Cinq minutes quarante-trois secondes.
L’un de ceux de la section de Mark lâcha son sac et remonta vers la surface. Mark lâcha le sien, s’élança en silence, attrapant la recrue par la cheville et se servant de son propre poids pour la ramener au fond. Je croyais que le second de Mark allait venir à son aide ; mais une brève consultation d’Amicerveau m’apprit que cette recrue était son second.
Six minutes. Quarante recrues lâchèrent leur sac et jaillirent à la surface. Mark libéra la cheville de son second, puis le poussa par en dessous pour s’assurer qu’il remonte le premier et écope de la corvée de latrines qu’il avait failli faire subir à toute sa compagnie. J’allais lâcher mon sac quand je vis Alan faire signe que non.
Chef de compagnie. (Message d’Alan.) Tu devrais persévérer.
Va te faire foutre.
Désolé, pas mon genre. (Sa réponse.)
Je tins sept minutes et trente et une secondes avant de refaire surface, persuadé que mes poumons allaient exploser. Mais j’avais surmonté mon moment de doute. J’étais convaincu. J’étais plus qu’un humain.
Au cours de la deuxième semaine, on nous présenta notre arme.
— Voici le modèle standard du fusil d’infanterie MF-35 des FDC, déclarait Ruiz en tenant le sien tandis que les nôtres restaient où ils avaient été posés, toujours dans leur étui protecteur, dans la poussière du terrain de parade, à nos pieds. « MF » signifie « multifonctionnel ». Selon vos besoins, il peut créer et tirer à la volée six projectiles différents ou rayons. Cela inclut les balles de fusil et plusieurs variétés d’explosifs et non-explosifs, en tir semi-automatique ou automatique : grenades à bas rendement, roquettes guidées à bas rendement, liquide inflammable à haute pression et rayons micro-ondes. L’emploi de munitions nanorobotisées à haute densité permet d’atteindre cette performance. (Ruiz brandit un bloc brillant et sombre qui semblait être en métal ; un bloc similaire était placé à côté du fusil à mes pieds.) Ces munitions s’auto-assemblent juste avant le tir. Le résultat est une arme présentant une flexibilité maximale pour un minimum de formation, avantage que vous autres, tristes tas de viande ambulants, allez certainement apprécier.
» Ceux parmi vous qui ont une expérience militaire se souviendront d’avoir été fréquemment requis de monter et démonter leur arme. Vous n’aurez pas à le faire avec votre MF-35. Le MF-35 est une pièce extrêmement complexe de mécanique. Donc pas question que vous la bousilliez ! Elle possède un système d’autodiagnostic et des capacités de réparation incorporées. Elle peut également se connecter à votre Amicerveau pour vous alerter d’un problème, s’il y en a un, mais il n’y en aura pas car, depuis trente ans qu’on s’en sert, aucun MF-35 n’a connu de dysfonctionnement. Et cela parce que, contrairement à vos savants militaires de merde sur Terre, nous, nous savons fabriquer une arme qui fonctionne ! Votre boulot consiste à ne pas la déglinguer ; votre boulot consiste à tirer avec votre arme. Faites-lui confiance, elle est presque certainement plus intelligente que vous. Ne l’oubliez pas et vous resterez en vie.
» Vous allez activer momentanément votre MF-35 en le sortant de son étui protecteur et en accédant à votre Amicerveau. Cela fait, votre arme sera réellement la vôtre. Tant que vous serez sur cette base, vous ne pourrez tirer avec votre MF-35 qu’après avoir reçu l’autorisation de votre chef de compagnie ou de vos chefs de section, qui, à leur tour, doivent recevoir l’autorisation de leur instructeur. En situation de combat réel, seuls les soldats des FDC dotés d’Amicerveaux FDC seront capables de tirer avec votre MF-35. Du moment que vous ne mettez pas en colère vos compagnons de section, vous n’aurez jamais à redouter que votre arme soit utilisée contre vous.
» À partir de maintenant, vous emporterez votre MF-35 partout où vous irez. Vous le prendrez quand vous irez chier. Vous le prendrez quand vous vous doucherez : ne craignez pas qu’il se mouille, il recrache tout ce qu’il considère comme un corps étranger. Vous le prendrez pendant les repas. Vous dormirez avec. Si, par hasard, vous trouvez le temps de baiser, votre MF-35 sera au premier rang du spectacle.
» Vous allez apprendre à vous servir de cette arme. Elle vous sauvera la vie. Les marines US sont des crétins finis, mais la seule chose qu’ils ont faite de bien, c’est leur credo du fusil des marines : « Voici mon fusil. Il y en a bien d’autres comme lui mais, celui-ci, c’est le mien. Je dois le maîtriser comme je maîtrise ma vie. Mon fusil sans moi ne sert à rien. Je dois tirer droit, plus droit que l’ennemi qui cherche à me tuer. Il faut que je le tue avant qu’il ne me tue. Et c’est ce que je ferai. » Mesdames et messieurs, prenez ce credo à cœur. C’est votre fusil. Prenez-le et activez-le.
Je m’agenouillai et retirai le fusil de son enveloppe en plastique. Malgré tous les détails donnés par Ruiz au sujet de cette arme, elle n’avait pas l’air très impressionnante. Elle était lourde mais pas difficile à manier, bien équilibrée et d’une dimension facilitant sa manipulation. Sur le côté du fût, un autocollant annonçait :
POUR ACTIVER AVEC AMICERVEAU : INITIALISEZ AMICERVEAU ET DITES « ACTIVEZ MF-35, NUMÉRO DE SÉRIE ASD-324-DDD-4E3C1 ».
— Hé, Fumier, dis-je, active MF-35, numéro de série ASD-324-DDD-4E3C1.
MF-35 ASD-324-DDD-4E3C1 est maintenant activé pour la recrue FDC John Perry, répondit Fumier. S’il vous plaît, chargez les munitions. Un petit schéma apparut dans l’angle de mon champ de vision, me montrant comment charger mon fusil. Je me penchai pour ramasser le bloc rectangulaire de munitions et… faillis perdre l’équilibre en voulant le soulever. Il était incroyablement lourd. Ruiz ne plaisantait pas en parlant de « haute densité ». Je l’insérai dans le fusil comme indiqué. Au même moment, le schéma montrant comment charger mon fusil disparut, aussitôt remplacé par une notice :
OPTIONS DE TIR DISPONIBLES
NOTE : L’EMPLOI D’UNE CATÉGORIE DE PROJECTILES DIMINUE LA
DISPONIBILITÉ DES AUTRES CATÉGORIES.
TIRS DE FUSIL : 200.
TIRS PAR SALVES : 80.
TIRS DE GRENADES : 40.
TIRS DE MISSILES : 35.
TIRS GROUPÉS : 10 MINUTES.
MICRO-ONDES : 10 MINUTES.
TIRS DE FUSIL ACTUELLEMENT SÉLECTIONNÉS.
— Sélectionne tirs par salves.
Tirs par salves sélectionnés, répondit Fumier. S’il vous plaît, sélectionnez la cible. Instantanément, tous les membres de la compagnie virent apparaître une incrustation verte correspondant aux cibles. Regarder l’une d’elles directement la faisait surbriller. Qu’est-ce que ça peut foutre ? pensai-je en sélectionnant une cible, une recrue de la section de Martin, un certain Toshima.
Cible sélectionnée, confirma Fumier. Vous pouvez tirer, annuler ou sélectionner une deuxième cible.
— Youpi !
J’annulai la cible et contemplai mon MF-35. Je me tournai vers Alan qui, à côté de moi, tenait son fusil.
— J’ai peur de cette arme, dis-je.
— Sans blague ! J’ai failli t’exploser avec une grenade il y a deux secondes.
Ma réponse à cet aveu choquant fut coupée par Ruiz qui, tout à coup, fonça comme une torpille devant une recrue de l’autre côté de la compagnie.
— Recrue, qu’est-ce que tu viens de dire ?
Tout le monde se tut et se tourna pour voir qui avait déclenché le courroux de l’instructeur.
Il s’agissait de Sam McCain. Au cours d’une de nos réunions du déjeuner, je me souvenais que Sarah O’Connell l’avait décrit comme une grande gueule à la petite cervelle. Il avait été dans la vente presque toute sa vie, ce qui n’avait rien d’étonnant. Même avec Ruiz planant à un millimètre de son nez, McCain dégageait de la suffisance. Une suffisance un tantinet surprise, mais de la suffisance tout de même. Il était clair qu’il ignorait ce qui avait mis Ruiz en pétard, mais n’importe, il avait l’air certain de pouvoir se tirer d’affaire sans une égratignure.