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— Que feriez-vous si vous aviez trouvé quelque chose de réellement grave ? Je veux dire si le cancer était en phase terminale ?

— « Terminale » est un terme très imprécis, monsieur Perry. À long terme, nous atteindrons tous la phase terminale. Pour cet examen, notre objectif est de stabiliser toutes les recrues en danger imminent, afin de nous assurer qu’elles tiendront encore le coup dans les quelques jours qui suivent. Le cas de votre infortuné compagnon de cabine, monsieur Deak, n’est pas exceptionnel. Nous avons beaucoup de recrues qui arrivent jusque-là pour mourir avant leur évaluation. Ce n’est bon pour personne.

Le Dr Russell consulta son APD.

— Maintenant, dans le cas de monsieur Deak, qui est décédé d’une attaque cardiaque, ce que nous aurions sans doute dû faire, c’est réduire l’accumulation de la plaque d’athérome sur ses artères et lui fournir un composé renforçant les parois artérielles pour prévenir toute rupture. C’est notre traitement le plus commun. La majorité des artères de soixante-quinze ans peuvent tirer profit d’une stimulation. Dans votre cas, si vous aviez eu un cancer à un stade avancé, nous aurions taillé les tumeurs de façon à ce qu’elles ne présentent plus de menace imminente pour vos fonctions vitales et étayé les régions affectées afin de nous assurer que vous n’ayez pas de problèmes dans les jours à venir.

— Pourquoi ne pas le soigner ? Si vous pouvez « étayer » une région affectée, tout porte à croire que vous avez les moyens de la rafistoler complètement si vous le voulez.

— En effet, mais ce n’est pas nécessaire. Vous allez subir une révision plus approfondie dans deux jours. Ce qu’il nous faut, c’est vous avoir en état de marche.

— Et que signifie une « révision approfondie » ?

— Cela signifie qu’une fois la révision effectuée vous vous demanderez pourquoi vous vous êtes inquiété d’un nodule cancérigène sur votre testicule. C’est une promesse… Il nous reste encore une chose à faire. Avancez votre tête, s’il vous plaît.

J’obtempérai. Le Dr Russell plaça le bol redouté sur ma tête.

— Pendant les deux prochains jours, il est important pour nous d’obtenir une bonne image de votre activité cérébrale, expliqua-t-il en reculant. À cette fin, je vais implanter une batterie de senseurs dans votre crâne.

Tout en disant cela, il avait tapoté l’écran de son APD, un geste dont j’avais appris à me méfier. Il y eut un léger bruit de succion quand le bol adhéra à mon crâne.

— Comment faites-vous ça ? demandai-je.

— Eh bien, maintenant, vous sentez probablement un léger picotement sur votre crâne et le long de votre nuque. (C’était exact.) Ce sont les injecteurs qui se placent d’eux-mêmes. Les senseurs proprement dits sont très petits, mais il y en a beaucoup. Vingt mille, plus ou moins. Ne vous inquiétez pas, ils sont autostérilisants.

— Ça va faire mal ?

— Pas tant que ça.

Il tapa sur son écran APD. Vingt mille microsenseurs s’enfoncèrent dans mon crâne comme quatre haches le fracassant simultanément.

— Bon Dieu ! (Je pris ma tête à deux mains, me cognant contre la porte de la crèche sans le faire exprès.) Espèce de salaud ! hurlai-je. Vous aviez dit que ça ne ferait pas mal.

— J’ai dit « pas tant que ça », rappela le Dr Russell.

— Pas tant que quoi ? Que d’avoir un éléphant qui marche sur votre tête ?

— Pas tant que lorsque les senseurs se connecteront les uns aux autres. La bonne nouvelle, c’est que, sitôt connectés, la douleur cessera. Maintenant, ne bougez plus, cela ne prendra qu’une minute.

Il tapota de nouveau son écran. Quatre-vingt mille aiguilles transpercèrent mon crâne dans toutes les directions. Jamais de ma vie je n’eus aussi envie de tabasser un médecin.

— Je ne sais pas, disait Harry. Je pense que c’est une observation intéressante.

Sur ce, il se frotta la tête qui, comme toutes les nôtres, était d’un gris poussiéreux à l’endroit où vingt mille senseurs sous-cutanés étaient implantés pour mesurer notre activité cérébrale.

L’équipe du petit-déjeuner s’était retrouvée pour le déjeuner, cette fois avec aussi Jesse et sa compagne de cabine Maggie. Harry avait déclaré que nous formions dorénavant un clan officiel, l’avait étiqueté « les Vieux Cons » et nous avait demandé de nous lancer dans une bonne bagarre avec la table voisine. Nous avions voté contre, surtout grâce à Thomas, qui avait fait remarquer que nous ne pourrions manger la manne jetée et que ce repas était encore meilleur que le petit-déjeuner, aussi incroyable que ce fût.

— Et ce déjeuner tombe à point, dit Thomas. Après les petites injections cérébrales de ce matin, j’étais presque trop écœuré pour pouvoir manger.

— J’ai du mal à le croire, observa Susan.

— Remarque, j’ai dit « presque ». Mais tu sais quoi ? J’aurais aimé disposer d’une de ces crèches dans mon cabinet sur Terre. Elle aurait réduit la durée de mes consultations de quatre-vingts pour cent. Davantage de temps pour jouer au golf.

— Ton dévouement pour tes patients était admirable, commenta Jesse.

— Je t’en fiche, rétorqua Thomas. Je jouais au golf avec presque tous mes patients. Ils auraient tous voulu jouer. Et, quoiqu’il m’en coûte de le dire, cette machine a aidé mon médecin à faire un diagnostic bien meilleur que je n’aurais jamais pu en espérer. Ce truc est le rêve du diagnosticien. Il a repéré une tumeur microscopique sur mon pancréas. Impossible de la détecter au pays tant qu’elle n’aurait pas été beaucoup plus grosse ou qu’un patient n’ait commencé à manifester des symptômes. Quelqu’un d’autre a-t-il eu une surprise ?

— Cancer des poumons, dit Harry. De petites taches.

— Kystes ovariens, ajouta Jesse.

Maggie renchérit.

— Arthrite rhumatoïde naissante, dit Alan.

— Cancer du testicule, annonçai-je.

Tous les hommes autour de la table sourcillèrent.

— Ouille, fit Thomas.

— On m’a dit que je vivrai.

— Oui, mais tu vas marcher penché, intervint Susan.

— Suffit avec ça !

— Ce que je ne comprends pas, dit Jesse, c’est pourquoi ils ne règlent pas les problèmes. Mon médecin m’a montré un kyste de la taille d’une boule de chewing-gum mais m’a dit de ne pas m’en inquiéter. Je n’aurai jamais assez de cran pour ne pas m’inquiéter de ce truc.

— Thomas, tu es en principe médecin, dit Susan en tapotant ses sourcils grisonnants. À quoi servent ces petites saloperies ? Pourquoi ne pas simplement nous faire passer un scanner cérébral ?

— Si je devais le deviner, ce qui est le cas puisque je n’ai pas le moindre indice, je dirais qu’ils veulent observer notre cerveau en activité pendant notre formation. Mais ils ne peuvent l’observer en nous laissant attachés à la machine. Alors, à la place, ils nous l’ont attachée dessus.

— Merci pour cette explication lumineuse que j’avais déjà trouvée par moi-même, ironisa Susan. Ce que je demande, c’est le but de cette mesure.

— Je l’ignore, répondit Thomas. Peut-être qu’après tout ils nous préparent à recevoir un nouveau cerveau. Ou bien ils ont un moyen quelconque d’ajouter de nouveaux matériaux cérébraux, et ils ont besoin de connaître les zones de nos cerveaux qu’il faut stimuler. J’espère seulement qu’ils n’auront pas besoin d’implanter une nouvelle collection de ces maudits senseurs. La douleur a failli me tuer dès la première.

— À propos, intervint Alan en se tournant vers moi, j’ai appris que tu avais perdu ton compagnon de cabine. Ça va ?