes et le genre des ornements, c’est la coupe, c’est l’ensemble, c’est la tournure de tout cela!

– Eh bien, dit Aramis, voilà justement ce que je viens vous demander de me faire connaître, mon cher monsieur Percerin.

– Ah bas! s’écria le tailleur épouvanté, quoique Aramis eût prononcé les paroles que nous rapportons de sa voix la plus douce et la plus mielleuse.

La prétention parut, en y réfléchissant, si exagérée, si ridicule, si énorme à M. Percerin, qu’il rit d’abord tout bas, puis tout haut, et qu’il finit par éclater. D’Artagnan l’imita, non qu’il trouvât la chose aussi profondément risible, mais pour ne pas laisser refroidir Aramis. Celui-ci les laissa faire tous deux; puis, lorsqu’ils furent calmés:

– Au premier abord, dit-il, j’ai l’air de hasarder une absurdité, n’est-ce pas? Mais d’Artagnan, qui est la sagesse incarnée, va vous dire que je ne saurais faire autrement que de vous demander cela.

– Voyons, fit le mousquetaire attentif, et sentant avec son flair merveilleux qu’on n’avait fait qu’escarmoucher jusque-là et que le moment de la bataille approchait.

– Voyons, dit Percerin avec incrédulité.

– Pourquoi, continua Aramis, M. Fouquet donne-t-il une fête au roi? N’est-ce pas pour lui plaire?

– Assurément, fit Percerin.

D’Artagnan approuva d’un signe de tête.

– Par quelque galanterie? Par quelque bonne imagination? Par une suite de surprises pareilles à celle dont nous parlions tout à l’heure à propos de l’enrégimentation de nos épicuriens?

– À merveille!

– Eh bien, voici la surprise, mon bon ami. M. Le Brun, que voici, est un homme qui dessine très exactement.

– Oui, dit Percerin, j’ai vu des tableaux de monsieur, et j’ai remarqué que les habits étaient fort soignés. Voilà pourquoi j’ai accepté tout de suite de lui faire un vêtement, soit conforme à ceux de MM. les épicuriens, soit particulier.

– Cher monsieur, nous acceptons votre parole; plus tard, nous y aurons recours, mais pour le moment, M. Le Brun a besoin, non des habits que vous ferez pour lui, mais de ceux que vous faites pour le roi.

Percerin exécuta un bond en arrière que d’Artagnan, l’homme calme et l’appréciateur par excellence, ne trouva pas trop exagéré, tant la proposition que venait de risquer Aramis renfermait de faces étranges et horripilantes.

– Les habits du roi! Donner à qui que ce soit au monde les habits du roi?… Oh! pour le coup, monsieur l’évêque, Votre Grandeur est folle! s’écria le pauvre tailleur poussé à bout.

– Aidez-moi donc, d’Artagnan, dit Aramis de plus en plus souriant et calme, aidez-moi donc à persuader monsieur; car vous comprenez, vous, n’est-ce pas?

– Eh! eh! pas trop, je l’avoue.

– Comment! mon ami, vous ne comprenez pas que M. Fouquet veut faire au roi la surprise de trouver son portrait en arrivant à Vaux? que le portrait, dont la ressemblance sera frappante, devra être vêtu juste comme sera vêtu le roi le jour où le portrait paraîtra?

– Ah! oui, oui, s’écria le mousquetaire presque persuadé, tant la raison était plausible; oui, mon cher Aramis, vous avez raison; oui, l’idée est heureuse. Gageons qu’elle est de vous, Aramis?

– Je ne sais, répondit négligemment l’évêque; de moi ou de M. Fouquet…

Puis, interrogeant la figure de Percerin après avoir remarqué l’indécision de d’Artagnan:

– Eh bien, monsieur Percerin, demanda-t-il, qu’en dites-vous? Voyons.

– Je dis que…

– Que vous êtes libre de refuser, sans doute, je le sais bien, et je ne compte nullement vous forcer, mon cher monsieur; je dirai plus, je comprends même toute la délicatesse que vous mettez à n’aller pas au-devant de l’idée de M. Fouquet: vous redoutez de paraître aduler le roi. Noblesse de cœur, monsieur Percerin! noblesse de cœur!

Le tailleur balbutia.

– Ce serait, en effet, une bien belle flatterie à faire au jeune prince, continua Aramis. «Mais, m’a dit M. le surintendant, si Percerin refuse, dites-lui que cela ne lui fait aucun tort dans mon esprit, et que je l’estime toujours. Seulement…»