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— Il est vert !

— Vous êtes vert, rectifia le Dr Russell. Ou le serez dans cinq minutes. C’est là le premier « comment ». Voici le second : « Comment vous allez me faire entrer là-dedans ? » (Il désigna mon fantôme à la peau verte.) Et la réponse est que nous allons transférer votre conscience.

— Comment ça ?

— Nous prenons la représentation de l’activité cérébrale tracée par votre batterie de senseurs et l’envoyons – et vous aussi – là-dedans. Nous avons rassemblé l’information de vos schémas neuraux collectés pendant les deux derniers jours et l’avons utilisée pour préparer votre nouveau cerveau à recevoir votre conscience. Ainsi, lorsque le transfert sera effectué, vous ne serez pas du tout dépaysé. Je vous donne la version simplifiée de la procédure, naturellement. C’est bien plus compliqué. Mais, pour le moment, cela suffira. Maintenant, permettez qu’on vous connecte.

Le Dr Russell s’employa à manœuvrer le bras de la crèche au-dessus de mon crâne. J’écartai la tête et il s’arrêta.

— Monsieur Perry, cette fois, nous n’enfonçons rien dans votre crâne. La capsule injectrice a été remplacée par un amplificateur de signal. Vous n’avez aucune raison de vous inquiéter.

— Désolé, dis-je en remettant ma tête en place.

— Ne vous excusez pas, dit-il en me coiffant de la capsule. Vous réagissez mieux que la majorité des recrues. Le gars qui vous précédait a piaillé comme un porc et il est tombé dans les pommes. Nous avons dû le transférer inconscient. Il va se réveiller jeune et vert, et très, très perturbé. Croyez-moi, vous êtes de la crème.

Je souris et jetai un coup d’œil au corps qui allait d’ici peu être le mien.

— Où est sa capsule ? demandai-je.

— Il n’en a pas besoin, répondit le Dr Russell en commençant à tapoter son APD. Comme je l’ai dit, ce corps a été considérablement modifié.

— Ça ne présage rien de bon, à mon avis.

— Vous aurez une impression différente une fois à l’intérieur. (Le médecin cessa de jouer avec son APD et se retourna vers moi.) Bien, nous sommes prêts. Permettez-moi de vous expliquer ce qui va se passer.

— Je vous en prie.

Il orienta son APD vers moi.

— Quand j’appuierai sur ce bouton (il me montra un bouton sur l’écran), votre batterie de senseurs commencera de transmettre votre activité cérébrale dans l’amplificateur. Sitôt cette activité cérébrale suffisamment cartographiée, je connecterai cette crèche à une banque de données informatiques spécialisées. En même temps, une connexion similaire sera ouverte dans votre nouveau cerveau, là. Quand les connexions seront établies, nous diffuserons votre conscience dans son nouvel environnement. Lorsque l’activité cérébrale s’enclenchera dans ce nouveau cerveau, nous couperons la connexion, et, hop, vous voilà dans votre nouveau corps et son nouveau cerveau. Des questions ?

— Est-ce que cette procédure échoue parfois ?

— Je m’attendais à cette question. La réponse est oui. En de rares occasions, il peut se produire un pépin. Cependant, c’est extrêmement rare. J’effectue cette opération depuis vingt ans – des centaines de transferts – et je n’ai perdu qu’une fois quelqu’un. Une femme a eu une grave attaque cérébrale pendant le processus de transfert. Ses schémas cérébraux sont devenus chaotiques et la conscience ne s’est pas transférée. Tous les autres ont franchi le pas sans accroc.

— Donc, tant que je ne meurs pas, je vivrai.

— Intéressante façon de l’exprimer. Mais, oui, c’est à peu près ça.

— Comment savez-vous que la conscience a été transférée ?

— Nous le saurons par ici (il tapota le côté de son APD) et nous le saurons parce que vous nous le direz. Croyez-moi, lorsque vous aurez effectué le transfert, vous le saurez.

— Comment le savez-vous vous-même ? Vous l’avez fait ? Vous avez été transféré ? Le Dr Russell sourit.

— Oui, à vrai dire. Deux fois.

— Mais vous n’êtes pas vert.

— C’est à cause du second transfert. On n’est pas obligé de rester vert toute sa vie, expliqua-t-il, comme nostalgique soudain. (Puis il cligna des paupières et consulta de nouveau son APD.) Je crains que nous ne devions en finir avec les questions, monsieur Perry, car j’ai plusieurs recrues à transférer après vous. Êtes-vous prêt à commencer ?

— Bon Dieu, non, je ne suis pas prêt. J’ai une telle trouille que mes boyaux sont sur le point de lâcher.

— Permettez-moi de le reformuler. Êtes-vous prêt à en finir ?

— Oui, Seigneur !

— Alors on y va, conclut le Dr Russell en tapotant l’écran de son APD.

La crèche retentit d’un léger cling, comme si un objet se mettait en marche à l’intérieur. Je jetai un coup d’œil au médecin.

— L’amplificateur, précisa-t-il. Cette première étape prendra une minute environ.

Je grommelai en réponse et observai mon nouveau moi. Il était niché dans la crèche, immobile, comme un personnage de cire qu’on aurait barbouillé de vert pendant le moulage. Il ressemblait à ce que j’avais été il y a longtemps ; en mieux, pour être honnête. Je n’avais pas été le jeune homme le plus athlétique de mon quartier. Cette version de moi avait l’air musclée comme un nageur de compétition. Et elle avait une grande tête couverte de cheveux.

Impossible de m’imaginer là-dedans.

— Résolution maximale, annonça le Dr Russell. Ouverture des connexions.

Il tapota son APD. Il y eut une légère secousse, puis, tout à coup, j’eus l’impression qu’il y avait dans mon cerveau une grande salle pleine d’échos.

— Waouh !

— Chambre d’écho ? demanda le médecin. (J’acquiesçai.) C’est la banque informatique. Votre conscience est en train de percevoir le petit décalage temporel entre ici et là. Pas de quoi se faire de la bile… Bien, ouverture de la connexion entre le nouveau corps et la banque informatique.

Un autre léger coup sur l’APD. À l’autre bout de la salle, mon double tout neuf ouvrit les yeux.

— C’est moi qui ai fait ça, observa le Dr Russell.

— Il a des yeux de chat !

— Vous avez des yeux de chat. Les deux connexions sont claires et sans friture. Je vais maintenant commencer le transfert. Vous allez vous sentir un peu désorienté.

Un petit coup sur l’APD…

… et je tombai

en baaaaaaaaaaaas

(et j’eus l’impression d’être écrasé à travers un hamac à fines mailles)

et tous les souvenirs de ma vie me sautèrent à la figure comme un immense mur de briques

un flash net de moi-même devant l’autel

observant Kathy qui remonte l’allée

regardant s’empêtrer son pied dans le bas de sa robe

un petit trébuchement

puis elle se rétablit magnifiquement

me sourit comme pour dire

ce n’est pas ça qui va m’arrêter

* un autre flash de Kathy où diable j’ai rangé la vanille, puis le fracas du bol qui tombe sur le carrelage de la cuisine.

(Bon Dieu, Kathy.)

Puis de nouveau je suis moi-même, en train d’observer la salle du Dr Russell, pris de vertige et les yeux fixés sur le visage du médecin en même temps que sur sa nuque, en train de penser « Fichtre, c’est un tour de magie épatant », et j’ai l’impression de formuler cette pensée en stéréo.

Tout à coup, un trait de lumière. Je me trouve à deux endroits en même temps.

Je souris, et qu’est-ce que je vois ? Le vieux moi-même et le nouveau sourire simultanément.