— L’entropie est une vacherie, dit Alan. Nous avons des théories permettant de surmonter celle-là.
— En tout cas, il y a une preuve qui suggère qu’ils nous amélioreront de toute façon, affirmai-je.
— Dis-moi vite, insista Harry. La théorie de Tom sur la plus vieille armée de la Galaxie me coupe l’appétit.
— C’est simple. S’ils étaient incapables de réparer nos organismes, ils ne nous donneraient pas un régime aussi chargé de graisses, qui risque de tuer la majorité d’entre nous d’ici un mois.
— Tout à fait exact, approuva Susan. Tu marques un grand point, là, John. Je me sens déjà mieux.
— Merci, dis-je. Et, fort de cette preuve, je fais tellement confiance à la capacité des Forces de défense coloniale de soigner tous mes maux que je retourne me servir.
— Prends-moi des crêpes pendant que tu y es, demanda Thomas.
— Hé, Léon, dis-je en secouant son corps flasque. Lève-toi. Ce n’est plus l’heure de roupiller. Tu as un rendez-vous à huit heures.
Léon gisait sur son lit comme une masse. Je levai les yeux au ciel, soupirai et me penchai pour le secouer un peu plus fort. Je remarquai alors que ses lèvres étaient bleues.
Oh, merde, pensai-je en le secouant de plus belle. Rien. Je le saisis par le buste et le tirai de sa couchette pour l’étendre par terre. C’était comme déplacer un poids mort.
Je pris mon APD et demandai une aide médicale. Puis je me mis à genoux au-dessus de lui, lui soufflai dans la bouche, effectuai un massage cardiaque jusqu’à ce que deux infirmiers coloniaux arrivent et m’écartent de lui.
À ce moment-là, une petite foule s’était réunie devant la porte ouverte. J’avisai Jesse et la rejoignis pour la faire entrer. Quand elle vit Léon par terre, elle plaqua la main sur sa bouche. Je la serrai aussitôt dans mes bras.
— Comment va-t-il ? demandai-je à l’un des coloniaux qui consultait son APD.
— Il est mort. Il est mort depuis une heure environ. On dirait une attaque cardiaque. (Il reposa son APD, se leva et baissa les yeux sur Léon.) Pauvre bougre. Aller aussi loin pour voir son palpitant tomber en panne.
— Un volontaire de dernière minute pour les Brigades fantômes, fit l’autre colonial.
Je le fusillai du regard. Plaisanter en un moment pareil était de fort mauvais goût.
Quatre
— OK, voyons ça, dit le médecin en jetant un coup d’œil à son APD assez volumineux lorsque j’entrai dans son bureau. Vous êtes John Perry, exact ?
— Exact.
— Docteur Russell. (Il me regarda enfin.) On dirait que votre chien vient de mourir.
— Mon compagnon de cabine, à vrai dire.
— Ah oui, dit-il en consultant de nouveau son APD. Léon Deak. Je devais m’occuper de lui juste après vous. Mauvais timing. Eh bien, rayons ça de l’agenda.
Il tapota l’écran de l’APD pendant quelques secondes puis eut un sourire pincé. Les manières du Dr Russell avec les patients laissaient quelque peu à désirer.
— Maintenant, déclara-t-il en reportant son attention sur moi, permettez que nous vous examinions.
Le bureau comprenait le Dr Russell, moi, un fauteuil pour le médecin, une petite table et deux sarcophages. Ceux-ci présentaient les contours du corps humain, et chacun avait une porte transparente incurvée qui se refermait comme un toit. À leur sommet était installé un bras articulé, avec une sorte de gros bol fixé à son extrémité. Le « bol » paraissait juste assez large pour coiffer une tête humaine. Ce dispositif me rendait, pour être franc, un brin nerveux.
— S’il vous plaît, allez-y et mettez-vous à l’aise, puis nous commencerons, dit le médecin en ouvrant la porte de la crèche à côté de moi.
— Est-ce qu’il faut que je retire tout ?
D’après mes souvenirs, un examen médical se déroulait à même le corps.
— Non. Mais si ça vous rend plus à l’aise, retirez tout.
— Est-ce que les gens se déshabillent quand ce n’est pas nécessaire ?
— Absolument. Si on leur a dit depuis toujours de faire une chose de telle ou telle façon, l’habitude est dure à perdre.
Je gardai mes sapes. Je posai mon APD sur la table, rejoignis la crèche, me tournai, me penchai en arrière et glissai à l’intérieur.
— Attendez une seconde que je règle la crèche, dit le médecin en tapotant son APD.
Je sentis la dépression de forme humaine se modifier et s’adapter à mes dimensions.
— Ça donne la chair de poule, observai-je.
Le Dr Russell sourit.
— Vous allez maintenant sentir de légères vibrations. C’était exact. La crèche bourdonnait doucement sous moi.
— Dites-moi, ceux qui m’ont précédé dans la salle d’attente, où sont-ils ensuite allés ?
— Par cette porte-là. (Il agita la main derrière lui sans lever les yeux de son APD.) C’est la salle de récupération.
— La salle de récupération ?
— Ne vous inquiétez pas. Je vous ai présenté l’examen sous un jour pire qu’il ne l’est. En fait, je ne procède qu’à votre scanner.
Il tapota de nouveau son APD et les vibrations cessèrent.
— Qu’est-ce que je fais maintenant ?
— La médecine moderne est merveilleuse, n’est-ce pas ? (Il me montra l’écran de l’APD qui était en train de télécharger un résumé de mon scanner.) Vous n’avez même pas besoin de faire « aaaaaah ».
— D’accord, mais le scanner, il est détaillé ?
— Assez détaillé. Monsieur Perry, quand avez-vous passé votre dernier examen médical ?
— Il y a six mois environ.
— Quel était le diagnostic de votre médecin ?
— Il a dit que j’étais en bonne forme, excepté ma tension un peu supérieure à la normale. Pourquoi ?
— Eh bien, dans l’ensemble, il avait raison. N’empêche qu’il n’a pas remarqué le cancer des testicules.
— Pardon ?
Le Dr Russell orienta de nouveau l’écran de l’APD vers moi. Cette fois était affichée une représentation en fausses couleurs de mes organes génitaux. C’était la première fois que je voyais mes bijoux de famille se balancer sous mon nez.
— Ici, dit-il en désignant un point sombre sur mon testicule gauche. C’est le nodule. Un sacré vorace. C’est un cancer, aucun doute.
Je jetai un regard noir au toubib.
— Vous savez, docteur Russell, la plupart des médecins auraient trouvé une façon plus délicate d’annoncer cette nouvelle.
— Je suis désolé, monsieur Perry. Je ne voudrais pas avoir l’air indifférent. Mais ce n’est vraiment pas un problème. Même sur Terre, ce type de cancer se soigne facilement, surtout à un stade précoce, comme c’est le cas ici. Au pire, vous perdriez votre testicule, mais ce n’est pas un handicap majeur.
— Sauf si vous en êtes le propriétaire, grommelai-je.
— C’est davantage un problème psychologique. En tout cas, pour le moment, je ne veux pas que vous vous en inquiétiez. Dans deux jours, vous subirez une révision médicale complète et nous nous occuperons alors de votre testicule. D’ici là, il ne devrait y avoir aucun problème. Le cancer est encore localisé. Il ne s’est pas étendu aux poumons ni aux ganglions lymphatiques. Vous êtes en bonne santé.
— Vais-je devoir abandonner ma couille ?
Le Dr Russell sourit.
— Pour l’instant, vous pouvez la garder. Si vous devez l’abandonner, je pense que ce sera le cadet de vos soucis. Maintenant, à part le cancer, qui n’est pas vraiment problématique comme je vous l’ai dit, vous avez la meilleure forme qu’un homme de votre âge puisse espérer. C’est une bonne nouvelle. Nous n’avons rien d’autre à vous faire pour le moment.