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— Mais vous n’auriez pas pu vous engager ensemble. Sauf si vous étiez du même âge.

— Elle avait un an de moins que moi. Et je le lui ai fait remarquer. Je lui ai dit que, si je m’engageais dans l’armée, je serais officiellement décédé, que nous ne serions plus mariés et que nous n’aurions aucune certitude de nous revoir.

— Et qu’est-ce qu’elle a dit ?

— Que c’étaient des détails sans importance. Elle me retrouverait et m’entraînerait devant l’autel comme elle l’avait déjà fait. Et elle l’aurait fait, tu sais. Elle pouvait se changer en tigresse quand elle voulait.

Jesse se releva sur un coude pour me regarder.

— John, je suis désolée qu’elle ne soit pas ici, avec toi.

Je souris.

— Ce n’est rien. Ma femme me manque de temps en temps, voilà tout.

— Je comprends. Mon mari me manque aussi.

Je lui jetai un coup d’œil.

— Je croyais qu’il t’avait laissée tomber pour une femme plus jeune puis qu’il était mort d’une intoxication alimentaire.

— C’est vrai. Et il a mérité de vomir tripes et boyaux. Ce n’est pas l’homme qui me manque en réalité. Ce qui me manque, c’est un mari. C’est agréable d’avoir un compagnon attitré. C’est agréable d’être mariée.

— C’est agréable d’être marié, en effet.

Jesse se nicha contre moi et étendit un bras sur ma poitrine.

— Mais ça aussi, c’est agréable. Il y avait longtemps que je ne l’avais pas fait.

— Te coucher par terre ?

À son tour, elle me donna une tape sur la tête.

— Non. Eh bien… oui, d’ailleurs. Mais, plus précisément, être allongée après l’amour. Ou faire l’amour, en l’occurrence. Tu n’as certainement pas envie de savoir depuis quand ça ne m’était pas arrivé.

— Bien sûr que si.

— Salaud… Huit ans.

— Rien d’étonnant que tu m’aies sauté dessus à l’instant où tu m’as vu.

— Tu as raison. Et tu étais très bien placé, de plus.

— Avoir la bonne place, c’est essentiel, c’est ce que ma mère me répétait.

— Tu avais une drôle de mère. Yo, sale garce, quelle heure est-il ?

— Quoi ?

— Je parle à la voix dans ma tête.

— Joli nom que tu lui as trouvé.

— Et le tien ?

— Fumier.

Jesse approuva du chef.

— Pas mal… Eh bien, la sale garce m’annonce qu’il est juste un peu plus de 1600. Nous avons deux heures avant le souper. Tu sais ce que ça signifie ?

— J’hésite. Je crois que quatre fois est ma limite, même jeune et suramélioré.

— Ne te fais pas de mouron. Ça signifie que nous avons juste le temps de faire une sieste.

— Il faut que je prenne la couverture ?

— Ne sois pas idiot. Ce n’est pas parce que j’ai fait l’amour sur le tapis que je veux dormir dessus. Tu as une couchette de libre. Je vais m’y installer.

— Donc il va falloir que je fasse la sieste tout seul ?

— Je te récompenserai. Rappelle-le-moi quand je me réveillerai. Je le fis.

Elle le fit.

— Bon Dieu, disait Thomas tout en s’asseyant à la table avec un plateau si chargé de victuailles que c’était un miracle qu’il arrive à le tenir. Il n’y a pas de mots pour décrire notre beauté.

Il avait raison. Les Vieux Cons s’étaient bonifiés d’une façon spectaculaire. Thomas, Harry et Alan auraient tous pu se prétendre mannequins. Des quatre, j’étais sans conteste le vilain petit canard, et pourtant j’étais… eh bien, j’étais beau. Quant aux femmes, Jesse était stupéfiante, Susan encore plus, et Maggie avait franchement l’air d’une déesse. Cela faisait mal de la regarder.

Cela faisait mal de tous nous dévisager. Mal dans son sens positif, vertigineux. Nous passâmes quelques minutes à nous contempler les uns les autres. Et il n’y avait pas que nous. Promenant un regard dans la salle, je ne pus trouver personne de laid. C’était agréablement troublant.

— C’est impossible, me déclara soudain Harry. J’ai observé la salle, moi aussi. Il est impensable que tous ceux qui se trouvent dans ce mess soient aussi beaux que lorsqu’ils avaient vingt ans.

— Parle pour toi, Harry, dit Thomas. En fait, je crois même que je suis un tantinet moins séduisant que du temps de ma verte jeunesse.

— Maintenant tu as en prime la couleur de ta verte jeunesse, fit remarquer Harry. Et même si nous exemptons Thomas le Dubitatif…

— Je vais courir jusqu’à un miroir en pleurant, dit celui-ci.

— Il est impossible que nous soyons tous dans le même panier. Je vous garantis que je n’étais pas aussi beau à vingt ans. J’avais la figure couverte d’acné. Et la calvitie naissante.

— Arrêtez, trancha Susan. Ça m’excite.

— Et moi, j’essaye de manger, renchérit Thomas.

— Maintenant, je peux en rire parce que je suis devenu comme ça, poursuivit Harry en se passant la main dessus comme pour présenter le modèle de l’année. Mais le nouveau bonhomme n’a guère de ressemblance avec l’ancien, je vous le garantis.

— On dirait que ça t’ennuie, dit Alan.

— Un peu, en effet, admit Harry. Je vais faire avec. Mais quand on m’offre un cheval, je lui regarde les dents. Pourquoi sommes-nous aussi beaux ?

— Des gènes de beauté, dit Alan.

— Bien sûr, fit Harry. Mais de qui ? Les nôtres ? Ou de quelque chose qu’ils ont extrait d’un labo quelque part ?

— Nous sommes tous en excellente forme maintenant, intervint Jesse. Je disais justement à John que cet organisme se trouve dans une forme bien meilleure que mon vrai corps ne l’a jamais été.

Maggie prit la parole tout à trac.

— Moi aussi, je parle comme ça. Je dis « mon vrai corps » quand je parle de l’ancien, comme si le nouveau n’était pas encore vraiment réel pour moi.

— C’est vrai, petite sœur, dit Susan. Tu n’as pas encore osé faire pipi avec. Je le sais.

— Et ça, de la bouche de la femme qui est venue me critiquer pour avoir parlé de mon intimité, observa Thomas.

— Mon point de vue, parce que j’en ai un, déclara Jesse, est que, s’ils ont tonifié notre corps, ils ont aussi pris le temps de tonifier le restant de notre personne.

— D’accord, dit Harry. Mais ça ne nous explique toujours pas pourquoi ils l’ont fait.

— Pour qu’on se lie d’amitié, intervint Maggie. Tous les regards se portèrent sur elle.

— Tiens, tiens, regardez qui sort de sa coquille.

— Pince-moi, Susan, dit Maggie. (Susan sourit.) Écoutez, que nous soyons enclins à apprécier les gens que nous trouvons attirants fait partie de la psychologie humaine élémentaire. De surcroît, nous sommes tous dans cette salle, même les Vieux Cons, des étrangers les uns pour les autres, sans guère de liens, voire aucun, qui nous permettent de nous rapprocher en peu de temps. Nous rendre tous beaux aux yeux de chacun est une façon de promouvoir des liens affectifs, ou ça le sera dès que nous aurons commencé notre entraînement.

— Je ne vois pas comment ça renforce l’armée si on passe notre temps au combat à se faire de l’œil, dit Thomas.

— Il ne s’agit pas de ça, rectifia Maggie. L’attirance sexuelle n’est ici qu’un paramètre secondaire. Il s’agit d’instiller rapidement confiance et dévouement. D’instinct, les gens font confiance à ceux qu’ils trouvent attirants et ils sont prêts à les aider, indépendamment du désir sexuel. C’est pourquoi les présentateurs du JT sont toujours attirants. C’est pourquoi les élèves attirants n’ont pas autant d’efforts à faire à l’école.