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— Mais aujourd’hui nous sommes tous attirants, dis-je. Au pays de l’attirance extrême, ceux qui ne sont que charmants risquent d’avoir des problèmes.

— Et même encore maintenant, certains d’entre nous sont mieux que les autres, renchérit Thomas. Chaque fois que je regarde Maggie, j’ai l’impression qu’on me coupe l’oxygène. Soit dit sans t’offenser, Maggie.

— Y a pas de mal. Le principal n’est pas ce que nous sommes à présent, de toute façon. C’est à quoi nous ressemblions avant. À court terme, c’est cette différence frappante qui nous servira de base de réflexion. À cet égard, ils n’attendent d’ailleurs qu’un avantage à court terme.

— Alors, comme ça, tu ne te sens pas privé d’oxygène quand tu me regardes, lança Susan à Thomas.

— Ce n’était pas une insulte, tant s’en faut.

— Je m’en souviendrai quand je t’étranglerai. Du manque d’oxygène.

— Arrêtez de flirter tous les deux, dit Alan en reportant son attention sur Maggie. Je crois que tu as raison au sujet de l’attirance, mais je crois aussi que tu as oublié la seule personne envers qui nous sommes censés ressentir la plus grande attirance : nous-mêmes. Pour le meilleur et pour le pire, ces corps dans lesquels nous sommes nous sont encore étrangers. Entre ma couleur verte et la présence d’un ordinateur nommé Grosse Merde dans ma tête… (Il se tut et nous regarda.) Comment avez-vous appelé vos Amicerveaux ?

— Fumier, dis-je.

— Sale garce, dit Jesse.

— Crétin, dit Thomas.

— Tête de nœud, dit Harry.

— Satan, dit Maggie.

— Chéri, dit Susan. Apparemment, je suis la seule qui aime bien son Amicerveau.

— Plus probablement tu étais la seule à ne pas te sentir troublée par l’arrivée soudaine d’une voix dans ton crâne, avança Alan. Mais voici mon point de vue. Rajeunir brusquement et subir des changements physiques radicaux exerce une grande pression sur la psyché. Même si nous sommes heureux d’être redevenus jeunes – et je sais que je le suis –, nous restons éloignés de notre nouvelle identité. Nous rendre beaux à nos propres yeux est un moyen de nous aider à nous y installer.

— Nous avons affaire à des gens sacrément habiles, déclara Harry sur un ton tranchant de mauvais augure.

— Allez, Harry, souris donc, dit Jesse en lui décochant un petit coup de coude. Tu es la seule personne à ma connaissance qui transformerait la jeunesse et la séduction en une obscure conspiration.

— Parce que tu me trouves séduisant ?

— Tu es magnifique, mon cœur, dit-elle en battant exagérément des cils. Harry se fendit d’un sourire béat.

— C’est la première fois en ce siècle que quelqu’un me dit ça. OK, je suis vendu.

Le militaire qui se tenait sur l’estrade de la salle de cinéma pleine de recrues était un vétéran qui avait connu la guerre. Nos Amicerveaux nous avaient informés qu’il appartenait aux Forces de défense coloniale depuis quatorze ans et avait participé à plusieurs batailles dont les noms n’évoquaient rien pour nous maintenant mais prendraient de la valeur plus tard. Cet homme était allé sur des planètes nouvelles, il avait rencontré de nouvelles espèces et les avait exterminées à vue. On lui aurait donné vingt-trois ans tout au plus.

— Bonsoir, recrues, commença-t-il sitôt que nous fûmes tous assis. Je suis le lieutenant-colonel Bryan Higgee et, jusqu’à la fin de la traversée, je serai votre officier commandant. Sur le plan pratique, cela ne signifie pas grand-chose car, d’ici notre arrivée sur Bêta Pyxis III, dans une semaine, vous n’aurez qu’un seul ordre à respecter. Toutefois, il n’est pas inutile de vous rappeler qu’à partir d’aujourd’hui vous êtes soumis aux règles et règlements des Forces de défense coloniale. Vous avez désormais vos nouvelles enveloppes charnelles et avec elles viendront de nouvelles responsabilités.

» Vous vous posez sans doute des questions au sujet de ces nouveaux corps : ce qu’ils peuvent faire, quelles tensions ils peuvent endurer et comment vous pouvez les utiliser dans l’armée des FDC. À toutes ces questions vous obtiendrez les réponses quand vous commencerez votre entraînement sur Bêta Pyxis III. Pour l’heure, notre principal objectif est simplement que vous vous sentiez à l’aise dans vos nouvelles peaux.

» En conséquence, pour le restant de votre voyage, l’ordre est le suivant : amusez-vous.

Cette déclaration déclencha un murmure et quelques rires épars dans les rangs. L’idée que s’amuser était un ordre heurtait de façon cocasse l’intuition. Le lieutenant-colonel afficha un sourire sans joie.

— Je comprends que cela semble un ordre paradoxal. Quoi qu’il en soit, vous amuser sera pour vous le meilleur moyen de vous habituer à vos nouvelles capacités. Dès le début de votre entraînement, il sera exigé de vous une performance maximale. Il n’y aura pas de « rattrapage ». Pas le temps pour ça. L’univers est dangereux. Votre entraînement sera bref et difficile. Nous ne pouvons pas nous permettre que vous soyez mal à l’aise dans votre corps.

» Recrues, considérez la semaine prochaine comme un pont entre votre ancienne et votre nouvelle vie. Pendant cette période, que vous trouverez en fin de compte bien trop brève, servez-vous de ces nouveaux corps, conçus à un usage militaire, pour savourer les plaisirs que vous savouriez en tant que civils. Vous découvrirez que le Henry Hudson dispose de tous les loisirs et activités que vous aimiez sur Terre. Utilisez-les. Profitez-en. Habituez-vous à vivre avec vos corps tout neufs. Découvrez leurs potentialités et cherchez à connaître leurs limites.

» Mesdames et messieurs, nous nous rencontrerons encore une fois pour un dernier briefing avant que commence votre entraînement. D’ici là, amusez-vous. Je n’exagère pas en vous le disant : si la vie dans les Forces de défense coloniale a ses récompenses, c’est peut-être la dernière fois que vous aurez l’occasion de jouir avec une totale insouciance de vos nouveaux corps. Je vous conseille d’en profiter avec sagesse. Je vous conseille de vous amuser. C’est tout. Je vous donne congé.

Nous avons tous été pris de folie.

À commencer, bien sûr, par le sexe. Tout le monde baisait avec tout le monde dans plus d’endroits du vaisseau qu’il n’est sensé de parler. Au bout du premier jour, où il devint évident que chaque recoin plus ou moins retiré allait servir de décor à une partie endiablée de jambes en l’air, il était devenu courtois de se déplacer en faisant beaucoup de bruit pour alerter le couple de votre arrivée. À un moment donné au cours du deuxième jour, il devint de notoriété publique que je disposais d’une cabine pour moi tout seul. Je fus assiégé de demandes d’accès que je refusai sommairement. Je n’avais jamais géré de maison de tolérance, et ce n’était pas maintenant que j’allais commencer. Les seuls qui baiseraient dans ma cabine, ce seraient mes invitées et moi.

Il n’y en eut qu’une. Et ce n’était pas Jesse. C’était Maggie qui, en fait, avait eu un faible pour moi même du temps où j’avais des rides. Après notre briefing avec Higgee, elle me tendit une sorte d’embuscade devant ma porte, me faisant me demander s’il s’agissait d’une manœuvre standard chez les femmes ménopausées. En tout cas, elle était très drôle et, en privé du moins, pas du tout effacée. Il est apparu qu’elle avait été professeur à l’université d’Oberlin. Elle avait enseigné la philosophie des religions orientales et avait publié six livres à ce sujet. Le genre de détails ordinaires que d’aucuns révèlent volontiers.

Les autres Vieux Cons ne batifolaient pas non plus au petit bonheur la chance. Jesse s’acoquina avec Harry après notre aventure initiale, tandis qu’Alan, Tom et Susan mettaient au point un arrangement avec Tom au milieu. C’était une bonne chose que Tom ait un solide appétit ; il avait besoin de toutes ses forces.