» Quelles que soient vos idées sur la possibilité de relations diplomatiques à long terme, la réalité est que, sur le terrain, nous sommes engagés dans une compétition sans merci. Il nous est impossible d’arrêter notre expansion et d’espérer que nous finirons par trouver une solution pacifique permettant la colonisation par toutes les espèces. Agir ainsi serait condamner l’humanité. Donc nous nous battons pour coloniser.
» Notre deuxième problème est que, lorsque nous découvrons des planètes propices à la colonisation, elles sont souvent déjà habitées par une vie intelligente. Chaque fois que c’est possible, nous cohabitons avec la population autochtone et œuvrons à instaurer l’harmonie. Malheureusement, la plupart du temps, nous ne sommes pas les bienvenus. Quand cela se produit, c’est regrettable, mais les besoins de l’humanité sont et doivent être notre priorité. C’est pourquoi les forces de défense civile sont devenues une force d’invasion.
Bêta Pyxis III réapparut sur l’écran.
— Dans un univers parfait, nous n’aurions pas besoin des Forces de défense coloniale. Mais cet univers n’a rien de parfait. En conséquence, les FDC ont trois mandats. Le premier, protéger les colonies humaines existantes et les protéger de toute attaque et invasion. Le second, localiser de nouvelles planètes propices à la colonisation, les défendre contre la prédation, la colonisation et l’invasion par des espèces concurrentes. Le troisième, préparer les planètes à populations indigènes à la colonisation humaine.
» En tant que soldats des Forces de défense coloniale, il vous sera demandé d’appliquer ces trois mandats. Ce n’est pas un travail facile, ce n’est pas un travail propre sous maints aspects. Mais il doit être exécuté. La survie de l’humanité l’exige… et nous l’exigerons de vous.
» Les trois quarts d’entre vous seront morts d’ici dix ans. Malgré les améliorations physiques des soldats, les progrès de l’armement et de la technologie, c’est là une constante. Mais, dans votre sillage, vous laisserez un univers où vos enfants, leurs enfants et tous les enfants de l’humanité pourront grandir et prospérer. C’est un prix élevé, mais qu’il vaut la peine de payer. »
» Certains d’entre vous se demandent sans doute ce qu’ils vont obtenir personnellement de leur service. Ce que vous obtiendrez à l’issue de votre engagement, c’est une autre nouvelle vie. Vous serez à même de coloniser et de vous lancer dans un nouveau départ sur un nouveau monde. Les Forces de défense coloniale répondront à vos exigences et vous fourniront tout ce dont vous aurez besoin. Nous ne pouvons pas vous promettre que vous réussirez dans cette nouvelle existence : cela dépend de vous. Mais vous aurez un excellent départ et vous recevrez la gratitude de vos camarades colons pour le service militaire consacré à leur défense, à eux et leur famille. »
» Ou encore vous pourrez faire comme moi et vous rengager. Vous seriez surpris du nombre de ceux qui prennent cette décision.
Bêta Pyxis III se mit à clignoter puis disparut, laissant Higgee comme unique centre d’attention.
— J’espère que vous avez tous suivi mon conseil et que vous vous êtes amusés pendant cette dernière semaine. Votre travail commence dès maintenant. Dans une heure, vous serez évacués du Henry Hudson pour commencer votre formation. Il y a ici plusieurs bases d’entraînement ; votre affectation a été transmise à vos Amicerveaux. Vous pouvez retourner dans vos cabines pour empaqueter vos effets personnels. Ne vous encombrez pas de vos vêtements. On vous en fournira à la base. Votre Amicerveau vous informera du lieu de rassemblement pour le transport.
» Bonne chance, recrues. Que Dieu vous protège. Servez l’humanité avec honneur et fierté.
Sur ce, le lieutenant-colonel Higgee nous fit le salut militaire. Je ne savais pas quoi faire. Ni aucun de nous.
— Vous avez reçu vos ordres, ajouta-t-il. Rompez.
Nous sept sommes restés debout autour des sièges sur lesquels nous venions d’être assis.
— Ils ne nous laissent vraiment pas beaucoup de temps pour les adieux, dit Jesse.
— Consultez vos ordinateurs, proposa Harry. Peut-être plusieurs d’entre nous sont-ils assignés à la même base.
Nous obtempérâmes. Harry et Susan étaient envoyés sur la base Alpha. Jesse, sur Bêta. Maggie et Thomas, sur Gamma. Alan et moi, sur Delta.
— Ils séparent les Vieux Cons, fit remarquer Thomas.
— Ne sois pas tristounet, dit Susan. Tu savais bien que ça arriverait.
— J’ai le droit d’être tristounet quand j’en ai envie. Je ne connais personne d’autre. Même toi, tu vas me manquer, vieux sac.
— Nous oublions une chose, intervint Harry. Nous ne serons plus ensemble, mais nous pourrons rester en contact. Nous avons nos Amicerveaux. Il nous suffit d’ouvrir une boîte de réception pour chacun de nous. Le club des Vieux Cons.
— Ici, ça marche, dit Jesse. Mais quand nous serons en active, je ne sais pas. Il se pourrait qu’on se retrouve dispersés à travers toute la Galaxie.
— Les vaisseaux continuent de communiquer entre eux par l’intermédiaire de Phénix, précisa Alan. Chaque bâtiment possède des drones de saut qui vont sur Phénix prendre les ordres et communiquer le statut du vaisseau. Ils transportent des messages, aussi. Nos nouvelles mettront un certain temps à nous parvenir, mais elles nous parviendront.
— C’est comme d’envoyer des messages dans des bouteilles, dit Maggie. Des bouteilles avec une puissance de feu supérieure.
— Faisons ça, approuva Harry. Soyons notre propre petite famille. Veillons les uns sur les autres, où que nous nous retrouvions.
— Maintenant, c’est toi qui deviens tristounet, laissa tomber Susan.
— Je sais que, toi, tu ne me manqueras pas, Susan, dit Harry. Je t’emmène avec moi. Ce sont tous les autres qui vont me manquer.
— Un pacte, alors, proposai-je. Nous resterons les Vieux Cons quoi qu’il arrive. Regarde, l’univers.
Je tendis une main. L’un après l’autre, chacun des Vieux Cons posa sa main sur la mienne.
— Seigneur ! soupira Susan en ajoutant la sienne à la pile. Maintenant c’est moi qui suis tristounette.
— Ça te passera, dit Alan.
Susan lui donna une légère tape de son autre main.
Nous restâmes ainsi le plus longtemps possible.
DEUXIÈME PARTIE
Un
Sur une plaine lointaine de Bêta Pyxis III, Bêta Pyxis, le soleil local, entamait son périple vers l’est dans le ciel ; la composition de l’atmosphère donnait à ce ciel une teinte aquatique, plus verte que celle de la Terre mais encore nominalement bleue. Sur la plaine ondulée, l’herbe ondoyait, pourpre et orange, dans la brise matinale ; on apercevait des animaux pareils à des oiseaux, avec deux paires d’ailes, qui jouaient dans le ciel, testant les courants et les remous en des piqués et des plongeons intrépides et chaotiques. C’était notre première matinée sur un nouveau monde, le premier sur lequel mes anciens compagnons de voyage et moi avions jamais posé le pied. C’était beau. S’il n’y avait pas eu un grand adjudant en colère qui beuglait dans nos oreilles, c’eût été presque parfait.